Plan de Trump pour Gaza : Une affaire de gros sous sur fond d’une volonté tacite d’enterrer à terme la création d’un Etat palestinien Par Moussa Hormat-Allah, professeur d’université, lauréat du Prix Chinguitt

5 November, 2025 - 23:46

Va-t-on assister avec le plan Trump à un nouveau dépeçage de ce qui reste de la Palestine ? Un remake de l’initiative de Lord Balfour ? Hier, l’Angleterre qui occupa la Palestine, jusque-là partie intégrante de l’Empire Ottoman a imposé sous un habillage onusien le partage de ce territoire pour créer un foyer national juif.

Aujourd’hui, plus d’un siècle après, les Etats-Unis, au-delà des apparences, s’apprêtent, probablement, à faire en sorte pour céder la deuxième moitié de la Palestine à l’Etat hébreu et les reconnaissances en cascade de l’Etat de Palestine (158 Etats) se retrouveront, à terme, devant un fait accompli quasiment irréversible.

 

La Palestine sous mandat américain ?

En clair, Washington a placé, de fait, le territoire palestinien sous mandat américain. Une nouvelle forme de colonisation à peine voilée. Plusieurs facteurs expliquent cette incroyable initiative. Les Etats-Unis et Israël, d’un commun accord, sont à la manœuvre mais chacune des deux parties vise des objectifs bien précis.

Sur un plan théorique et sous certaines réserves, tout un chacun aurait applaudi l’initiative de Trump. Mais la finalité de cette démarche recouvre, peut-être, une réalité plus insidieuse.

Dans une optique prospective et compte tenu d’une part, de l’historique pour le moins mouvementé, du conflit israélo-palestinien et des velléités expansionnistes clairement affichées de l’Etat hébreu et, d’autre part, de la personnalité de Trump et son obsession pour l’argent, on pourra, à tort ou à raison, envisager comment les choses pourront évoluer.

Il s’agit certes d’hypothèses mais qui, pour l'analyste averti, ne devront pas, a priori, être écartées d’un revers de la main.

 

Les Etats-Unis, Israël et la Palestine : les dessous des cartes

Qu’est ce qui sous-tend, en filigrane, la position des Américains ? L’un des principaux architectes du plan américain pour Gaza est Jared Kushner, le gendre et ancien conseiller de Trump. Un militant sioniste bien connu. Son père Charles Kushner, actuel ambassadeur des Etats-Unis à Paris a, ouvertement, critiqué en des termes acerbes la politique du président Macron en Palestine. Un acte contraire à tous les usages et pratiques diplomatiques les plus élémentaires.

Convoqué au ministère français des Affaires étrangères, il a refusé de répondre à cette convocation ce qui montre la puissance de la Sionie mondiale. Après de tels propos, véritable affront à la France, n’importe quel autre diplomate aurait été déclaré, sur le champ, persona non grata.

On savait le lobby juif très puissant en occident, particulièrement aux Etats-Unis. Pour les américains, Israël est un allié stratégique qui joue un rôle important : Consolider leur influence au Moyen-Orient, protéger la route des hydrocarbures, avoir un œil sur l’Iran et préserver un équilibre des forces dans la sous-région.

Il y a, par ailleurs, de puissants liens théologiques notamment en matière d’eschatologie entre une grande partie de l'électorat évangélique qui vote Trump et beaucoup de juifs américains.

En effet, ‘’aux Etats-Unis, l’électorat évangélique –environ un quart de la population, majoritairement conservateur– constitue un pivot politique. Pour une partie de cet électorat, une lecture de ‘’la fin du monde’’ confère à la présence juive en Terre d’Israël et à la continuité de l’Etat d’Israël une signification spirituelle, des étapes indispensables au plan divin de la fin des temps.’’(1).

Pour les évangéliques américains comme pour les juifs, la Cisjordanie/Judée Samarie est une partie intégrante d’Israël. C’est là où, d’après eux, apparaîtra la Vache Rousse biblique.

 

 

Le président Trump et l’argent

Si Trump prépare le terrain pour la pérennité de l’Etat hébreu, son plan pour Gaza vise également un autre objectif. Le président américain est avant tout un homme d’affaires. Dans tout ce qu’il entreprend, il a toujours en tête deux colonnes : recettes et dépenses : l’Amérique doit faire des économies et ses propres affaires et celles de sa famille doivent prospérer. Sur le plan national, coupes drastiques dans les services fédéraux, licenciement de personnel à tour de bras, droits de douane excessifs, fin des subventions pour les universités et des ONG, retrait des organisations et organismes internationaux, achat par l’Europe des armes américaines destinées à l’Ukraine, etc. En un mot, autant de mesures d’économie pour consolider les finances publiques et mettre fin, selon lui, au gaspillage et au laxisme de l’administration précédente.

