Les mauritaniens peu avertis de ce qui se passe dans ce pays n’arrêtent pas de se poser une même question lancinante : le dialogue entre le pouvoir et l’opposition aura-t-il lieu ? Tous les pôles politiques ont exprimé et réitéré leur bonne disposition à s’asseoir autour d’une table, afin de laver un linge sale dont le ballot ne cesse de grossir, depuis août 2008. La situation marquée par cette méfiance exponentielle, entre lesdits pôles, doit prendre fin ; sinon, tout au moins s’atténuer. Elle pèse aujourd’hui trop lourdement sur l’arène politique et affecte, d’une certaine façon, la vie des populations. Il suffit de citer les difficultés économiques dues à la baisse des recettes minières, sur lesquelles surfe, bien évidemment l’opposition et dont le pouvoir ne peut qu’endosser la responsabilité.
Mais, après avoir proclamé leur bonne disposition à discuter, pour solder la crise d’août 2008, les pôles en présence viennent de se rendre à l’évidence : les belles résolutions ne suffissent point à vaincre la méfiance, il faut aller plus loin. Il revient, au président de la République, de donner des gages à son opposition qui n’accepte, visiblement plus, de faire flouer, comme lors de l’accord de Dakar où toute l’opposition faisait front, et du dialogue de 2011 où seuls quelques-uns de ses partis participaient. C’est là le fond du problème, qui pousse le FNDU à se méfier des avances du pouvoir. Rien ne garantit, en effet, à cette opposition, qu’après avoir signé, solennellement, un accord, le pouvoir l’applique intégralement, demain. Celui de Dakar fut parrainé par la Communauté internationale mais seules la formation d’un gouvernement d’union et l’organisation, en conséquence, d’une présidentielle, en juillet 2009, auront été respectées. Depuis et bien que l’opposition ne cesse de le lui rappeler, ladite Communauté n’a levé le moindre doigt pour « exiger », du président de la République, le respect de la parole donnée à Dakar. L’éclatement de la guerre au nord du Mali et sa floraison de jihadistes ciblant principalement les Occidentaux, particulièrement les Français, sont passés par là. Le rôle joué, par le pouvoir de Nouakchott, a offert, à son président, des entrées à l’Elysée, au Quai d’Orsay et, plus discrètement, à la Maison Blanche, préoccupés qu’ils sont tous par AQMI et, aujourd’hui, Daech. Un grand répit, pour l’actuel président mauritanien. Certains observateurs et autres acteurs politiques s’interrogent, d’ailleurs, sur les raisons qui ont poussé le pouvoir à vouloir dialoguer avec son opposition.
Parmi les réponses avancées, les difficultés économiques figurent en bonne place. Mais pas seulement. La baisse des recettes minières, enregistrée en 2014, a obligé le pouvoir à augmenter la TVA, haussant, du coup, les prix de certains produits vitaux, et provoqué, à la SNIM, la plus importante société minière du pays, une grève dure, aux conséquences imprévisibles. On parle de « paralysie » de la production du fer et de « graves problèmes », au niveau des banques de Zouérate, la cité minière du Nord. Cette grogne des mineurs risque fort, comme le redoutent certains, de faire boule de neige dans d’autres secteurs. De plus et en dépit des efforts réalisés en matière d’infrastructures et de lutte contre la gabegie, on sent, depuis quelques années, monter, dans le pays, comme une espèce de « malaise ». On accuse le pouvoir d’avoir favorisé un groupe restreint d’hommes d’affaires, au détriment de la majorité.
Ce serait, croient certains observateurs, pour contrer cet état d’esprit et occuper le terrain que le président de la République multiplie les sorties fortement médiatisées : « visitations » à l’intérieur du pays, voyages à l’étranger, rencontres « avec le peuple »… Au niveau politique, même si le principal parti de la majorité présidentielle, l’UPR, tente de sortir de sa torpeur, depuis l’arrivée à ses commandes de maître Ould Maham, il peine à ratisser l’espace et soutenir activement la politique gouvernementale. On la constate même aphone, dans la perspective du dialogue. Ne parlons pas du reste de ses « satellites ». Cette espèce d’effacement, pour ne pas dire « marginalisation », semble atteindre le gouvernement : comment un de ses membres, son porte-parole, en l’occurrence, peut-il faire un croc-en-jambe au président de la République lui-même, en affirmant qu’il n’y aura pas de préalables au dialogue en gestation ? Dissonance ou dérapage ?
