Le dénouement des péripéties de la route
Un taxi me déposa donc devant le grand portail du logement du Wali, un bâtiment contigu aux bureaux de la wilaya. Aussitôt les gardes m’annoncèrent à la famille du Wali Nahah. Puis ils m’ouvrirent la porte. Les «Ssalamou Aleykoum » d’usage, terminés je déposais mon sac dans un coin. Puis je m’étais dirigé tout droit vers le bureau du wali. La vitre de la double-porte refléta mon ombre devant le wali, assis derrière son majestueux bureau. Il se pressa dans ma direction. Ouvrant grand ses longs bras pour moi, il cria (avec l’ironie qui le caractérisait): « Marhaba ! Les gens d’Akjoujt disaient de lui qu’il distribue autant de Marhaba que de vivres en période de sécheresse.
L’homme du 16 mars
« Enfin voilà l’homme du 16 mars qui s’engouffrait dans la gueule du loup ! ». Pour Mohamed, mon arrivée tombait comme une bénédiction divine. C’était tout ce qu’il souhaitait. J’avais tout compris. En entier, le film des péripéties de la route se déroula devant moi. Il m’enferma dans son bureau. Il m’expliqua tout. Il me rappela notre séjour commun à Akjoujt, une année avant, lui, comme hakem ; moi, comme enseignant. Il me rappela les palabres quotidiennes sur la situation politique dans le pays au sein de la petite communauté des fonctionnaires de la ville.
Comment brouiller les cartes
Deux opinions nous opposaient. On peut les schématiser de différentes manières: « pro-marocains et anti-marocains », « pro-Polisario ou pro-algérien ou anti-Polisario et anti-algérien ». Plus concrètement: les partisans de la continuation de la guerre du Sahara et ceux opposés à cette option.
Mohamed me rappela qu’à l’époque il m’avait toujours mis en garde contre un haut fonctionnaire, un septuagénaire à quelques mois de la retraite, chargé d’une mission de renseignements. Il me rappela aussi que tout indiquait que celui-ci n’avait jamais cessé d’informer sur moi en me prêtant une opinion différente de la mienne. Comme le régime en place n’était pas favorable au Maroc, le bonhomme me présentait comme un pro-marocain, alors que je défendais toujours le point de vue contraire au sien, qui était farouchement favorable au Maroc.
Il semblait, selon Mohamed, que beaucoup d’agents de renseignements avaient joué sciemment la confusion pour brouiller les cartes en cas d’une mauvaise tournure des événements. Les listes des suspects, appelés à être arrêtés en cas d’échec de l’opération commando du 16 mars, sont truffées de noms d’innocents qui n’avaient rien à avoir avec le monde des gens favorables au Maroc et nostalgiques de l’ancien régime.
Comment mon retard me sauva de justesse
« Au dernier moment, on s’était rendu compte de cette supercherie », expliqua Ould Nnahah. « L’ordre fut donné d’arrêter immédiatement toutes nouvelles interpellations et de procéder aux vérifications de nombreux cas déjà sous les verrous », ajouta-il. « Si tu avais voyagé un peu plus tôt tu n’aurais pas pu échapper aux griffes de la police », conclut-il. Il semblait aussi qu’on m’avait bien cherché à Akjoujtt avant mon escale et avant surtout l’ordre d’arrêter les poursuites. Manifestement, notre police n’était pas au courant de ma mutation à Atar.
La mésaventure de mon ami Fall Alioune
A Rosso, j’avais raconté à mon ami, feu Fall Alioune, mon incident avec la police d’entrée de Rosso. Il me regardait ébahi. Puis brusquement il lâcha : « Mon cher ami, tu sais que j’ai failli être arrêté par le même poste ! ». Puis il enchaina : « je suis rentré de Nouakchott deux à trois jours après le 16 mars. Arrivé à ce poste de police, ils procédèrent à la fouille systématique de tous les passagers de notre taxi. Après ils ordonnèrent à tous, sauf moi, de regagner le taxi avec leurs bagages.
Le véhicule rentra à Rosso sans moi. Ils me signifièrent que j’étais recherché et qu’ils avaient l’ordre de m’arrêter. Je demandai au policier de me montrer mon nom sur une liste en sa possession. La liste était écrite en arabe et l’agent de police était apparemment arabophone. Pourtant il lisait l’arabe avec difficultés. Je lui demandais de me lire mon nom. Il lisait difficilement : « Fa..l..l.. A..l..ou..ne ».
Je saisis l’occasion. Je lui dis : « ça ce n’est pas mon nom ! Moi, je suis Fall Alioune et toi, tu as Fall Aloune ! ». « Mon cœur battait comme un tonnerre », indiqua Fall Alioune. « Le policier hésita un moment avant de m’ordonner de partir », conclut-il. En fait il fut sauvé par l’absence dans son nom d’un simple « i » ou « kasra » en arabe. En réalité, la chance de Fall Alioune se situait ailleurs : il appartenait à la communauté négro-africaine. Celle-ci était loin d’être impliquée du côté marocain. Notre police nous avait habitués à orienter sa répression en fonction de la couleur de l’ethnie suspecte.
La malédiction de la couleur de la peau
Durant la période de la guerre du Sahara, les teints clairs étaient la cible favorite. Ils sont assimilés aux Sahraouis du Polisario. Les événements du 16 mars impliquaient essentiellement des personnes de souche maure. Plus tard, au cours des événements de 1989, les populations négro-africaines vont beaucoup souffrir de leur appartenance ethnique.
Le lendemain je débarquai à Teichtayatt. J’y ai dormi tranquillement. Je ne me rappelle plus si mes cauchemars d’Atar m’avaient accompagné ou pas ; peut-être que je m’en suis débarrassé en route. L’absence de mauvais souvenirs de mon séjour chez moi pourrait suffire comme preuve. Pour l’occasion informons-nous un peu sur Teichtayatt: notre nouvelle capitale.
(À suivre)