
L’histoire politique de la Mauritanie postcoloniale se lit comme une traversée d’occasions manquées, où les régimes qui se succèdent changent de visage sans jamais rompre avec une constante : la préservation du pouvoir l’emporte trop souvent sur l’édification d’un véritable État de droit. Ainsi, de Moktar Ould Daddah à Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, en passant par Haidalla, Maouiya et Aziz, le pays avance au rythme d’autoritarismes qui se transforment mais ne disparaissent jamais.
Moktar Ould Daddah : l’utopie nationaliste et ses impasses
Premier président d’un État fraîchement indépendant, Moktar Ould Daddah incarne un paradoxe douloureux. Homme intègre et sincèrement nationaliste, il a néanmoins emprisonné la nation dans un modèle politique étroit. Son projet politique repose sur un parti unique présenté comme un instrument d’unité nationale alors qu’il étouffe les élites et assèche le débat d’idées. Son nationalisme sincère reste prisonnier de visions archaïques et centralisatrices, qui ignorent la complexité sociologique du pays. De plus, son engagement aux côtés du Maroc dans la guerre du Sahara constitue une erreur stratégique majeure : en acceptant de se battre aux côtés d’un voisin qui contestait jusque-là la légitimité de la Mauritanie, il plonge son jeune État dans un conflit ruineux et meurtrier dont il ne tirera aucun bénéfice, sinon celui d’un pion sacrifié sur l’échiquier régional.
Haidalla : l’État surveillé et la militarisation du politique
Lorsque Haidalla arrive au pouvoir, un autre visage de l’autoritarisme se déploie. Les structures d’éducation de masses, censées éduquer et mobiliser, deviennent des outils d’encadrement idéologique, tandis que l’appareil sécuritaire se renforce jusqu’à imprégner l’espace social d’un climat de surveillance permanente. L’État militarisé se substitue progressivement à l’État civil, et la peur devient un instrument tacite de gouvernement.
Maouiya Ould Sid’Ahmed Taya : la métamorphose libérale de l’autoritarisme
Puis vient l’ère de Maouiya Ould Sid’Ahmed Taya qui, tout en proclamant l’ouverture politique, met en scène une mutation subtile du système. En proclamant le multipartisme, il habille l’autoritarisme d’un vernis libéral destiné à rassurer ses partenaires extérieurs. Toutefois, derrière cette façade, l’économie se configure autour d’une nouvelle oligarchie financière favorisée par la création de nombreuses banques privées adossées à des capitaux parfois opaques. Une bourgeoisie affairiste, liée au sommet de l’État, capte les ressources et transforme la finance en instrument de cooptation et de contrôle. Parallèlement, des institutions anodines, comme la Fédération Nationale des Transports, se muent en réseaux informels de renseignement, quadrillant le territoire et recueillant les rumeurs de la population. Le pouvoir n’a plus besoin de coercition brutale : il s’installe silencieusement dans les interstices du quotidien.
Mohamed Ould Abdel Aziz : l’expédient permanent et la prédation systémique
Lorsque Taya tombe, la transition militaire ouvre la voie à Mohamed Ould Abdel Aziz. Mais loin d’annoncer une rupture, son règne impose une autre forme d’arbitraire : celle de l’action immédiate sans réflexion. Se vantant de se passer d’études de faisabilité, il multiplie les projets improvisés, souvent inachevés ou dénués de cohérence économique. Sous son autorité, la prédation devient systématique. L’État se trouve capturé par un noyau serré d’intérêts, et les ressources publiques se fondent dans le patrimoine privé d’un clan dont la loyauté se rémunère par la rente. La frontière entre richesse nationale et fortune personnelle s’efface dans l’opacité des circuits financiers.
Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani : la continuité apaisée et les promesses difficiles
Lorsque Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani accède au pouvoir, beaucoup imaginent une ère de rupture. En réalité, le système se perpétue sous des formes plus apaisées. Le discours devient technocratique, la méthode plus consensuelle, et l’autoritarisme se drape dans les apparences de la stabilité. Pourtant, les mécanismes qui garantissent la reproduction du pouvoir demeurent intacts : le parti-État change de nom sans changer de nature, les rentes continuent de cimenter la cohésion des élites et les logiques de cooptation assurent la continuité du noyau dirigeant. C’est là tout l’art du système : se métamorphoser pour perdurer.
Cependant, la récente visite du président Ghazouani dans la wilaya du Hodh Echarghi introduit une nuance nouvelle dans cette longue continuité. En se rendant sur le terrain, en écoutant les habitants, en promettant des infrastructures et une attention particulière à une région souvent marginalisée, il donne l’impression sincère de vouloir corriger certaines injustices profondes. Ses gestes témoignent d’une volonté de redresser et d’améliorer, d’insuffler à l’action publique une dimension plus humaine et plus équilibrée.
Toutefois, cette volonté se heurte à une réalité lourde : la force d’inertie d’un système qui résiste à toute transformation profonde. Les intérêts installés, les habitudes de gouvernance, les réseaux de rente et les fidélités anciennes forment un rempart silencieux contre toute réforme ambitieuse. Ainsi, même animé de bonnes intentions, le président se trouve confronté à la difficulté de réformer un ordre politique qui a appris à survivre à tous ses chefs, en changeant d’apparence mais jamais de nature.
La planète pouvoir reste en orbite
En définitive, de Moktar à Ghazouani, la Mauritanie traverse une succession de régimes qui, chacun à sa manière, a privilégié la préservation du pouvoir sur l’émancipation de la nation. Le pays dispose pourtant de ressources immenses et d’un potentiel humain considérable. Reste à savoir si, un jour, la planète-pouvoir acceptera de sortir de son orbite pour permettre à l’État mauritanien d’entrer enfin dans une ère où la souveraineté populaire et le développement ne seront plus les variables d’ajustement d’une continuité autoritaire savamment métamorphosée.
Eleya Mohamed




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