« L’acharnement contre moi n’a d’égal que l’absence de diligence du vérificateur, sinon l’incompétence de son commanditaire »
Le Calame : La Cour des comptes a achevé, le mois dernier, un contrôle au ministère du Commerce dont vous étiez le secrétaire général avant votre élection à l’Assemblée nationale. Elle vous a adressé une mise en demeure de rembourser, conjointement avec les directeurs centraux du ministère, environ 450 millions d’ouguiyas. Vous avez contesté, non seulement, le montant mais, aussi, la procédure. Vous avez même parlé d’acharnement du président de la Cour des comptes, qui fut votre successeur au poste de secrétaire général du ministère. Pouvez-nous nous expliquer comment en est-on arrivé là ?
Dane Ould Ethmane : Tout d’abord, je tiens à remercier le Calame de me donner l’occasion d’édifier l’opinion publique nationale sur cette affaire dont on a beaucoup parlé dans les media. Sept jours après la prestation de serment de monsieur Ahmed Salem ould Hama Khattar, en sa qualité de président de la Cour des comptes, nous avons reçu une correspondance « confidentielle », le vendredi 19 Décembre 2014, de la part de la Chambre des finances publiques. Il nous y était demandé de faire parvenir à celle-ci « les commentaires et remarques » qu’appellent, de notre part, ses « observations, dans un délai de dix jours. » Nous avons répondu, comme il se doit et dans les délais requis, à tous les points soulevés par le vérificateur.
Ces réponses ont été remises à celui-ci pour qu’il produise son rapport final, à transmettre au commissaire du gouvernement chargé d’établir la programmation de l’audience, à la Chambre des finances publiques, seule compétente pour statuer sur le dossier. Mais, alors qu’on attendait, avec impatience, la tenue de cette audience, nous apprîmes, par divers media, que des lettres de mise en demeure nous avaient été adressées, par l’entremise de la police chargée de la répression des crimes économiques, le vendredi 13 février 2015. Durant tout le week-end, les forces du mal ont assuré une large diffusion de cette procédure émanant d’un vérificateur sans compétence en la matière et dénuée de tout fondement juridique.
Le président de la Cour des comptes, qui aurait dû, raisonnablement, se dessaisir du dossier, eu égard aux antécédents tumultueux, qu’il avait entretenus avec les responsables du ministère du Commerce durant son passage au secrétariat général de ce département, a continué à pousser son homme de main à agir dans la précipitation, pour régler ses comptes avec ses adversaires. Le lundi 16 février, nous avons pris contact avec la Chambre des finances publiques et le commissaire du gouvernement qui nous ont confirmé que l’audience prévue n’avait toujours pas été programmée, car ils attendaient que monsieur Ould Zeïn, le vérificateur, leur remette son rapport final. Mais au lieu de remplir sa mission auprès de la Chambre, monsieur Ould Zeïn s’était substitué à elle, expédiant des mises en demeure et s’arrogeant des prérogatives hors de ses compétences ; bref, il était devenu juge et partie. Le fait que les deux correspondances aient été envoyées le vendredi (fin de semaine) et que leur contenu ait été largement relayé dans différents organes de presse dénote d’une volonté manifeste de nuire à l’honneur et à la dignité des personnes. Cet acharnement n’a d’égal que l’absence de diligence du vérificateur, sinon l’incompétence de son commanditaire – en l’occurrence, le président de la Cour des Comptes qui n’a pas pris le temps nécessaire pour prendre connaissance des règlements et procédures de cette honorable institution à la tête de laquelle il a été propulsé, alors que rien, manifestement, ne l’y avait préparé. L’irrespect du principe de la bonne gouvernance – « l’homme qu’il faut à la place qu’il faut » – trouve son illustration la plus éloquente dans les nominations d’Ould Hama Khattar qui abuse du pouvoir qui lui est conféré pour régler des comptes personnels avec ses ex-collaborateurs dont l’unique tort est d’avoir refusé de partager ses méthodes anachroniques de gestion, notamment une centralisation à outrance, qui avaient fini par le conduire à utiliser les crédits alloués à ses collaborateurs à leur insu. Pourquoi monsieur Ould Zeïn ne s’est-il pas intérésssé à la gestion d’Ould Hama Khattar lorsqu’il était secrétaire général du ministère du Commerce, tel que prévu par la lettre de mission ?
S’il y eut véritablement malversations financières, durant quatre années, comment le contrôleur financier, le DAF et le comptable peuvent-ils être exonérés ? Pourquoi monsieur Ould Zeïn a-t-il été muté le jour même où il a envoyé les fameuses mises en demeure ? Est-ce une récompense pour services rendus ? Naturellement, nous avons refusé de prendre connaissance de lettres de mise en demeure qui n’émanent pas de la Chambre des finances publiques, seule compétente en la matière, je le répète encore.
- A regarder la loi 9319 du 26 Janvier 1993 instituant la Cour des Comptes, on constate qu’il n’y est nullement prévu de mises en demeure. Comment ont-ils justifié celle qui vous a été adressée ?
- L’article 16 de la loi N°93-19 du 26 Janvier 1993 relative à la Cour des Comptes stipule qu’elle a compétence pour « sanctionner les fautes de gestion et prononcer des amendes ou astreintes, dans les conditions prévues au chapitre 5 de la présente loi ». L’article 34 prévoit que « l'amende encourue dans les cas prévus à l'article précédent ne peut être inférieure à 50 000 UM, ni supérieure au double du traitement ou salaire brut annuel alloué à l'auteur de l'infraction, au moment des faits ». Effectivement, il n’y est nullement question de mises en demeure, comme vous le dites si bien. Je me demande où ont-ils déniché cette trouvaille. S’il y avait faute de gestion avérée, le dossier aurait dû être transmis au juge, puisque le pénal tient le civil en l’état. La seule fois où le même vérificateur avait contourné la procédure, en envoyant une mise en demeure à un ancien directeur général de la CNAM sans passer par la Chambre des finances publiques de la Cour des Comptes, toute la démarche fut annulée. Comment peut-il récidiver avec nous ? Ses mises en demeure sont nulles, non seulement, pour nous mais, aussi, pour la Chambre des finances publiques, seule compétente en la matière et qui continue à lui écrire en exigeant le rapport final sur lequel ils vont statuer.
Dans ma réponse adressée à cette chambre, j’ai posé un certain nombre de questions auxquelles le vérificateur doit répondre, avant de nous accuser à tort : Quel est le texte réglementaire qui aurait été violé ? Sur quels éléments factuels s’est-il basé, pour aboutir à ce constat d’irrégularité ? Quelle procédure de gestion aurait été contournée ? Sur quels documents probants a-t-il fondé cette accusation qui nuit à l’intégrité morale des personnes incriminées ?
- Plusieurs directeurs qui travaillaient sous vos ordres ont, eux aussi, reçu des mises en demeure de rembourser des sommes parfois considérables. Contestent-ils la procédure ? Que comptez-vous entreprendre pour faire réparer ce que vous considérez comme un tort ?
- Comme je l’ai dit en réponse à votre première question, nous sommes tous solidaires, parce que nous considérons que nous sommes victimes d’une injustice. C’est pourquoi avons-nous refusé de prendre connaissance des mises en demeure et de payer quoi que ce soit.
Propos recueillis par AOC