La Chambre de commerce : Un passé, un présent et sans doute un futur

21 August, 2024 - 18:16

Depuis quelques temps, c’est devenu une tradition ; une coutume même : chaque institution affiche les effigies de tous les responsables qui se sont succédé à sa tête. Une sauvegarde de sa mémoire, en quelque sorte. Exercice difficile pour un pays où les archives des administrations publiques finissent généralement en emballages de sandwichs de la vendeuse sénégalaise, ou des beignets de la vendeuse voilée de Guinée.

Les archives de la Mauritanie sont en perdition. Depuis que des bédouins se sont infiltrés dans les rouages de l’État (1966), tous les malheurs se sont accumulés pour ce pays qui a basculé sans aucune forme de procès dans une arabisation à outrance ; les fonctionnaires recrutés sur pressions tribales ou raciales ont fait des archives de nos institutions leur dernier souci.

Un jour, je me rendis au ministère de la Santé, pour l’institution où je travaillais alors, afin de récupérer un document d’une importance capitale. J’ai été redirigé au sous-sol du département où les archives étaient déversées pêle-mêle, dans un sens dessus dessous épouvantable. En ce lieu mal éclairé, au milieu du tas de paperasses, un planton faisait du thé pour le vendre dans les couloirs du ministère. Je fouillais dans les classeurs empilés n’importe comment, tandis que, juste à côté de moi, des « goueïras », ces chèvres laitières qui envahissaient les Blocs, broutaient dans les documents déversés à même le sol. Depuis ce jour, je ne pus penser qu’ailleurs, en quelqu’autre institution publique, les archives pussent connaître meilleur sort que cette destruction de notre mémoire nationale...

 

Des portraits qui racontent un passé glorieux

Pourtant cette mémoire, on peut parfois la retrouver dans certains établissements publics. Par exemple, à la Chambre de Commerce et de l’Industrie. Sur l’une des façades du mur du hall de son entrée sont exposés les portraits des responsables qui ont dirigé cette honorable institution depuis l’indépendance de notre pays en 1960. Ils sont au nombre de huit. Huit hommes, huit personnalités publiques des plus célèbres de celui-ci. Leurs noms résonnent à eux seuls comme le chant de la noblesse de la vraie administration laissée en héritage par le premier gouvernement mauritanien, héritage dont malheureusement les vestiges ont disparu au fil du temps, effrités par la mauvaise gouvernance des responsables de la nouvelle génération de commis de l’État, minés par la corruption, la gabegie, l’ignorance et l’irresponsabilité.

 

Des maures et des noirs, espèces en voie de disparition

Celui qui tient la tête des huit fut un grand chef. Même un très grand chef. Son nom évoque la grandeur, la noblesse, la valeur aristocratique et morale de la politique de ce pays. Sa signature est apposée sur l’acte officiel proclamant la fondation de la République Islamique de Mauritanie, acte qui finalisait la délibération 284 du 28 Novembre 1958 donnant naissance à ce pays aujourd’hui souffrant de convulsions multiples.

Sidi El Mokhtar N'Diaye, né à Atar en 1916 et décédé à Saint-Louis du Sénégal en 1997. Dans la réalité et même si on ne le dit pas ou ne veut pas le dire, Sidi El Mokhtar N'Diaye fut le Père fondateur de la Nation. Celui qui était à la fois un noir et un blanc, deux couleurs confondues dans l’expression réelle de l’unité nationale, dort en paix et l’au-delà depuis 1997. Premier président de notre Assemblée nationale, de Mai 1959 à Mars 1961 il fut en suivant le premier président de la Chambre de Commerce et de l’Industrie de notre pays, de 1962 à 1966.

En 1966, Sidi El Moctar N’Diaye passa le témoin à Ahmed ould Daddah. 82 ans cette année, originaire de Boutilimitt,  licencié en sciences économiques (Paris),  diplôme d’Études Supérieures obtenu au Sénégal, gouverneur de la Banque Centrale de Mauritanie de 1973 à 1978, ministre des Finances et du Commerce de 1978 à 1978,  expert et spécialiste en économie…  Premier fonctionnaire mauritanien au sein de la Banque mondiale, Ahmed ould Daddah est l’un des rares mauritaniens qui n’ont, durant toute leur carrière, jamais été impliqués, ni de près ni de loin, dans une malversation quelconque ou détournement de deniers publics, ni jamais accusés d’une quelconque malhonnêteté morale ou intellectuelle tout au long de leur parcours professionnel et politique. Ahmed ould Daddah est né honnête, sage, consciencieux et le restera jusqu’à la fin de ses jours.

Et comme à la tête de cette honorable institution les présidents se suivent et se ressemblent, un autre mauritanien d’une très grande valeur morale prit le relais d’Ahmed ould Daddah : Mohamed Salem ould M’Kheïtratt, une valeur nationale inestimable. Peu connu du grand public, Ould M’Khaïtratt fut une valeur ajoutée à la bonne gouvernance des années dorées de l’administration mauritanienne. Ministre de l’époque des grands pionniers de l’Administration postcoloniale, il a écrit en lettres d’or son nom sur la liste des mauritaniens appartenant à cette classe de grande valeur morale et intellectuelle. Son nom résonne encore en écho dans les couloirs de l’auguste institution.

