Mon premier mot anglais
New York, New Delhi, depuis mon enfance, je me suis familiarisé avec les noms de ces deux métropoles à travers Radio Mauritanie et autres stations radios internationales. « New » au sens de nouveau au masculin ou nouvelle au féminin, serait probablement mon premier mot appris de l’anglais à travers les noms de ces deux villes. On citait également New Delhi capitale de l’Inde, Brasilia capitale du Brésil et Nouakchott capitale de la Mauritanie, nouvelles créations, comme étant les plus jeunes capitales du monde au début des années 1960. New Delhi était souvent traduit en arabe au sens de « Delhi eljedida: le nouveau Delhi ». J’apprendrai plus tard que New York voulait dire aussi « le nouveau York », York, une ville d’Angleterre.
Au tout début de notre sédentarisation
Donc on peut appliquer la même règle à notre Teichtayatt. Il y a donc Teichtayatt historique et « New Teichtayatt » ou nouveau Teichtayatt, en se référant à sa nouvelle localisation. Voyons le récit de notre nouvelle «capitale » après « Badhi », le puits traditionnel, « la capitale » historique qui a vu la naissance de notre collectivité.
Un lieu aux noms changeants
Depuis le début des années 1980, le nom de notre collectivité était lié à la localité de Teichtayatt, situé juste au bord du lac Rkiz et à quelques vingt kilomètres de la ville de Rkiz qui porte son nom. Le lieu Teichtayatt portait bien avant le nom de: « Teichtayatt Ehel Elkharrachi » ou Teichtayatt de la famille Ehel Elkharrachi, une famille originaire des environs de Mederdra. Cette famille s’était appropriée le nom lorsqu’elle a duré dans ce lieu dans sa nomadisation.
Les contraintes du nomadisme
Auparavant, nos parents, contraints aussi par le nomadisme, se déplaçaient constamment à la recherche de pâturages derrière leurs troupeaux de bovins, ovins et caprins. Avant l’ouverture de l’école, leur zone de pâturage balayait un immense espace s’étendant sur un rayon d’une bonne quarantaine de kilomètres.
Avec l’ouverture de l’école moderne en 1968, les gens se voyaient obligés de ne plus trop s’éloigner. Dans un premier temps, l’école se déplaçait avec le campement dans sa transhumance. Les élèves apprenaient des fois sous une tente, des fois dans un hangar. Nos parents finirent par construire des classes tout près des boutiques situées au niveau du vrai lieu de Teichtayatt, juste au bord du lac Rkiz à quelques deux kilomètres du lieu choisi pour se fixer définitivement. Le lieu porte le nom de Kraa Laajoule ou « le bras d’eau pour la transhumance des veaux ».
À la recherche de l’eau potable
Avant de se fixer dans ce lieu, ils avaient cherché désespérément un point d’eau potable non loin de la localité des Teichtayatt historique, là où les bâtiments abritant l’école étaient déjà construits. Pourtant selon l’avis du doyen d’âge à l’époque, Bouna Ould Ahbeyib, 93 ans environ, le dernier chef général du village au temps colonial, il était absolument inutile de chercher de l’eau potable dans les environs immédiats de la localité de Teichtayatt historique. Conformément à l’avis du doyen Bouna, un certain nombre de jeunes m’accompagnent dans la zone de Kraa Laajoul. On se mit à chercher de l’eau potable dans un lieu qu’il nous a indiqué.
La découverte de « Loumeyleh »
Un groupe d’hommes était opposé à notre entreprise. Parmi eux l’oncle Isselmou (propriétaire d’une boutique au lieu de Teichtayatt historique) et ses amis Khattri et Danni. Ils étaient allés jusqu’à demander la baraka d’un prétendu marabout. Celui-ci leur cracha dans un lieu non loin de Teichtayatt historique. Il leur jura qu’ils y trouveront la meilleure eau de la terre après celle de l’eau sacrée de « Zemzem » a la Mecque en Arabie Saoudite.
Ils avaient loué le service d’un creuseur (un foreur) ; celui-ci se mit aussitôt en besogne. Dans toute cette zone, tout près du lac Rkiz, l’eau se situe juste à quelques mètres de la surface. Après quelques heures, celui-ci leur annonça ce qui devrait être la bonne nouvelle. Après un dernier coup de pic l’eau jaillit du sous-sol. Il en remplit un petit récipient pour le leur tendre. Ils se mirent à goûter ; spontanément chacun cracha sa gorgée d’eau. Le degré de salinité rendait l’eau inconsommable. Le creuseur sortit précipitamment du trou ; Ils se mirent à se regarder sans commentaire. La déception se lisait sur leurs visages. Le marabout se déroba à la sauvette sans laisser de traces. Après quelques instants d’hésitation, ils se levèrent et quittèrent le maudit lieu en direction du campement situé juste à côté.
En route, un silence de marbre dominait le petit cortège. Fidèle à leur sens légendaire d’humour, Khattri et Danni rompirent le silence. Khattri sortit une boîte d’allumette ; il se mit à taper dessus avec ses doigts tout en provoquant un certain rythme musical. Danni se mit à danser et à chanter. Tous les deux reprirent le même chant et la même danse: « ya wenni ara i loumeyleh ! ». Littéralement: « et voilà nous avons retrouvé notre puits à l’eau salée ». Une chanson célèbre. Au sens figuré le mot «lemeyleh » peut aussi être interprété au sens de « mignon », quelqu’un qui a du goût, du sel contrairement à celui qui en manque, celui qui est sans goût, sans sel, souvent répugnant.
Peu de temps après, l’eau potable fut découverte dans le lieu indiqué par le doyen Bouna.
Notre « Freetown » ou « Libreville »
Ce sera le début de fixation définitive de notre collectivité. Le nom de Teichtayatt sera affecté à la localité de Kraa Laajoule pour de bon. Un mouvement d’urbanisation accéléré suivra. Progressivement notre Teichtayatt, en accueillant de nombreuses familles et individus de condition esclave, se transforma en une sorte de « Libreville » ou « Freetown».
(À suivre)