
Par le biais de son ministre de l’Intérieur, le gouvernement sénégalais a convoqué Biram Dah Abeïd, leader de l’IRA et président de la coalition anti-système, pour lui signifier l’ordre de cesser « ses activités politiques sur le sol sénégalais ». Le gouvernement mauritanien se serait plaint auprès des autorités sénégalaises des « propos très durs » que le président Biram a prononcés au pays de la Teranga contre le pouvoir de Nouakchott. Cet ordre concerne également le président des FPC, Samba Thiam, allié de Biram dans le combat contre le système qui gouverne la Mauritanie. En réaction à cette posture du gouvernement sénégalais, le mouvement IRA a dénoncé une « pression politique », tandis que Samba Thiam parle de « campagne de diabolisation » dument orchestrée par le régime de Ghazouani. Et, pour le professeur Lô Gourmo Abdoul, la « démarche interpellative des autorités sénégalaises est une provocation inacceptable ». La réponse de Biram au ministre de l’Intérieur sénégalais semble l’avoir convaincu, comme du reste, le refus catégorique de Samba de déférer à la convocation pour ne pas tomber dans un « piège tendu ».
La décision de Dakar intervient dans un contexte particulier en Mauritanie. Le pays prépare un dialogue politique et Biram et Samba Thiam se font tirer les oreilles. La coalition anti-système pose en effet un certain nombre de conditions pour y participer. Or, pour beaucoup d’acteurs politiques et de la Société civile, l’absence de cette coalition dans ces discussions que le Président Ghazouani voudrait inclusives et sans tabou constitue un sérieux rabais. Le coordinateur du dialogue avait laissé entendre qu’il ne voudrait laisser en marge aucune personne-ressource ou à valeur ajoutée. Biram fut, signalons-le, un des premiers leaders politiques à être reçu par Moussa Fall au lendemain de sa prise de fonction. Il faut aussi se rappeler que les refus du leader de I’IRA, député à l’Assemblée nationale, et du président de l’APP, Messaoud Boulkheïr, avaient déjà fait capoter, en 2023, le dialogue politique sur le point d’être lancé.
Un deal entre les deux gouvernements ?
Le Sénégal est dirigé depuis moins de deux ans par un tandem de jeunes. Et ceux qui dirigent aujourd’hui ce pays voisin semblent maintenant assez préoccupés de plaire au pouvoir de Nouakchott pour convoquer ses deux plus farouches opposants séjournant à Dakar. Reste à voir comment le leader de l’IRA et son allié des FPC se comporteront après cet incident. Autre carte du deal, le gouvernement mauritanien a récemment décidé de réduire drastiquement le coût des prix de la carte de séjour des Sénégalais en villégiature chez nous, un geste salué par Dakar dont des milliers de ressortissants vivent sur notre territoire national. De plus, les deux pays exploitent ensemble des hydrocarbures à leur frontière commune et ont besoin d’y instaurer la paix et la stabilité. Mais tout ceci n’efface pas, de l’esprit des Mauritaniens, les propos du futur Premier ministre du Sénégal alors en campagne à Dagana : évoquant, devant ses partisans, la question de la frontière entre les deux pays, il avait laissé entendre son pays n’éprouvait aucun complexe vis-à-vis du régime de Nouakchott…
La sommation interpellative de Dakar à l’égard des deux figures de l’opposition anti-système résonne de surcroît étrangement avec les récriminations des pêcheurs de Guet N’Dar (Saint-Louis) qui n’ont cessé de dénoncer la « gâchette facile » des gardes-côtes mauritaniennes à l’encontre desdits pêcheurs s’aventurant sur les eaux mauritaniennes ; elle intervient également quelques semaines après les expulsions de ressortissants ouest-africains en situation irrégulière par les autorités mauritaniennes, dans des conditions qui avaient suscité « l’indignation de Dakar ». Dans la foulée, le ministre des Affaires étrangères sénégalais avait effectué, à l’instar de son homologue malien, le voyage de Nouakchott pour dissiper le malaise. Toujours, dans ce contexte, on se souvient que certains mauritaniens s’étaient offusqués de la sortie du député du FRUD, Khally Diallo, sur une chaîne de télévision privée du Sénégal pour dénoncer, justement, les conditions d’expulsion des migrants clandestins en Mauritanie et l’amalgame qui en avait résulté. Et l’on notera, enfin, que ce jeune député n’était pas le premier opposant au régime de Nouakchott à s’exprimer sur le plateau de la même chaîne…
Dalay Lam