
L’ex-président Mohamed ould Abdel Aziz jugé en appel vient d’être condamné à quinze ans de prison. Tombé le 14 Mai passé, le verdict laisse nombre de mauritaniens quasiment indifférents, tant l’affaire a traîné en longueur. Bientôt cinq ans que le tombeur de Sidi ould Cheikh Abdellahi est exposé devant les tribunaux. On dira que le temps de la justice n’est pas le temps ordinaire. Seuls les observateurs essaient de tirer les enseignements de cette première en Mauritanie : un ancien président jugé pour corruption et blanchiment d’argent… Lors de son premier jugement, il avait écopé de cinq ans de prison et les Mauritaniens en étaient sortis pantois : « Tout ce bruit et accusation pour ça ! » s’étaient-ils exclamés. Et le voilà aujourd’hui condamné à trois fois plus, avec confiscation de ses biens et déchéance de ses droits civiques. « Un verdict juste et normal ! », se réjouissent les avocats de la partie civile ; « injuste et sans preuves ! », rétorquent les ceux de la défense ; « querelles de robes ! », diront les profanes. Usant du droit que leur offre la loi, les seconds ont en tout cas décidé de se pourvoir en cassation devant la Cour Suprême. Mais si l’on se fie à la logique du procès, leurs chances paraissent bien maigres et leur client pourrait hériter de vingt voire trente ans de prison… Avec une dégradation de son état de santé en prime ?
Quoiqu’il en advienne, nombre de questions fusent déjà au sortir de cet épisode. À quoi aura donc servi celui-ci ou en quoi servirait-il les Mauritaniens ? Ces derniers n’apprécient guère qu’on dilapide les ressources variées dont les a dotés la Nature et dont une partie de la classe politique ou des hauts placés s’en mettent plein les poches, tandis que le peuple crève de faim ; que certains exhibent de manière ostentatoire des richesses illicites – l’ex-Président n’a lui-même pas nié le trésor qu’il a amassé durant ses dix ans de mandat – alors que leurs compatriotes demeurent d’éternels souffre-douleurs. Cela dure depuis plus de quarante ans et cela ne semble visiblement pas prêt de s’arrêter ! « Pire », diront les plus sceptiques, « la course à l’argent, illicite ou non, se poursuivra indéfiniment, sous le regard hébété des crève-la-faim ! »
Course à l’argent
Une injustice qu’il faut impérativement combattre et éradiquer. Et si telle est justement la volonté de Ghazouani, il mérite les encouragements de tous ses compatriotes. Il y va de l’avenir de la Mauritanie. Démarrant son premier mandat avec une commission d’enquête sur la gestion de deux précédents de MOAA – « ami de quarante ans », se plaisaient à affirmer certains observateurs – « allait-il pouvoir aller jusqu’au bout », se demandait-on, « mener sans flancher le crucial combat contre la corruption ? » La réduction du nombre de personnes suspectées d’être impliquées dans la désastreuse gestion de la décennie s’est chargée d’entretenir le doute. L’acquittement des derniers proches collaborateurs d’Ould Abdel Aziz entretient l’idée que la principale personne visée a toujours été et reste toujours l’ex-Président. Un règlement de comptes, à l’instar de ce que les avocats et proches de celui-ci ne cessent de dénoncer depuis la mise en place, en 2020, de la commission d’enquête parlementaire ?
