Il y a des habitudes qui nous caractérisent, Nous Z'Autres heureux habitants de Nouakchott Plage.
Hormis notre amour immodéré pour le klaxon, sorte de trompette locale, notre amour de la pizza sous toutes ses couleurs, notre amour, que dis-je, notre passion pour l'art de la conduite en milieu hostile empli de conducteurs eux-mêmes hostiles, notre engouement forcé pour les taxis insolents et « régulateurs » autoproclamés de la surpopulation de NKTT Les Palmiers, notre acharnement à en faire le moins possible au boulot en faisant croire que l'on abat un travail monstre (et ça c'est un art consommé), notre fascinante propension à construire et des boutiques et des mosquées (pourquoi construire des parcs, des écoles, des lieux de rencontre ? Perte de temps...), notre encore plus fascinante attirance pour les « Mosquées Z'à hauts parleur » ( partant du principe, comme l'a si gentiment expliqué un jeune imam à une amie à moi, que « Notre Prophète Mohamed – PSSL- aime les hauts parleurs ») ouverts quasiment en permanence afin d'édifier les Nous Z'Autres,.... hormis tout ceci, donc, il y a deux caractéristiques purement locales et auxquelles nous tenons comme à la prunelle de nos yeux, à savoir : le « tournage » nocturne et l'art d'être malade...
Tous les soirs, dès le repas terminé, Nouakchott se met à « tourner ». Joli ballet de voitures et autres véhicules Roulants Non Identifiés.
Le principe est le suivant : vous mettez quelques UM de gasoil dans le réservoir ; la quantité de gasoil est proportionnelle aux finances que vous possédez ou pas ; quand vos poches sont à sec, les amis se cotisent afin de pouvoir acheter de l'essence.
La voiture « alimentée », commence un étrange ballet qui consiste à rouler, rouler encore, de quartiers en quartiers, d'avenues en avenues.... une voiture bien « nourrie » peut « tourner » de Dar Naïm à Socogim Plage, en passant par Le Carrefour, en tournant vers l'Ilot V, en repassant par Le Premier, en arpentant Le Ksar, en retournant vers Arafat, et ainsi de suite...Nulle logique dans le « tournage ».
De bien entendu on tourne au ralenti : pas question de dépasser la 3°. D'un, cette vitesse économise le carburant. De deux, elle permet aux conducteurs mâles de pouvoir inspecter les jeunes et jolies choses qui se promènent, de pouvoir ralentir afin de demander de façon galante si ces demoiselles ont besoin d'être raccompagnées quelque part... Quand les conductrices sont des femmes, ce « tournage au ralenti » permet d'examiner qui tourne aussi dans la circulation, de pouvoir persifler un peu, de commérer beaucoup, de papoter énormément enfin...
Donc, toutes les nuits, Nouakchott tourne et retourne, à l'infini, gracieux moment de grand ennui...
Ne demandez pas le but de ces « tournages » aux joyeux tourneurs. A part vous répondre d'un air interloqué devant la stupidité de la question « mais que veux-tu faire d'autre ici ??? » et secouer la tête devant votre encore plus grande stupidité, il n'y a pas de réponse définie et claire. On tourne parce qu'on s'emmerde. On « tourne » parce qu'on aime « tourner ». On « tourne » parce que « tourner » est un art de vivre, une obligation sociale, un signe de reconnaissance...
Nouakchott s'ennuie, donc Nouakchott « tourne », planète parmi les planètes, qui se met en branle à la faveur de l'obscurité....
Une sorte de lévitation de l'inutile absolu, de l'art de manger le temps... d'enrichir les stations essence, de rendre dingues les gravures de mode sécuritaires qui n'en finissent pas de voir passer et repasser les mêmes voitures...
La nuit Nouakchott Plage devient une galaxie emplie de satellites tourneurs, tournant autour d'un axe invisible aux yeux du commun des mortels (à savoir le non nouakchottois)...
Et qui ne « tourne » pas est un âne....
En « tournant », les tourneurs passent, obligatoirement, devant deux endroits, les endroits intéressants au plus haut point : les salles de mariage et les cliniques privées. Faut dire que ces endroits là fourmillent de belles et affriolantes jeunes femmes... Si l'on peut « embouteiller » au milieu de tant de beautés, les « tourneurs » sont au paradis...
Le néophyte stupide qui tourne pour la première fois se rend compte que les limites entre salles de mariage et cliniques privées à la mode sont floues...