C’est dire que le président Trump est toujours là où il y a un brassage d’argent public ou privé. Son plan pour Gaza ne fait pas exception à cette boulimie marchande. En effet, si on considère ce plan, outre les mesures politiques pour régler, soi-disant, les problèmes de l’enclave palestinienne, on est frappé par le fait que l’argent est au centre de beaucoup de dispositions de ce document.

Dans l’article 9 de ce plan, on peut lire que le ‘’comité de paix’’ qui gérera Gaza sera présidé par Trump lui-même, assisté par Tony Blair, l’ancien premier ministre britannique. Ce comité sera chargé de gérer les services publics et les municipalités de Gaza. Cette instance établira le cadre et aura la haute main sur le financement de la reconstruction de la ville martyre.

Dans l’article 10, ce comité supervisera, par ailleurs, tous les investissements de la reconstruction.

Dans l’article 11, une zone économique spéciale sera mise en place avec des droits de douane préférentiels.

La reconstruction de Gaza coûtera, selon les experts, des dizaines de milliards de dollars. D’aucuns affirment, déjà, que Trump sera, dans cette affaire, juge et partie et que lui et sa famille seront aux premières loges pour amasser une fortune colossale. Pour les mêmes observateurs, Tony Blair, reconverti en courtier international, ne sera pas en reste avec ses multiples sociétés. Trump et Blair auront à brasser des capitaux faramineux.

A Gaza, tout sera à refaire : eau, électricité, assainissement, routes, hôpitaux, universités, écoles, des dizaines, voire des centaines de milliers de logements à reconstruire, des millions de tonnes de gravats à dégager, etc, etc. De gigantesques marchés en perspective pour, en priorité, les sociétés occidentales.

Tony Blair est un personnage controversé notamment pour son rôle dans la guerre d’Irak, de facilitateur pour le quartet et les fréquents conflits d’intérêts depuis qu’il s’est lancé dans les affaires après avoir quitté le 10 Down Street.

 

Le Hamas au pied du mur

Tout laisse penser que le plan de Trump sera mis en œuvre avec ou sans l’accord du Hamas. En somme, le fait du prince. En effet, dans le point 17 de ce plan, on peut lire : ‘’Dans le cas où le Hamas retarde ou rejette cette proposition, les éléments ci-dessus, y compris l’importante opération d’aide, seront mis en œuvre dans les zones libérées du territoire remises par l'armée israélienne à la force internationale de stabilisation (ISF).’’

Ce point ne laisse pas le choix au Hamas. Soit le mouvement islamiste accepte les conditions posées par le président américain, lesquelles ne sont pas équitables sur certains points, soit on passe outre son refus. C’est pourquoi certains observateurs estiment qu’on est allé un peu vite en besogne en saluant, un peu partout dans le monde, cette initiative américaine sans tenir compte qu'au-delà des apparences, il s’agit d’un diktat qu’on impose à la partie la plus faible.

Pas de méprise. Ce plan américain cherche à éradiquer toute velléité de résistance de la part des combattants palestiniens et à écarter définitivement le Hamas de la gestion de Gaza.

Il prépare, peut-être, à terme, le terrain pour l’intégration à Israël de la deuxième moitié de la Palestine. Quel que soit le président républicain, les lobbies juifs et les évangéliques américains travaillent d’arrache-pied pour parvenir à cet objectif. Le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem et la reconnaissance de la souveraineté d’Israël sur le Golan syrien est un avant-goût de ce processus.

Pour des raisons électoralistes, même un président démocrate comme Biden, n’est pas revenu sur une telle décision pourtant en contradiction flagrante avec le droit international. Dans cette optique, la mise en œuvre des Accords d’Abraham seraient, à terme, le couronnement de ce processus.

Une lecture prospective du point 19 de ce plan qui évoque une perspective plus qu’aléatoire de la création d’un futur Etat palestinien pourrait s’avérer un piège. Soit dit en passant, lors d’un point de presse à la Maison blanche, le président Trump parlant du conflit israélo-palestinien a dit que ce conflit entre les deux protagonistes remonte à des millénaires.