Le président Ould Abdel Aziz avait-il sous-estimé les capacités de son successeur et trop compté sur la basse cour qu’il s’était constituée durant ses dix ans de règne, caquetant aux quatre vents qu’il était le meilleur de la République ? La querelle de légitimité autour du parti UPR et l’alerte d’Akjoujt lors de l’anniversaire 2019 de l’Indépendance n’ont fait qu’exacerber les tensions entre les deux hommes. Visiblement les quarante ans de compagnonnage avec son ami n’avaient pas permis à MOAA de bien jauger le marabout qui allait lui succéder. Aurait-il été à ce point naïf pour oublier que le pouvoir ne se prête pas ? En cédant le fauteuil présidentiel à son alter ego, il commit l’imprudence d’annoncer qu’il allait continuer à faire de la politique, laissant entendre aux Mauritaniens qu’il prenait tout simplement quelques vacances avant de revenir au pouvoir. L’expérience au Cameroun de Ahidjo et de son successeur Biya ne lui a pas servi de leçon. Il a aussi oublié qu’en pareilles circonstances, la « mort du père » est presque inévitable. Il semble en payer d’autant plus les frais qu’il s’est révélé incapable de justifier l’incroyable enrichissement dont on accuse l’illicite.
Ould Abdel Aziz poursuit donc sa descente aux enfers et les Mauritaniens espéraient que son procès – même s’il n’a pas révélé tous les mystères et n’a pas touché tous ses complices dont certains continuent à se la couler belle – allait au moins contribuer à réduire le pillage des ressources publiques. Mais, visiblement, on est loin du compte : trop de hauts fonctionnaires et autres catégories de serviteurs de l’État ne se sont pas départis du vol. Renforcés et dotés de moyens, les organes de contrôle ne cessent d’épingler les voleurs de biens publics… mais ceux qui sont relevés de leur poste pour mauvaise gestion continuent à être recyclés ! Façon d’installer comme une sorte d’impunité à la tête du client ? Le détournement de deniers publics et donc le culte de l’argent facile sont si profondément ancrés dans les mentalités des cadres et notabilités que ceux-ci ont fini par filer le virus à toutes les autres catégories socioprofessionnelles. Répondant à l’ébahissement d’un de ses amis visiteurs devant le luxe de son palais, « je ne m’accommode pas avec la pauvreté », dit un ex-directeur de grande entreprise publique, « je l’ai en sainte horreur ». Un état d’esprit de nombre de mauritaniens bon teint... En droite ligne, donc, de ce qu’enseignait déjà Ould Taya, « comprenant », confiait-il pour sa part, « que des fonctionnaires détournent les biens publics si c’est pour investir [construire des villas, ndr] chez eux ».
Malversations récurrentes
En plus de ces malversations devenues récurrentes, on assiste depuis quelques années à l’invasion de drogues et de produits contrefaits accentuant l’enrichissement insolent d’une certaine « élite » nationale, comme en témoigne le récent démantèlement de réseaux de narcotrafiquants au cœur même de la capitale. Gâtant terriblement nos jeunes générations, la drogue engendre également l’insécurité et l’instabilité dans notre pays si dangereusement entouré de zones grises sahéliennes. Le trafic des armes et des migrants y constitue un facteur croissant de risque. C’est pourquoi les Mauritaniens attendent une réaction ferme des autorités si souvent prises, il y a encore peu, à se dégonfler, au-delà des communications d’intentions flamboyantes.
Si le procès de l’ex-Président se révèle, au final, vraiment pédagogique et moyen de dissuasion, la Mauritanie aura avancé. Mais si perdurent, comme on continue de l’observer sur le terrain, les comportements irrévérencieux et l’étalage ostentatoire d’un luxe aussi insolent qu’injustifiable, le pays aura perdu cinq années. Et plus encore, puisque les avocats de MOAA vont déposer un recours devant la Cour suprême. Cela prendra le temps que cela prendra et marquera en tout cas – pour ne pas dire entachera – la décennie du président Ghazouani. D’où cette ultime interrogation : verra-t-on, en cette affaire, l’intervention d’une grâce présidentielle ? Ghazouani pourrait-il franchir ce Rubicon, histoire de ne pas donner le sentiment d’être aigri et d’affirmer, ce faisant, qu’Ould Abdel Aziz ne saurait plus représenter, libéré, le moindre danger pour son pouvoir ? L’hypothèse est évoquée depuis quelque temps mais à en croire certaines confidences, le président-marabout serait loin de cette disposition…
Dalay Lam