Le président de la République avait bel et bien évoqué en substance, à Chinguetti, un dialogue inclusif, sans préalables. Une évolution fort remarquée, au FNDU où le débat, sur l’opportunité d’engager le dialogue, reste vif ; certains le jugeant inapproprié, alors que le pouvoir se débat dans d’énormes difficultés et qu’il conviendrait, plutôt, de s’en démarquer, tandis que d’autres considèrent que c’est précisément, le meilleur moment pour obtenir un maximum de concessions.
Des « préalables » du RFD
Si, aujourd’hui, les préparatifs du dialogue semblent traîner, c’est, aussi, à cause des préalables que le RFD a posés, lors du comité mis en place, par le FNDU, pour harmoniser sa position et préparer une réponse à l’offre du pouvoir. La commission y travaille depuis quelques semaines, actualisant, notamment, son ancienne plate-forme de 2011. C’est dans ce cadre que le RFD, accusé de faire « obstruction » au dialogue en gestation, a versé des éléments nouveaux au dossier. Parmi ces propositions figurent, entre autres, la dissolution du BAtaillon de SEcurité Présidentielle (BASEP), la garde prétorienne du président Mohamed ould Abdel Aziz, et la déclaration de son patrimoine, ainsi que de celui de certains de ses proches… Des points retenus lors de la réunion du bureau exécutif du parti que préside Ahmed ould Daddah. Le RFD se méfie d’un semblant de dialogue qui viserait à légitimer le pouvoir en place. Aussi a-t-il adopté une position de réserve, légitime, du reste, quand on envisage de dialoguer avec un interlocuteur « imprévisible », sans réel rapport de force en faveur de l’opposition. Cette stratégie va-t-elle payer ?
Pour l’instant, ces propositions accentuent les divergences de points de vue, au sein du FNDU partagé entre deux courants : ceux qui seraient pressés d’aller au dialogue et ceux qui y demeurent réticents. Voilà pourquoi le comité technique peine tant à formuler une réponse consensuelle. Selon certaines sources, s’il rejette certains préalables du RFD, il tient, également, à conserver ce parti dans ses rangs. Toujours selon ces sources, le RFD accepterait de remettre à plus tard la dissolution du BASEP mais tiendrait à la baisse immédiate des prix des produits de première nécessité, la libération des prisonniers d’opinion, l’ouverture des media publics aux partis d’opposition et la déclaration du patrimoine, comme l’exige la Constitution, du chef de l’Etat et de certains de ses proches.
En tout état de cause, le boycott du dialogue, par le RFD, évoqué, çà et là dans la presse, depuis quelques jours, affecterait immanquablement son impact. Quoiqu’on dise, le RFD, que dirige le principal opposant depuis 1992, reste un des partis les plus populaires et les mieux implantés du pays. C’est bien conscient de cela que le pouvoir n’a eu de cesse, depuis 2011, de chercher à l’embarquer dans le dialogue, avec l’UFP et Tawassoul.
Visite « inopportune »
C’est au moment où les protagonistes peinent à nouer le fil du dialogue que le gouvernement annonce une tournée présidentielle dans les deux Hodhs. Une « visitation » qu’un leader du FNDU qualifie d’« inopportune », ne visant qu’à détourner l’opinion de la situation critique du pays. « Au lieu d’apporter des solutions à la crise politique et économique que vivent les populations de l’intérieur, victimes d’un déficit pluviométrique aux conséquences imprévisibles, le président de la République fait diversion, s’attelant à démontrer que le pays se porte très bien ». Une critique amplement partagée par le RFD qui a publié un communiqué déplorant la situation socio-économique critique dans l’arrière-pays. De fait, plusieurs autres leaders de l’opposition préféreraient que le Président se concentre sur le dialogue auquel il a appelé depuis quelques mois, au lieu d’aller « se divertir » aux Hodhs. Les visites présidentielles sont, comme tout le monde le sait, des occasions de fastueuses dépenses des deniers publics et privés. Ces derniers trouveront toujours l’occasion de se faire rembourser, à fort prix, tandis que les populations ne verront, elles, que belles voitures et nuages de poussière...
Dalay Lam