Premier bilan du PM devant le Parlement : Entre satisfecit et scepticisme

30 January, 2025 - 09:09

Le Premier ministre Moktar Djay a présenté, le vendredi 24 Janvier, un premier bilan de son équipe. Un travail de cinq mois, dressé devant les représentants du peuple. Comme de tradition, le bilan est toujours largement positif. Des heures durant, le PM ministre a exposé, chiffres à l’appui, les réalisations de cinq mois de gouvernance. Il est revenu sur les cinq axes du programme du président de la République Mohamed Cheikh El Ghazouani qu’il s’était engagé à mettre en œuvre, lors de sa déclaration de politique générale, il y a quelques mois : bâtir un État de Droit et des institutions fortes, avec une bonne gouvernance moderne ; construire une économie performante, résiliente et éco-durable ; promouvoir un capital humain bien formé et qualifié, en particulier parmi les jeunes ; réunir les conditions d’une unité nationale solide et d’une intégration sociale complémentaire ; d’assurer la sécurité et la stabilité de notre pays et renforcer sa présence et son rôle régional et international. Le PM a également indiqué que le gouvernement continuera à se battre pour éradiquer l’immigration clandestine, en améliorant les textes et en renforçant les moyens de lutte.

 

Beaucoup d’annonces…

Très didactique, Moktar Djay a énuméré les acquis dans chaque secteur puis jeté les perspectives prometteuses du pays, au vu des nombreuses annonces. À la lecture de son très long discours, on apprend que pour le premier axe – gouvernance politique, État de Droit, libertés publiques et les droits de l’Homme, bonne gouvernance et réforme de l’Administration – le gouvernement a poursuivi la politique d’ouverture enclenchée depuis le premier mandat du président de la République en maintenant les rencontres avec le bureau de l’Institution de l’Opposition Démocratique (IOD) et avec les partis de la majorité. Elles ont permis de prendre connaissance, de près, de leurs observations et suggestions dans le cadre du travail gouvernemental. Ce qui n’a du reste pas empêché de faire voter une loi sur les partis dont l’objectif est d’assainir leur champ, en dépit des critiques négatives de l’opposition qui la juge contraignante à l’expression démocratique. Certains partis attendent depuis des années leur sésame.

Dans le cadre du renforcement de l’unité nationale, le PM a rappelé les efforts déployés par le gouvernement pour trouver une solution consensuelle et définitive au passif humanitaire, à l’esclavage et à ses séquelles. Il est revenu sur l’annonce du président de la République sur la tenue d’un dialogue inclusif visant à repenser le système de gouvernance du pays. Le gouvernement a également procédé à la révision de la loi sur les partenariats public-privé, celles sur la fonction publique et celles du code des investissements et du code du travail. Il a souligné les efforts fournis pour améliorer le fonctionnement de la justice avec la numérisation des procédures judiciaires et sur l’élaboration d’un plan visant à limiter le recours à la location immobilière à travers un vaste programme de construction de sièges de tribunaux, en particulier pour les tribunaux de moughataa. Des plans d’action sectoriels de mise en œuvre de la Stratégie nationale des droits de l’Homme ont été initiés et promulguée la loi fondant le tribunal spécialisé dans la lutte contre l’esclavage, la traite des êtres humains et le trafic de migrants. Une ceinture de sécurité électronique sera installée autour de la capitale Nouakchott pour lutter contre l’immigration clandestine. 

Autres annonces, la révision des lois et cadres réglementaires pour garantir une lutte efficace contre la corruption. Le gouvernement a ainsi adopté le projet de révision de « la loi relative à la lutte contre la corruption, dans le but de renforcer les mécanismes et les opportunités de détection des multiples formes de corruption, d’accentuer la dissuasion et de prévenir l’impunité ». Comme il a aussi adopté deux autres projets de loi, le premier portant sur la fondation d’une Autorité nationale de lutte contre la corruption et le second visant à améliorer la transparence financière, la lutte contre l’enrichissement illicite, la prévention des conflits d’intérêts et la protection des lanceurs d’alerte. Parallèlement, le comité interministériel et le comité technique chargés de superviser la mise en œuvre de la stratégie nationale de lutte contre la corruption ont été restructurés dans le but d’impliquer les représentants du secteur privé et de la Société civile.