Des propos qui n’ont pas été relevés par les observateurs et qui, pourtant, ont une portée et une signification qui méritent d’être mises en exergue. Cela sous-entend que l’appartenance de ce territoire à l’un ou l’autre des deux peuples n’a jamais été actée historiquement. En d’autres termes, ce territoire peut tout aussi bien être israélien que palestinien.

En clair, ces propos du président américain légitiment les prétentions territoriales de l’Etat hébreu et pourraient lui ouvrir la voie à l’annexion de la totalité de la Palestine. Ce qui, juridiquement parlant n’est, plus ni moins, qu’une ineptie.

Cette déclaration de Trump est passée sous silence dans les milieux politiques arabes.

Et pour cause ! Toutes les péripéties passées et présentes du conflit israélo-palestinien ont montré que la plupart des dirigeants arabes, impuissants, ont adopté une posture plus ou moins ambivalente. Soutien de façade aux Palestiniens tout en ménageant les Etats-Unis et Israël.

Une attitude qui vise d’une part, à rassurer, tant soit peu, leurs opinions publiques et d’autre part, pour éviter le courroux de Washington et de l’Etat hébreu.(2)

Les deux seuls acquis importants, concrets et tangibles du plan Trump sont, pour le moment, d’une part, l’arrêt du génocide qui se déroule à Gaza et, d’autre part, la fin de la menace de déportation des palestiniens hors de l’enclave martyre. Mais pour combien de temps encore ?

Au-delà de ces deux acquis, on ne peut pas, par ailleurs, oublier le marqueur indélébile de cette guerre à savoir la cruauté et l’inhumanité de Tsahal à Gaza. Israël par ses crimes et ses exactions a semé la mort, la désolation et le chaos dans ce minuscule territoire.

Outre la destruction de Gaza, réduite en de gigantesques tas de gravats, et de la quasi-totalité de ses infrastructures, on déplore, surtout, les pertes humaines. Un bilan macabre qui donne froid au dos : 67.000 morts et 170.000 blessés. Décompte en date du 16 Octobre 2025. Ces chiffres ont été jugés crédibles par l’ONU.

 

Les palestiniens face à leur destin

Plus que jamais les Palestiniens se retrouvent au pied du mur. Que faire ?  Trois alternatives :

 

* L’apparition sur la scène politique d’hommes comme Yasser Arafat ou Cheïkh Ahmed Yacine –l’un, homme d’Etat charismatique, l’autre, guide religieux et spirituel– pourra remettre la cause palestinienne au centre de l’équation;

* Une Intifada radicale et généralisée pour booster la cause et unifier les rangs de palestiniens;

* Un soulèvement populaire sans précédent dans la plupart des pays arabes sur fond d’un soutien sans faille à la cause palestinienne de nature à avoir des répercussions considérables sur le plan géopolitique.

 

Cependant, quelles que soient les alternatives qui se présenteraient aux Palestiniens, on ne devra jamais perdre de vue que les dirigeants israéliens sont imprévisibles.

En effet, l’expérience a montré que ces dirigeants sont, pour utiliser un euphémisme, toujours en délicatesse avec le respect de la parole donnée.

Après quelques années, une fois le Hamas définitivement écarté de la scène politique, il est fort probable que le plan de Trump vole en éclats.

L’Etat hébreu trouvera alors un prétexte pour torpiller cette initiative américaine et, aussi paradoxalement que cela puisse paraître, avec le soutien de Washington. Les israéliens sont connus pour le reniement de leurs engagements.

Transcendante, débarrassée des contingences profanes de l’ici-bas, la Parole divine est venue éclairer les uns et les autres sur le non-respect de la parole donnée par les israéliens : Allah dans le Saint Coran a dit : ‘’Faudrait-il à chaque fois qu’ils [les juifs] concluent un pacte, qu’une partie d’entre eux le dénonce?’’ Tout est dit. Sans commentaires.

 

 

Notes

(1)  Ould Amar Yahya, Renaissance de l’Etat de Palestine : Quand la realpolitik dévore la morale. In Le Calame du 01/octobre 2025.

(2) Cf. L’infamie du drame palestinien in l’ouvrage de Moussa Hormat-Allah, Les gouvernants arabes et l’Islam, pages 197 à 234.

(3) Sourate La Vache, Verset 100.