Je suis enfin allé à Chinguitty pour la première fois à l'occasion du festival des cités du patrimoine la nouvelle appellation depuis deux éditions du festival des villes anciennes. Étant du Calame, j’ai été investi pour accompagner des membres de la Fondation Habib Ould Mahfoudh en vue d’animer un stand que le ministère de la Culture a réservé à cette institution après avoir imprimé à ses frais une nouvelle version des célèbres chroniques de l'irracontable journaliste Habib intitulé Bloc-Notes. Entre Chinguitty et Nouakchott c'est 550 kms d'un paysage mitigé : extraordinaire pour les uns et complètement monotone et déprimant pour les autres. Finalement, pour une première fois, le ciel n'est pas tombé sur la terre. Les thèses qui m'ont été tellement ressassées sur la route de Ould Ebnou m'ont apparu fantaisistes voire démesurées. La crainte que j'avais s'est rapidement dissipée dès les premières manœuvres de notre chauffeur qui n'a cessé de nous répéter depuis Atar que les peurs éprouvées en escarpant cette route n'était pas justifiées. Selon lui, 13 des 16 milliards mobilisés pour le festival des cités du patrimoine iraient dans le bitumage des 80 kms qui séparent Atar de Chinguitty. En attendant cela, il faut compter 6 à 7 heures pour faire les 550 kms de Nouakchott à cette ville.
Embouteillage
Quand nous arrivions vers 22 heures passées d'une quinzaine de minutes, les voitures étaient très nombreuses. Leurs vrombissements remplissaient les airs. Des dizaines voire des centaines de TXL, V8 et autres V6 visiblement très neuves. En termes d'argent, ce sont des milliards d'ouguiyas. Impossible de passer par l'une des petites ruelles de Chinguitty sans en rencontrer au moins trois ou quatre.
BASEP
Comme lors de toutes les visites présidentielles, les fameux soldats du célèbre bataillon de la sécurité présidentielle sont à tout coin de rue narguant incisivement tous ceux qui refusent d'obtempérer à leurs injonctions. Les éléments de cette unité d'élite, torpilleuse de la démocratie, assurent la sécurité des expositions, des tribunes et des soirées habituellement organisées lors des festivals.
Scandale
Lors des visites présidentielles, sans badge rien ne va. C'est pourquoi en trouver relève d'un véritable parcours de combattant. Pour s'en procurer tous les moyens sont bons. Y compris les moins avouables. Pour s'en convaincre, il fallait voir la lutte sans merci entre citoyens voulant accéder aux stands de l'exposition et quelques éléments du BASEP renforcés par d'autres de la protection civile. Après plusieurs tentatives de franchir la porte hermétiquement surveillée par les militaires très vigilants, une trentenaire dénonce publiquement la vente des badges à raison de 300 MRU l'un.
Stands variés
Dans les stands de l'exposition du festival de Chinguitty édition 2024 , il y a des couleurs et les goûts pour tout le monde. Du Thiossane (tradition) wolof, aux spécificités des coins et recoins de toute la Mauritanie. Des stands où agriculteurs exposent à d'autres où c'est la résistance ; par-là, les descendants des chérifiens abbassides où leurs prétendus arrière petits-fils se prévalent de quelques manuscrits jaunis par les temps pour justifier à qui veut les croire la justesse de leurs allégations. Il y a le stand des institutions comme l'institut pédagogique national où de très anciens manuels scolaires des années 70 côtoient ceux des années des dernières réformes du système éducatif. Il y a les stands des professionnels de l'artisanat traditionnel. Il y a même le stand des amis de Ghazouani à côté comme par hasard celui de l'école républicaine où un instituteur normalement en abandon de poste tente de vanter les vertus peu évidentes de cette " Medersa El Joumhouriya"
Anecdotique
Comme prévu, le président de la République a accompli la prière du vendredi dans la célèbre mosquée de l'historique cité de Chinguitty. Il a écouté un sermon au goût d'un réquisitoire entouré de quelques ministres, hauts fonctionnaires et notables de la ville. À la fin de l'office religieux, l'ancien premier ministre Moulaye Ould Mohamed Laghdaf n'a pas retrouvé ses chaussures.
À l'exposition, le président s'est arrêté patiemment à tous les stands y compris celui de la Fondation Habib Ould Mahfoudh où les croustillantes chroniques du grand journaliste lui ont été présentées. Parmi les cadeaux qui lui ont été offerts comme de tradition, les superviseurs d'un stand lui ont offert un coussin qui a fait l'objet de beaucoup d'interprétations et de commentaires comme on sait bien en faire en Mauritanie.
Parmi les notables chinguitiens qui ont accueilli le président, il y avait le patriarche Mohamedou Ould Ebnou le bâtisseur du tronçon routier qui porte son nom et qui compte parmi les plus dangereux du pays avec Tinzak (entre Atar et Zouerate), Diowk (Assaba) et Letfetar ( Tagant).
Peshmergas contre troubadours
Comme à toutes les occasions (visitations présidentielles ou festivals), les peshmergas et les troubadours pullulent. Ils investissent les maisons de particuliers et ‘’s'enlèvent les visages’’ à la tribune, à l'exposition et dans les travées de la soirée culturelle pour proposer " leurs services " et au besoin faire le panégyrique de tel ou tel responsable ou élu pour extorquer quelques butins rappelant un célèbre vers de La Fontaine selon lequel la vie de tout flatteur dépend de celui qui l'écoute.
L'art de profiter
Les festivals constituent souvent de bonnes opportunités pour faire de bonnes affaires. Les produits exposés dans les stands sont vendus généralement plus chers que leurs prix normaux. Ainsi, un thé de 3 verres coûte 500 MRU et la petite bouteille d'eau minérale 0,75 l de Taiba est vendue à 50 MRU. Comme quoi. Si l'occasion crée le larron, elle crée aussi le " profitard"
Discussions ridicules
Passer une journée de festival avec des responsables nationaux dont des députés n'est pas peu intéressante. Vous dégusterez un bon méchoui suivi d'un bon plat de couscous ou de riz besmeti selon votre convenance et vous entendrez des choses qui frisent l'incongruité comme les prix des appartements au Maroc ou en Espagne ou encore des indiscrétions sur les vies privées de certains de " ces princes" qui nous gouvernent
Haro sur les préjugés
Comme dans tous les festivals passés (Ouadane, Tichitt, Djéol), le président Mohamed ould Cheikh Ghazouani a demandé un élan national contre les préjugés et les anachronismes sociaux qui constituent une véritable menace à la cohésion sociale. Selon certains, le président n'était pas très à l'aise à la soirée culturelle au point qu'il a quitté précocement ses ‘’numéros’’. Autour de ce retrait impromptu, les supputations et les interprétations ne manquent pas.
Sneiba El Kory
Envoyé spécial