Érosions côtières : Nouakchott fourbit ses armes

17 December, 2024 - 23:51

Les côtes mauritaniennes ont été classées parmi les zones à risques et, selon les scénarii du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), la ville de Nouakchott est particulièrement vulnérable aux submersions marines, dans le contexte des changements climatiques. Déjà en Décembre 1997, un raz-de-marée avait altéré une partie du cordon dunaire protégeant la capitale et submergé le marché de poissons, faisant un mort. Ce cordon protecteur est exploité anarchiquement pour ses sables et les besoins des constructions urbaines de la capitale. Malgré les mesures gouvernementales ordonnant l’arrêt de cette exploitation, ledit cordon est largement entamé en certains endroits par des ruptures significatives ; en fait, de véritables brèches aujourd’hui menaçantes en raison de l’élévation annoncée du niveau de la mer et de la fragilité de celui des sols en bordure (variant de -1 à +1m), surtout dans les communes littorales très peuplées, comme Sebkha, Tevragh Zeïna ou El Mina.

« S’élevant à plus de trois mètres de hauteur jusque dans les années 90, le cordon dunaire a disparu aujourd’hui », constatait amèrement Daffa Adama, expert et spécialiste en suivi-écosystème auprès de WACA Mauritanie, le 16 Juin 2023, lors de la journée de sensibilisation des journalistes sur la problématique des brèches du littoral nouakchottois, en collaboration avec l’Association des Journalistes Amis du Littoral (AJAL). « Cette situation expose la ville », ajoutait-il, « à la montée des eaux de mer. »

 

Action destructrice de l’homme

Vingt-et-une brèches ont été repérées le long de la bande littorale attenante aux limites administratives de la capitale, dont trois d’une extrême gravité (les 9, 13 et 16) et sur lesquelles travaillent prioritairement le projet WACA. « Située au mythique hôtel Ahmedy, la brèche n°9, d’une longueur d’environ 600 mètres sur 300 mètres de large, est l’une des plus dangereuses parmi les trois répertoriées », prévenait l’expert.

À Tergit, des travaux de fixation biologique (avec des plantes halophiles comme le Sessivium adaptées à l’environnement et efficaces pour la fixation biologique du sable) et mécaniques (recours au clonage) ont déjà été exécutés sur certains blocs pour régénérer le cordon. Selon Daffa Adama, on envisageait également de renforcer celui-ci en recourant à des nattes de Typha et en plantant des filaos. « Là où l’action de l’homme n’a pas exercé son empreinte destructrice, comme à Tiguint », soulignait le spécialiste, « la dune a conservé toute sa majestueuse stature de paravent contre les effets des remontées marines. Mais la construction de Nouakchott postindépendance, avec ses infrastructures, bâtiments et habitations, à grandes camionnées ininterrompues de sable marin, a détruit la protection naturelle qui défendait la ville et sa population », constatait-t-il.

En cas de nouveaux mouvements de la mer, toutes les zones basses de Nouakchott seront exposées, comme en 1997, d’autant plus gravement que les brèches sur le littoral sont en augmentation constante. Dans ce scénario, les infrastructures littorales sont encore plus vulnérables car elles font directement face à des brèches en ouverture progressive. Il s’agit surtout d’infrastructures industrielles liées à la vie directe des populations de Nouakchott et même de toute la Mauritanie (usines de farine de blé, cimenteries, gaz, hydrocarbures, etc.).

Le risque de submersion est désormais une espèce d’épée de Damoclès suspendue sur toute la ville. Avec l’appui du projet WACA ResIP, financé par la Banque Mondiale, le gouvernement mauritanien s’est donc attelé à sécuriser les populations côtières et à protéger les acquis des investissements, déjà réalisés sur le long du littoral.

Colmatage des brèches : solutions durables

Dans ce cadre, le projet a déjà entrepris des travaux de stabilisation et de fixation de dunes, prévoit également de colmater les trois brèches les plus sensibles et de réaliser un ouvrage de franchissement afin de réduire les risques d'intrusions marines en cas de fortes tempêtes, marées exceptionnelles et élévation du niveau de la mer. Toutes ces actions contribueront aussi à la mise en œuvre d'un « Plan d'investissement Multi Sectoriel/PIMS » de protection de Nouakchott, envisagé par le conseil Régional de la ville.

Les colmatages des trois brèches devraient favoriser en outre l’accumulation naturelle des sables dans leur secteur respectif. Le procédé consiste à élever des digues en terre homogène et constituées en remblai compacté. Le corps de celui-ci provient d'un sol homogène du bassin côtier, composé de sable marin et de tout-venant coquillé, suffisamment imperméable pour atténuer les infiltrations. Cette masse remblayée jouera un rôle de protection mécanique et de captage de sables et autres sédiments. 

Le projet WACA ResIP est classé dans la catégorie A, selon les politiques opérationnelles de la Banque mondiale en matière de sauvegardes environnementale et sociale. La mise en œuvre du colmatage des brèches et la réalisation de l’ouvrage précité risquent cependant d'engendrer des impacts environnementaux et sociaux. Afin de les minimiser et optimiser les effets positifs du projet, WACA a commandé une étude d’impact environnemental et social, doublée d’un plan de gestion environnemental et social, pour prévenir et gérer de façon équitable les éventuelles incidences qui pourraient découler de la mise en œuvre de ces travaux, tout en restant en conformité avec la législation mauritanienne et les exigences de la BM.

 

Gouvernance littorale

« Au regard de sa complexité, de l’étendue du littoral mauritanien et de la diversité des acteurs aux intérêts contradictoires, l’amélioration de la gouvernance du littoral doit être basée sur les principes de concertation, de transparence et d’équité », recommande Mohamed Fadel Cheikh Mohamed Fadel, doctorant TVES à Lille, dans sa thèse : « Gouvernance littorale et changements climatiques en Mauritanie ». « Cela requiert », évoque-t-il, « un cadre juridique, des mécanismes de concertation, de coordination et de coopération adaptés. Les capacités de gestion, de recherche, d’observation, d’information, de communication et du suivi & évaluation doivent également être consolidées et renforcées. Les résultats obtenus contribueront à améliorer les connaissances sur le littoral mauritanien ; à asseoir une gestion durable et convenable de celui-ci ; et à lutter plus efficacement contre les changements climatiques. » Longtemps attendus, les travaux de colmatage des brèches ont démarré le 25 Août dernier à Nouakchott. Prévisionnellement étalés sur quatre mois, ces travaux ont été entamés par le décapage et le remblayage des trois brèches prioritaires dans le projet WACA MR et l’on attend maintenant leurs clôture et rapport.

 

                                                          Dalay Lam

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Références

- Étude d’impact environnemental et social de trois colmatages sur le littoral nouakchottois et d’un ouvrage du ministère de l’Environnement et du développement durable, projet d’investissement de résilience des zones côtières en Afrique de l’Ouest (WACA ResIP)

- Étude d’impact environnemental et social de trois colmatages sur le littoral nouakchottois et d’un ouvrage de franchissement - Rapport final, Septembre 2023.