Et, comme aussi notre Chambre de Commerce et de l’Industrie est une lignée de personnalités mauritaniennes de grandes valeurs morales, intellectuelles et professionnelles, Ould M’Kheïtratt a passé à son tour passé le témoin très propre à Bâ Abdel Aziz, ancien ambassadeur (que sa mémoire repose en paix !). Si je devais décrire le profil de cet homme pas comme les autres, il me manquerait toujours des mots pour en dessiner le portrait. Généreux et très honnête, Bâ Abdel Aziz était un homme dont la grandeur sociale était immense et connue de tous.

Cinquième sur la liste de ces mauritaniens de renommée qui ont marqué de leur encre indélébile le passé glorieux de la Chambre de Commerce et de l’Industrie, Yahya Kane. Parlementaire, administrateur, homme politique, il fut l’un des hommes-clés de l’accession de notre pays à l’indépendance. Élu député du Guidimakha en 1951, monsieur Kane a, depuis cette date, joué un rôle déterminant dans la vie politique et administrative de notre nation.

C’est lui qui disait, s’adressant à la génération actuelle : « les aînés se sont sacrifiés pour ce pays. Ils n’avaient en tête que l’intérêt général et ne cherchaient point à s’enrichir. Nous sommes tous sortis des affaires publiques la tête haute. Nous n’étions mus que par l’intérêt national et le développement de la Mauritanie. Souhaitons que nos cadets prennent la relève ».  Élu peu avant l’indépendance sur la liste du parti UPM (Union progressiste de Mauritanie) de Sidi El Moctar N’Diaye, Kane Yahya avait joué dans sa jeunesse un rôle déterminant dans la lutte pour notre indépendance.

Fils d’un éminent cadi, il était un mauritanien confondu, à la fois dans sa communauté négro-africaine et celle arabo-berbère, par un comportement qui fut déterminant dans notre quête de cohésion nationale. Yahya Kane présida la Chambre de Commerce de 1984 à 1986. Puis il passa les commandes à Hamoud ould Ahmedou, ancien ministre, ancien président de l'Assemblée nationale, ancien membre du Bureau politique national, un des pionniers de la Mauritanie post-coloniale et naissante.  Un homme honnête, élevé dans la pure tradition de la bonne éducation aristocratique. Compétent, conscient et responsable, il propulsa la Chambre de commerce vers des horizons nouveaux qui tranchaient avec les méthodes dépassées pour susciter un environnement favorable au développement de l’Institution qu’il dirigea de 1987 à 2003.

Dans la logique de la continuité dans la voie du développement, il passa le témoin à Mohamedou ould Mohamed Mahmoud, ancien ministre, qui présida aux destinées de la Chambre jusqu’à 2017. Après deux mandats qui propulsèrent celle-ci dans l’ère des technologies de la communication et de l’information, Ould Mohamed Mahmoud passe le témoin à Ahmed Baba Ould Éleya. C’est à Mohamedou ould Mohamed Mahmoud que la Chambre de Commerce doit une innovation capitale : la fondation de douze commissions techniques qui facilitèrent l’adhésion d’un très grand nombre de jeunes entrepreneurs et l’attraction d’opérateurs économiques étrangers qui ont bénéficié du statut de partenaires à part entière. Mohamedou ould Mohamed Mahmoud aura réussi à transformer profondément l’Institution en faisant d’elle un outil capable d’épauler le développement du pays, de jouer pleinement son rôle d’interface public/privé et à même de donner une nouvelle impulsion au secteur privé, notamment à travers un plan stratégique.

Ce fut boucler la boucle en beauté que de confier la Chambre à Ahmed Baba Ould Éleya qui a poursuivi avec la même dynamique que ses prédécesseurs l’élan impulsé par Mohamedou ould Mohamed Mahmoud, en la rendant encore plus forte et plus proche des entreprises, dynamique, et en faisant d’elle un outil de proximité ouvert sur le partenariat public-privé.

 

Un passé, mais aussi un présent pour préparer un futur

Aujourd’hui, Après Maurice Compagnet (un français qui présida l’Institution de 1958 à 1962) et ses huit honorables et dignes successeurs, l’Institution est entre de très bonnes mains. Elle est présidée depuis le départ d’Ahmed Baba ould Éleya par Cheikh El Avia ould Mohamed Khouna qui a fêté cette année ses soixante-huit printemps, après être né au fin fond de la Mauritanie dans la wilaya du Hodh ech-Chargui. Après de brillantes études, Cheikh El Avia fut ministre des Pêches et de l'Économie maritime en 1995, Premier ministre de 1996 à 1997, puis ministre des Affaires étrangères du 12 Juillet 1998 au 16 Novembre 1998. Il fut renommé Premier ministre de 1998 à 2003. Issu d’une famille du Kouch, c’est un homme admiré et respecté pour sa très bonne éducation par tous les Mauritaniens.

La Chambre de commerce de la Mauritanie a raconté une belle histoire de 1962 à aujourd’hui. Une histoire de bonne gestion et d’avancées significatives dans le processus de développement de notre pays. Mais son histoire nous rappelle surtout un passé administratif qui nous encourage à croire que la Mauritanie peut, si elle le veut, disposer d’institutions fortes, respectables et respectées. Huit personnalités politiques et publiques ont défilé à la tête de cette institution, en réussissant toujours, en soixante-deux ans d’existence, à la faire avancer, loin des malversations, loin des détournements et des pillages de ressources, et cela dans les règles de l’art de la gestion saine des moyens de l’État. Durant la même période, soixante-et-un ministres se sont succédé à la tête du ministère de l’Équipement et des transports, laissant derrière eux une gestion plus catastrophique pour les uns que pour les autres.

 

Mohamed ould Chighali

Journaliste indépendant