Depuis un demi-siècle, on se cherche en cherchant éperdument l’homme qui redonnera l’espoir à la Mauritanie des incertitudes. Ces hommes bleus issus des grands espaces et habitués à traverser les immensités désertiques s’obligent à de plus en plus de patience. La paradoxale alternance entre les chars et les urnes a fatalement amené l’espoir, la déception et l’espérance à se succéder indéfiniment. L’avant-dernière péripétie en date éleva, on le sait, un homme qui surfait sur la vague kaki qui n’avait cessé de déferler sur l’Afrique, à peine levé l’éphémère soleil des « indépendances néocoloniales ». Coriace et fonceur, presque impavide, il se présenta en Robin des bois arrachant aux riches pour donner aux pauvres. À la fin d’une décade fort controversée, la fameuse « Achriya », son propre gouvernement et ses généraux décidèrent, sans grands remords, de le juger et de l’enfermer pour un quinquennat sous les verrous. Ainsi tombèrent les rideaux.
Sept travaux d’Hercule
Exit MOAA, le général Al Ghazouani apparaît. « Aziz », pour les intimes, est remplacé par son ami de quarante ans. Cultivé et doté d’une grande capacité d’écoute, qualité cardinale pour tout leader, le nouvel homme fort a tout pour réussir. Porté dans les fonts baptismaux du soufisme et recyclé dans un enseignement moderne de haute facture, il paraît en effet le cadre accompli pour la remontée en puissance d’un pays regorgeant de ressources halieutiques et minières, à l’image du « scandale géologique » du Congo-Kinshassa. Nonobstant le contexte particulier qui a accompagné son premier mandat : COVID, procès-fleuve de la Décennie, etc. ; des réalisations d’un certain format ont été enregistrées.
Puis, candidat à sa propre succession, il a remporté, sans grande surprise, sa seconde présidentielle en dépit d’une tension protéiforme. En l’attente du changement depuis si longtemps promis, tout le monde était accroché à ses lèvres pour connaître le nom de son nouveau Premier ministre – du moins, le premier des ministres… – appelé à exécuter les sept travaux d’Hercule, notamment le nettoyage des écuries d’Augias. Après une semaine d’attente, et au grand dam de nombre de gens de tous bords, Al Ghazouani a sorti de son chapeau un relativement jeune homme du sérail : Moctar Ould Diaye. On n’a pas trouvé mieux que lui pour gouverner « le quinquennat de la jeunesse ». Comment, d’aucuns se demandent, l’homme le plus controversé de la décennie azizienne va-t-il relever tant de défis aussi prégnants que préoccupants ? Précoce, il a accumulé une forte expérience en peu de temps. Discipliné devant l’Éternel, il est le commis rêvé par un chef d’État en manque de bulldozer. Ceux qui ont vilipendé le président Al Ghazouani pour l’avoir adoubé auraient tort : on ne choisit pas plus à un homme sa femme, qu’à un chef d’État ses hommes de confiance. Sachant que son DIRCAB est trop décrié, à tort ou à raison, le Président avait certainement une bonne raison de le nommer.
Au Maroc, on raconte à cet égard l’anecdote suivante : le prince héritier Sidi Mohamed fut impliqué dans un accident de la circulation. À son père le roi Hassan II qui le réprimandait : « pourquoi cet excès de vitesse ? », il rétorqua : « Non, je n’ai rien fait de la sorte ! – Si », bougonna le Roi, « Al Bassri me l’a dit. – Vous donnez raison au ministre de l’Intérieur », répliqua, agacé, son fils, « alors que je suis le Prince héritier ?– Détrompez-vous », conclut le Roi, « c’est mon ministre et j’ai confiance en lui, sinon il ne serait pas tel ; quand tu seras le Roi, c’est ainsi que tu choisiras ton ministre ». Et, à peine intronisé, le roi Sidi Mohamed VI nomma au ministère de l’Intérieur, Chakib Ben Moussa, son condisciple du Lycée royal…
Le viatique de toujours
Bref : pour nous, ce fut, si l’on peut dire, une tempête dans un verre d’eau : « l’espoir des désespérés » est déjà à la manœuvre. Quoiqu’il soit hardi et enhardi par une victoire remportée sur ses détracteurs qui ne voulaient pas le voir plastronner, la tâche est ardue et les critiques acerbes fusent déjà : « Au lieu de négocier avec les cimentiers, ne vaudrait-il pas mieux qu’il discute avec les « alimentiers » ? » En contribution à son ouvrage, le Patronat adopte une politique visant à marier les jeunes nubiles : « Fifrelin ! », lance-t-on… Et, certes, il devra marcher sur des œufs, même si, courageux et déluré, voire téméraire, il sait aussi les casser. Celui qui se veut le deus ex machina de la grande cuisine fera bien sûr des omelettes… mais probablement moins qu’il en voudrait. Et pour cause, ses détracteurs et concurrents préparent déjà la contre-mobilité, nombriliste peu soucieux qu’ils sont de l’intérêt national.
Sous huitaine, il doit présenter devant « les honorables députés » sa déclaration de politique générale. Aura-t-on de nouveau droit à un copier-coller, comme l’on fait ses seize prédécesseurs ? Va-t-il nous lire un florilège des différents domaines prévisionnels d’activités ? Espérons que non ! La nouvelle « trentaine glorieuse gouvernementale» nous promet de lutter contre la gabegie financière… et donc de résister elle-même à la tentation de la gestion patrimoniale marquée par la confusion entre sa poche et la caisse du contribuable. Nous écoutons, crédules, pour être politiquement corrects. Plus cruciale est la lutte contre la mauvaise gestion des ressources humaines. Si le nouveau PM ne valorise pas les vrais diplômes et l’expérience, faisant obligatoirement fi des dosages régionaux, ethniques et tribaux et de la discrimination prétendument positive, les uns et l’autre mal concoctés, il est fort à parier qu’on perdra l’espoir, se rabattant, en désespoir de cause, sur l’espérance, notre viatique de toujours…