Mariages prépayés : « Faites votre choix, on s’occupe du reste ! »

11 September, 2024 - 19:08

La récente initiative lancée par l’Union Nationale du Patronat Mauritanien (UNPM) visant à promouvoir une « Charte pour la rationalisation des cérémonies de mariage » a provoqué une onde de terribles critiques. Simplement parce que cette initiative soulève de très nombreuses questions. Comme l’a dit le quotidien de Nouakchott dans sa publication du 30 Août 2024, « le débat a été très houleux, tant sur le contenu de l’initiative que sur sa légitimité même ». De toute évidence, la démarche initiée par le chef des chefs de toutes les composantes du patronat sort cette honorable institution des balises de sa mission. Issu de l’Assaba, le jeune homme d‘affaires qui a rempli ses poches dans l’informatique, le système bancaire, le BTP, l’Équipement, l’Hydraulique, l’Énergie, le matériel médical, la voierie, la téléphonie fixe et mobile, le foncier et l’agroalimentaire se tourne maintenant vers le matrimonial.

Zeïne El Abidine suggère ainsi à cinquante jeunes de se marier et il promet à chacun de ces heureux élus de cette « loterie » une enveloppe d’un million d’ouguiyas anciennes afin de couvrir les charges récurrentes de cette union pour le meilleur… et pour l’argent. Véritable rêve de fée, la proposition du patron des patrons nous rappelle la fameuse téléréalité « Fort Boyard » proposée par une chaîne de télévision française où des équipes souvent mixtes – garçons et filles – s’affrontent dans des épreuves pour gagner le gros lot. Sauf qu’ici, chez nous, cette partie inédite va « unir » cinquante filles à cinquante garçons pour une partie de plaisir, avec sortie de nuit de noces honorable, emploi garanti, un million par couple pour l’équipement ménager et les petits caprices de ces couples « Tik Tok » et « Instagram ». Bref, le rêve de tout jeune de la génération W.

« En tant qu’organisation représentant les intérêts des entreprises et des employeurs, l’UNPM n’a pas vocation », avance l’un de nos confrères, « à s’immiscer dans les aspects culturels ou religieux de la société ». Et il ajoute : « Le texte de cette charte est non seulement mal écrit mais aussi trop vague pour avoir une quelconque valeur contraignante ». Peut-être que cette charte n’a aucune valeur contraignante, mais elle a en quand même une… alléchante.  Très alléchante même. C’est du jamais vu dans un pays où le mariage est parfois, pour les grands comme pour les petits, plutôt une « partie de plaisir » dont la durée ne peut jamais être déterminée, dépendant de la bonne humeur de l’un ou de l’autre des éléments du couple.

C’est quand même curieux. Curieux que ce soient les hommes d’affaires qui appellent à la retenue dans les dépenses de mariage ; eux dont les filles et les garçons se marient à coups de dizaines de millions, dont plusieurs pour une seule artiste-vedette, autant le clip des mariés, idem pour les gordiguènes  et passent, souvent en « mal de sexe »,   leurs nuits de miel à Istamboul, Las Palmas, Doha ou Dubai ! 

 

« Mariez-vous ! on paye la facture… »

Comment donc le patronat compte s’y prendre pour que sa « récompense » soit dissuasive, dans un pays comme le nôtre, soumis depuis toujours à une forte instabilité dans les mariages ? Selon une étude réalisée par le démographe Mohamed Lemine Salem ould Mouch’taba en Mars 2002, 37,2% des premiers mariages, en notre réputé pays musulman, finissent par être rompus et 18,7% de ceux dont la durée de vie est inférieure à cinq ans finissent par un divorce. Hé oui : la Mauritanie est le pays dont le taux de divorce est le plus élevé du monde arabe. Serait-ce ce constat qui a poussé les hommes d’affaires à essayer de jouer au « boomerang » avec notre argent – souvent mal acquis… – pour lancer des jeunes dans ce mariage-standard, véritable aventure à multiples inconnues ?

Pour le professeur Lô Gourmo, l'argent « outrageusement gaspillé lors des cérémonies de mariages et autres frivolités, y compris les montants faramineux de la dot, n'est pas, dans la plupart des cas, le fruit du travail de ceux qui le dilapident ». L’éminent avocat considère que l’argent investi dans les mariages est généralement « de l'argent volé au peuple, par les mille et un moyens que permettent le statut social surélevé et les connections aux réseaux de corruption, trafic d'influence, détournement de deniers publics, abus de biens sociaux, blanchiment en tous genres, accaparement et spoliation des biens d'autrui, sur fond de marchés trafiqués et monopolisés et de justice tenue en laisse par les mêmes mafieux qui en tirent les ficelles ». Un constat tout-à-fait en accord avec celui de la célèbre intellectuelle artiste Tahra mint Hembara, technocrate, sociologue et politologue.

 

Quand une artiste se démarque du mariage incitatif

Pour cette dame, « le mariage n’est pas la priorité des jeunes mauritaniens qui exposent depuis des mois leur vie à tous les risques et périls, en se portant candidat à l’aventure dangereuse de l’immigration illégale ou en parcourant des centaines de kilomètres dans l’espoir de sauter le mur mexicain ». Tahra considère que l’initiative du patronat souffre de graves insuffisances et qu’elle pourrait même être taxée « d’impudeur ». Pour elle, elle résulte peut-être d‘un tâtonnement en quête de solutions aux problèmes prioritaires des jeunes dont beaucoup se tuent, en ordre dispersé, sur les routes dangereuses de l’immigration, en quête de conditions de vie meilleures, et reste une copie à revoir.

Des questions se posent en effet. Si les candidats à ces « mariages incitatifs » se révélaient nombreux, comment le patron des patrons et les adhérents à l’initiative de son organisation comptent-ils organiser, dans la pratique, « un contexte légal » qui permettrait de sélectionner les heureux gagnants ? Sur quelle base seront-ils choisis ? Dans quels milieux communautaires et sur la base de quels critères ? Il faudrait peut-être même s’interroger plus avant : les mariages subventionnés par le patronat seront-ils des contrats CDI (Comptoir de distribution informatique) ou CDI (Contrats à durée indéterminée) ? Dans les deux cas, ils ne seront pas bons, parce qu’il faut des mariages contraignants pour assurer la longévité des couples.

Plutôt que d’injecter des millions dans la sexualité juvénile, Zeïne ould Abidine, aurait, selon certains, mieux fait de subventionner cinquante familles pour la longévité dans le mariage et décourager ainsi les divorces qui se prononcent parfois sans appel, de n’importe quelle manière et en dehors de tout cadre légal. En tout cas et pour mieux comprendre dans quel bourbier nos riches veulent tenter de lancer nos pauvres, peut-être faudrait-il laisser le mot de la fin au brillant éditorialiste et directeur du journal de référence « Le Calame », Ahmed Ould Cheikh, qui a si bien écrit, frappant le fer tant qu’il était chaud : « Faut-il  applaudir l’initiative, en rire ou en pleurer ? Le problème de notre jeunesse se résume donc, selon notre patronat éclairé, aux difficultés de se marier. Certes, à chacun ses soucis. Tout comme les problèmes du peuple se limitent, selon notre gouvernement, au ciment et au poulet ». À vos choix de mariées : l’union sacrée sera « prépayée » par d’autres.

 

Mohamed ould Chighali

Journaliste indépendant