Faut être passé devant LA clinique chic du moment pour comprendre ce que je vous raconte. J'ai rarement vu autant de jolies femmes habillées comme pour une invitation que devant cette clinique.
Car, il faut le savoir, aller à la clinique est un must chez nous.
On y va pour tout : le bouton à la fesse, la petite fièvre, le début du début d'une diarrhée, une vapeur, un hoquet, des gaz malencontreux, l'aphte du petit dernier...
Car le Nous Z'Autres est un hypocondriaque dans l'âme, persuadé qu'il va mourir tous les jours, que la moindre fièvre va l'emporter dans des souffrances terribles.
Alors le Nous Z'Autres, au moindre bobo, court, que dis-je, se précipite vers le lieu où il sera sauvé, LA clinique...De bien entendu il transporte avec lui toute la famille, le clan, la tribu, les amis, les amis des amis... Pour être un bon malade, il faut être entouré. Pas question de passer l'arme à gauche sans l'assistance éplorée de la tribu hypocondriaque.
Voilà donc notre malade installé dans une chambre. Et là, il attend la panacée, le truc obligatoire, ce qui rend sa maladie crédible, à savoir la perfusion. Ne pas perfuser est un crime de haute trahison.
Ne pas être perfusé est considéré comme une insulte.
Quand un Nouakchottois vous raconte, d'une voix mourante, qu'il a du être hospitalisé, il vous dit, pour appuyer ses dires (des fois que vous auriez un doute sur la gravité de son bobo) « et j'ai été mis sous perfusion »....
Alors, nos médecins ont compris le jeu : on perfuse à tour de bras. Je suis sûre que l'on perfuse parfois de l'eau et du sucre mais malheur au toubib qui oserait ne pas perfuser.
Il serait soumis à la rumeur qui dirait de lui qu'il est mauvais toubib....Il ne peut courir ce risque : les perfusions d'hypocondriaques sont un gagne-pain comme un autre.
Bien sûr il y a les vrais malades, atteints de vraies maladies...
Mais pour un vrai malade combien d'angoissés chroniques pour qui une petite fièvre est une catastrophe nucléaire ?
Le Mauritanien aime se plaindre qu'il a mal là, qu'il a bobo ici, que son ventre est foutu, que sa tête abrite sûrement une énorme tumeur, que sa fièvre va l'emporter, que son écoulement nasal est le signe qu'il est atteint de la grippe ( chez nous sont interdits les mots « banal rhume », petite rhino, angine, etc...), qu'il a mal au dos, à la tête, aux oreilles, aux cheveux, aux dents, au nez, aux pieds....
Le Mauritanien qui ne se plaint pas n'est pas un vrai Nous Z'Autres.
Et il exige, dès hospitalisation, d'être perfusé.... pas moyen de négocier : c'est perfusion obligatoire. Seule celle ci peut appuyer vos dires quand, de retour à la maison, vous raconterez d'une voix mourante combien vous fûtes malade... : « Oui, oui, le médecin m'a perfusé....Elhamdoullillah, je vais mieux maintenant....bénie soit la perfusion »....
N'allez surtout pas dire à nos hypocondriaques qu'une petite fièvre peut baisser avec un Doliprane, qu'une petite diarrhée n'est pas la fin du monde, que la toux du petit dernier peut être soignée à la maison...Vous passeriez pour un sauvage inculte et fou furieux....qui ne comprend rien à rien, ni au processus : malade, passage à la pharmacie, enfilage de moult médicaments et d'antibiotiques en vente libre ( contre toute prudence), direction la clinique, perfusion, grande invitation de la famille pour assister à la guérison, retour à la maison, allongement amorphe sur le matelas et mine de circonstance du « j'ai échappé à la mort ».
Oui, le Nouakchottois est un malade chronique, malade tourneur....
Qu'on se le dise une bonne fois pour toute. Pas la peine de ramener votre science en sortant des insultes telles que « psychosomatisme », « ennui », « hypocondrie », « peur de tout », « vide de la vie »....
Vous passerez pour l'empêcheur d'être perfusé en rond.....
Eh oui, NKTT Plage où l'art de la désespérance absolue qui trouve des exutoires dans les « tournages » nocturnes et la bobologie....
Je vous laisse, j'ai mal au bout des cheveux ; j'ai la nausée d'avoir tant tourné avec les amis...Je sens la vie me quitter....je vais aller à la clinique...
Après une bonne perfusion j'irai mieux et je pourrais recommencer à tourner....
Ennui, vous avez dit ennui ????? Pfffuittt.....
Salut
Mariem mint DERWICH