Encore une manœuvre politique hypocrite et méprisante

26 March, 2025 - 09:39

Le jeudi 6 mars 2025, le pouvoir a de nouveau décidé d’une parade politique visant à distraire l’opinion publique nationale et internationale, tout en renouvelant le vernis sur la dérive discriminatoire du système en place. Il s'agit du décret instituant la célébration, le 1er mars de chaque année, comme une journée nationale de la diversité culturelle et de la cohésion sociale. Ce projet de décret, louable dans ses objectifs, n’en demeure pas moins une nième manœuvre démagogique, décidée au mauvais moment. Il a été décrété le 6 mars, journée nationale de la lutte contre l’esclavage, célébrée depuis plus de dix ans, toujours en catimini, dans un mutisme quasi total, avec mépris et désintérêt, à l’image de tout ce qui touche à l’esclavage et à la composante haratine.
Il a en outre été adopté par le même conseil des ministres qui, comme à l’accoutumée, a réservé quelques miettes aux cadres haratines dans le cadre du mouvement des hauts responsables du ministère de l'Autonomisation des Jeunes, de l'Emploi, des Sports et des Services Civiques. Ainsi, le jeudi 6 mars 2025, le pouvoir, fidèle à sa politique de mystification méprisante, a une nouvelle fois ravivé les amertumes et les frustrations du néo-esclavagisme d'État dont souffre la composante haratine.
 

Camouflage

Quelle est cette diversité culturelle que l’on veut célébrer alors qu’elle n’existe pas au sommet de l’État, dans ses centres de décision, dans son administration, dans son armée, dans tout ce qui est officiel ? Quelle est cette cohésion sociale que le système veut célébrer alors qu’il continue de perpétuer, mépriser, occulter et banaliser la problématique haratine, cette injustice abjecte, historique, actuelle et qui semble s’éterniser ? Sur quelles bases ce système entend-il bâtir une telle cohésion sociale alors que sa politique discriminatoire et gabégique a exacerbé les disparités et les inégalités sociales, nous empêtrant dans des clivages communautaires à connotations raciales et identitaires ? Pourquoi nos habiles mystificateurs n’ont-ils pas ajouté le mot «intégration » à la dénomination de cette journée, camouflage de la discrimination, de la fracture sociale, des inégalités, de l’exclusion et de la paupérisation, etc. ? Pourtant, ils savent pertinemment que l’intégration des victimes de l’esclavage est une aspiration légitime, un impératif transitionnel sensible pour l’évolution du pays, qui se pose aujourd’hui avec plus d’acuité et d’exigence. Ils réalisent également, sans nul doute, que l’émancipation et l’intégration effectives des victimes de l’esclavage impliquent inéluctablement un changement positif de l’ordre établi et la fin d’un suprémacisme viscéral, né d’une mentalité esclavagiste tenace. Seulement, parce que le rapport de force est encore favorable aux forces chauvines et conservatrices (la Mauritanie profonde), l’émancipation et l’intégration des haratines doivent être contenues, tempérées, régulées et instrumentalisées pour demeurer continuellement contrôlables et maîtrisables.
La continuation de cette politique machiavélique de marginalisation et de privation systémique des cadres haratines est aujourd’hui moralement blessante et un abus suprémaciste humiliant et révoltant. Elle reflète l’attachement des tenants du pouvoir à un modèle de société anachronique et révolu. Le conseil des ministres, par sa composition et ses nominations, est indéniablement la source de notre incivisme et de tous nos problèmes de mauvaise gouvernance, notamment les discriminations, les privations et les injustices sociales, qui sont les causes principales de la cristallisation de nos replis communautaires, ethniques et identitaires. D’ailleurs, ce décret a, entre autres, pour objectif d’insinuer qu’il y a une animosité entre nos composantes nationales en tant que telles. En réalité, ces dernières n’ont de différend qu’avec le système politique en place. Ce dernier, quasi monocolore, quasi monoethnique, suprémaciste, népotique et gabégique, est ainsi difficilement dissociable de la communauté qu’il est censé favoriser.

 

Défis existentiels

Face à cette situation, seuls les patriotes politiquement avertis sauront faire la part des choses et se situer au-dessus de l’amalgame. D’ailleurs, le fait qu’aujourd’hui le pouvoir juge nécessaire d’instituer une telle célébration constitue une reconnaissance implicite que la discrimination a atteint son paroxysme, qu’elle devient incontrôlable, flagrante et périlleuse. Dès lors, sortir le pays de cette situation, valoriser notre diversité culturelle, consolider notre unité nationale et préserver notre cohésion sociale deviennent des défis existentiels majeurs que l’on ne peut relever par des mesures symboliques, manifestement hypocrites, mises à nu par la réalité de l’impact de la politique de discrimination. Il est désormais évident, à travers le pouvoir actuel, que la résolution du malaise social actuel et de tous les autres problèmes existentiels ne viendra pas sous ce système qui nous régente depuis plus de trois décennies. Les Mauritaniens doivent en tirer les conséquences et œuvrer résolument à le changer pour sauver le pays du carcan de l'anachronisme et de la mauvaise gouvernance. Le jour où ils réussiront ce changement méritera alors légitimement d'être célébré comme une journée nationale du salut, de l'unité et du progrès.

 

Mohamed Daoud Imigine
Le 11 Mars 2025