Au plan économique, le PM a indiqué que son gouvernement a réussi à préserver les grands équilibres macro-économiques, avec un taux de croissance réelle attendu en 2024 de l’ordre de 5%, un taux d’inflation de 2,5%, et un déficit budgétaire de 3,2%. Certes les efforts sont louables mais la majorité des mauritaniens ne sentent aucun impact de la croissance sur leur quotidien. En dépit de ces chiffres, les prix des produits vitaux refusent de baisser, les commerçants font ce qu’ils veulent. Dans le domaine de l’énergie, le PM prévoit une nette amélioration de la desserte en électricité et en eau ; le début de l’exploitation du gaz GNL pouvant y contribuer grandement. Au plan des infrastructures, le tableau est rose avec l’annonce de la construction de lignes de chemin de fer pour désenclaver les régions et transporter les personnes et les productions locales. Mais au lieu de faire miroiter ces infrastructures, le gouvernement serait mieux avisé d’améliorer ce qui existe déjà en matière de routes, constructions scolaires et universitaires, établissements de formations professionnelles. Dans le domaine de l’éducation et la santé, plusieurs efforts sont en cours pour améliorer les prestations et les infrastructures, afin de répondre aux attentes des populations.

                  

…et d’attentes

Un PM très volontariste, donc, et déterminé à réussir le pari de mettre la Mauritanie sur le chemin de l’émergence. Mais peut-il vraiment relever ce défi ? Sa nomination paraissait certes justifiée par ses capacités à mener les réformes et engagements électoraux du président Ghazouani. D’aucuns voyaient en lui un homme travailleur et capable de secouer le mammouth ; il connaît tout le landerneau politique et même militaire qui gravite autour du président de la République. Beaucoup lui sont «redevables de quelque chose ». Mais, aussitôt après la publication de la liste du gouvernement, plusieurs observateurs ont laissé supposer l’existence de divergences entre des ministres de souveraineté et le nouveau PM, les plus pessimistes chuchotant que ceux-là ne lui obéiraient pas.  Mais une équipe gouvernementale doit jouer collectif et, comme le disait Mitterrand, un ministre, ou il ferme sa gueule ou il démissionne. En Mauritanie, cette règle ne sied pas ; le PM ne compte pas que des amis, certains ont peur de lui et n’apprécient pas sa fougue. Beaucoup avaient tenté de l’enterrer très tôt après le départ du pouvoir de l’ex-président Ould Abdel Aziz qui en avait fait son homme de confiance mais, comme le Phoenix, il avait réussi à gagner la confiance de Mohamed Cheikh Ghazouani qui le nomma ministre directeur de cabinet, une première dans les annales du Palais. Il s’est alors battu et s’est révélé indispensable au parti INSAF d’où certains voulaient le bouter, diverses voix commençant à appeler à son départ du gouvernement et à un remaniement de celui-ci.

Promu PM, l’homme pourrait se heurter à quelques résistances et à l’humeur de certains hommes puissants de son équipe mais, si le président de la République lui garde sa confiance, il pourrait faire bouger les choses. Le grand obstacle sur son chemin reste surtout la corruption endémique qui ronge tous les secteurs. Il est difficile, voire impossible, d’éradiquer cette pandémie sans une volonté politique et, surtout, une détermination sans faille. Le mal est très profond et son extirpation conditionne la réussite de son travail, à tous les niveaux. L’espoir des Mauritaniens sur le pétrole et le gaz demeure très volatile. Les revenus tirés du fer, du poisson, de l’or et autres sont passés par là… sans que le peuple n’en hume la moindre odeur. L’essentiel est allé dans les poches des suceurs de la République. Le PM qui a fait des annonces-chocs sur la baisse des prix du ciment et de certains produits vitaux reste d’autant plus attendu sur le social que des milliers de jeunes partis aux USA sont menacés d’expulsion. Si – que Dieu les protège de ce verdict ! – ils sont obligés de rentrer au pays, ils viendront gonfler le nombre de chômeurs et de nécessiteux. Une potentielle bombe...

Dalay Lam