Talents mauritaniens : faut-il partir pour faire émerger la Mauritanie ?

15 October, 2025 - 10:30

Le développement économique est une des questions qui préoccupent et continuent de préoccuper les penseurs et chercheurs en économie de divers pays du Monde. Cette question est étroitement liée à la vie des individus et des groupes qui cherchent à améliorer leur niveau de vie et à vivre dignement. Par ailleurs, notre société est confrontée à des problèmes liés à la manière de parvenir à un développement économique vraiment dynamique. À cet égard, l'intérêt pour la fourniture des divers éléments de production nécessaires à cette vitalité se développe. La disponibilité de ces éléments, tant quantitativement que qualitativement, est une condition nécessaire au développement économique et à la poursuite de la croissance. Et, parmi ces « éléments », on se rend de plus compte de l’importance du capital humain, quel que soit le niveau de connaissances et d'expérience acquis, en ce que cette ressource représente une énergie renouvelable et, surtout, inimitable. Comme d’autres pays, le nôtre s’est retrouvé confronté, après l’indépendance, à une situation économique marquée par l’analphabétisme généralisé, l’ignorance et le manque d’infrastructures, ainsi qu’à une situation sociale et culturelle précaire et à un manque de ressources financières et humaines capables de relever le défi. L'État a donc accordé une attention particulière aux ressources humaines, notamment par la gratuité des soins de santé et de l'éducation. Il a également déployé des efforts pour développer son système éducatif, grâce à la planification de celui-ci, allouant des sommes importantes à divers secteurs, afin d'obtenir des résultats de qualité contribuant au développement.

Le capital humain est une ressource essentielle qui doit être valorisée, exploitée et utilisée au maximum, sous peine de devenir un fardeau pour l'économie nationale et un obstacle à sa croissance. L'expérience des pays qui ont progressé et réalisé des avancées significatives dans le développement de leur société respective montre que leur renaissance ne s'est pas appuyée uniquement sur le capital matériel. Le développement du capital humain et l'offre d'opportunités appropriées de créativité, d'innovation et de participation effective passent d’abord par une attention particulière portée à l'éducation, pilier essentiel du développement économique et social. Aujourd'hui, le monde connaît des conditions économiques, sociales, politiques et sécuritaires difficiles auxquelles s'ajoutent une pauvreté généralisée, une répartition inégale des revenus et un chômage généralisé dans de nombreuses régions. Ces conditions ont coïncidé avec l'explosion de la révolution des communications et des transports, qui a facilité la circulation internationale des personnes aspirant à de nouvelles opportunités d'emploi et à une vie sociale meilleure.

La fuite de cerveaux mauritaniens vers les pays développés s'inscrit dans un phénomène migratoire qui existe depuis longtemps. Les Britanniques furent les premiers à inventer le terme « fuite des cerveaux », lorsqu'ils ont vu migrer un grand nombre de leurs ingénieurs et médecins vers les États-Unis. Les facteurs favorisant cette évasion sont nombreux : outre la stabilité politique et économique de ces pays d’accueil, ils incluent l'environnement scientifique, pratique, social et psychologique offert à leurs nationaux et à leurs immigrés talentueux et créatifs ; notamment des compensations financières directes et indirectes ou la valorisation des spécialisations et de l’expertise, plaçant les meilleurs à des postes efficaces. Or la plupart des éléments de ce cadre manquent encore en Mauritanie. Parmi ces carences, on peut citer : l'intérêt prioritaire pour la recherche scientifique à laquelle les pays développés allouent des sommes considérables ; la qualité de leur enseignement supérieur ; les performances de leur système social incarnant les principes de dignité humaine, respect du travail et du temps, discipline, etc. Certains de nos talents ayant effectué leurs études à l'étranger s’étaient habitués à ces précieux éléments mais ont dû les abandonner à leur retour au pays et ne parviennent pas à les intégrer tous dans leur milieu d'origine. Aussi l'émigration apparaît-elle à nouveau en condition incontournable à l’épanouissement de ces personnes talentueuses.

 

Centralisation des prises de décision, propagation de la bureaucratie et corruption administrative 

À une époque où les compétences scientifiques, techniques et cognitives représentent la principale source de compétition entre les nations et, par voie de conséquence, de la supériorité des unes sur les autres, la fuite des cerveaux mauritaniens constitue un obstacle majeur à notre développement global. Quoiqu’elle paraisse théoriquement positive pour notre développement économique, en ce qu’elle se traduit, généralement, par le retour de travailleurs qualifiés en Mauritanie, après avoir acquis une expérience et un savoir-faire contribuant au développement du pays et à l'édification d'une société du savoir et des technologies, elle demeure problématique. Les statistiques sur cette question semblent le prouver : ces retours ne sont jamais que temporaires, juste le temps de visites familiales ou de vacances annuelles.

La fuite des cerveaux reste donc encore un des plus graves phénomènes auxquels notre pays est confronté. Notre nation ne tire pas pleinement profit de ses ressources humaines et de ses esprits créatifs. Comme on l’a dit tantôt, cela est dû à l’exode vers les pays offrant des conditions d’études et de vie satisfaisantes en de nombreux domaines.  Cela ne signifie pas qu'investir dans la créativité et l'intellectualisme soit le véritable placement qui permette de générer croissance et prospérité économique et d'améliorer les indicateurs de développement durable. Cela signifie tout simplement que le cœur du développement, c’est l'être humain.  Partant de là, on peut affirmer que le processus du progrès est directement influencé par le capital humain, tant quantitativement que qualitativement. Ainsi, plus cette ressource est qualifiée en divers domaines, plus elle sera un moteur de l’avancement du pays et inversement. La migration scientifique continuera de s'aggraver en Mauritanie si le pays n'adopte pas une stratégie claire pour endiguer la fuite de ses talents à l'étranger et cela commence par identifier les motifs négatifs qui poussent ceux-là à émigrer, avant d’espérer corriger ces tares. Cette stratégie transformera ces déficiences en incitations à revenir au pays ou, du moins, à prendre des mesures pour valoriser ces talents, même à l'étranger.

Parmi ces mesures, les plus importantes sont peut-être, à mon avis : activation du rôle de chacun au service des objectifs de développement national et amélioration de la qualité de l’environnement de travail, avec des perspectives stimulantes de satisfaction professionnelle et, par conséquent, de sentiment de loyauté et d’appartenance au pays ; instauration d’un climat général propice à la rétention des talents locaux et à la réduction du matérialisme ;  emploi de l’expertise et des talents étrangers uniquement en cas de pénurie locale ; prise en compte des transferts financiers des compétences mauritaniennes et de leurs capacités scientifiques et créatives parmi les principales sources de financement et de soutien au développement ; participation à distance des compétences des expatriés, par le biais d’échanges d’expertise et d’investissements (ce qui passe par l’activation et la modernisation du cadre institutionnel susceptible de guider le processus d’intégration de la migration des travailleurs qualifiés) ; mise à jour de la base de données sur le nombre et la qualité des compétences des migrants mauritaniens  et leur statut à l’étranger ; sensibilisation à leur rôle dans le développement et à la meilleure façon de le mettre en pratique, d’une manière utile aux intérêts de toutes les parties, en développant des réseaux de communication et de contact chargés de préserver et renforcer les liens des expatriés avec leur patrie, afin de les motiver davantage à contribuer au développement de celle-ci.

 

Cheikh Ahmed ould Mohamed

Ingénieur

Chef du service « Études, aménagement et développement »

Établissement portuaire de la Baie du repos (Nouadhibou)