Les Mauritaniens disposent, depuis plus d’une semaine, d’un nouveau gouvernement : « Ould Diay I » inaugure le second quinquennat du président Mohamed Cheikh Ghazouani. Un gouvernement de surprise dans la mesure où nul ne s’attendait à la formation d’une telle équipe. Déroutant, notre marabout-président ! Les observateurs qui le suivent depuis son élection en Juin 2019 peinent en effet à cerner le personnage et son action. Normal, diront certains. Car, en plus d’être marabout, l’homme fut DGSN, chef d’état-major des armées puis ministre de la Défense avant d’atterrir à la présidence de la République. Sacré parcours et destin ! Le président réélu a plus que surpris les Mauritaniens. À commencer par certains de ses proches, ce qui a, semble-t-il, retardé la publication de la composition du nouvel attelage, avec le maintien de l’essentiel des poids lourds et incontournables ministres de souveraineté, mais, aussi, le fracassant et inexpliqué départ de madame Naha mint Moukhnass, une alliée de taille depuis 2005.
Pour beaucoup, le premier mandat du président Ghazouani aura été marqué par un apaisement politique plus « sélectif » que décisif : l’homme a tendu la main à certains acteurs politiques : leaders traditionnels réputés « modérés », RFD, UFP, APP… ; plutôt qu’à ceux de l’aile qualifiée de « radicale » ou « extrémiste », notamment le RAG, les FPC, l’AJD et la CVE. Un choix qui a contribué à diviser davantage l’opposition. Une stratégie sciemment entreprise en ce sens ? Une chose est aujourd’hui certaine : cette attitude à l’égard desdits partis de l’opposition n’a hélas fait qu’élargir le fossé entre Ghazouani et leurs dirigeants. L’apaisement dont se vantent le pouvoir et ses soutiens a un goût d’inachevé. La contestation des élections locales de Juin 2023 et de la présidentielle sont les conséquences des relations heurtées entre le camp «antisystème » et les faucons du pouvoir.
La composition du gouvernement et le maintien des dosages tribalo-régionales éculés « marginalisant certaines composantes nationales du pays (haratines et négro-mauritaniens), comme si elles ne comptaient pas de compétences », relève l’activiste des droits de l’Homme El Kory Sneïba Brahim dans un récent exposé au CERIM, ne font que crisper davantage les rapports entre le pouvoir et nos composantes nationales, alimentant ainsi des débats houleux et minant, avant l’heure, le dialogue que le président de la République voudrait organiser. Ces dosages apparus lors de la composition du gouvernement sont également dénoncés par le professeur Lô Gourmo, vice-président de l’UFP. Dans un post en date du 10 Août 2024, celui-ci n’hésite pas à demander au pouvoir d’« officialiser le tribalisme et ses corolaires (chauvinisme, racisme, régionalisme…) ».
Décalage
De fait, la nouvelle nomenclature du gouvernement est en quasi-total décalage avec les engagements et discours électoraux du président-candidat qui laissaient entrevoir comme un changement d’hommes et donc de gouvernance. Une forte demande sociale, surtout de la part de la jeunesse. Les cinq années consécutives à la décennie de pouvoir concentré entre les mains d’un seul « messie », Ould Abdel Aziz, ont suffi à décourager et désenchanter plus d’un mauritanien lambda peinant à boucler ses fins de mois, à se soigner et soigner ses enfants ainsi qu’à les éduquer…
C’est dire qu’à l’exception des opportunistes de tout acabit qui ont accouru chez le nouveau PM qu’ils avaient pourtant lynché et honni hier, la majorité des Mauritaniens semblaient partis à ravaler leurs espoirs… jusqu’à ce que celui-ci leur apporte quelques agréables surprises : baisse des prix, école et santé accessibles, nouveau vivre ensemble, etc. Ses premières réunions de « cadrage » avec son équipe le font apparaître déterminé à aller vite. Les Mauritaniens vont le prendre au mot, le juger sur les actes de ses cent premiers jours ; ils espèrent que le gaz et le pétrole contribueront à changer positivement leur vie. Contrairement au poisson, fer, or, cuivre…
L’homme semble vouloir surprendre les Mauritaniens et surtout démontrer que ceux qui ont voulu l’enterrer avec le « dossier de la Décennie » se sont trompés de cible. Comme son prédécesseur, il s’est engagé à mettre rapidement en œuvre les promesses du président-candidat, à « secouer le mammouth », s’il le faut, quitte à se faire d’autres ennemis. Il connaît en tous cas tous les voleurs tapis dans l’ombre et n’hésitera pas, espèrent certains, à brandir des dossiers compromettants et, pourquoi pas, virer certaines brebis galeuses… Permettant ainsi au président de la République d’achever, tête haute, son deuxième et dernier mandat ; et, personnellement, de se racheter auprès de tous ceux qui ne lui pardonnent pas d’avoir été, dix ans durant, au service du plus gabegiste de la République, Mohamed Abdel Aziz… Bref et d’une certaine manière, se « rattraper » et poursuivre son destin… l’homme ne serait donc pas prêt à s’arrêter en si bon chemin ! Mais celui-ci n’en est pas moins parsemé de beaucoup d'embûches ; le gouvernement qu’il dirige compte des grosses pointures qui ne répondront, on l’imagine bien, qu’au Palais…
Gabegie et dialogue
Pour en revenir un peu sur la lutte contre la gabegie, les Mauritaniens ne manqueront pas de relever qu’il s’est surtout agi, en quinze années de slogans, de velléités frisant parfois le règlement de comptes. Durant toute cette période, on a en effet vu fleurir des myriades de structures de contrôle et régularisation, commissions de passation de passation des marchés dans les ministères, etc. ; on a vu récemment l’Inspection générale du contrôle d'État attachée à la présidence de la République, laissant espérer la voir jouer pleinement son rôle : en vain ! Les rapports de la Cour des comptes sont toujours rangés dans les tiroirs ; seuls quelques larrons sont poursuivis et, après avoir été relevés de leur fonctions, plusieurs d’entre eux ont été rapidement réhabilités, voire promus. Seuls ceux qui n’ont pas le bras long ou de l’argent peuvent être envoyés en prison. Comment lutter, dans ces conditions, contre la gabegie et la corruption ? Le doute semble avoir au moins autant de chances que l’espoir…
S’agissant du dialogue suggéré par le candidat arrivé second à la présidentielle, Biram Dah Abeïd, puis par le président de la République lors de son investiture le 1er Août dernier, les observateurs restent circonspects. Et pour cause : au cours des cinq dernières années de mandature, il n’a pas manqué de partisans du pouvoir pour avancer qu’il n’y avait pas de crise politique justifiant la convocation d’un tel conclave. Les quelques timides tentatives, dont celle de Septembre 2022, n’ont pas prospéré : elles se sont toutes fracassées sur les coups de boutoirs des faucons du régime très incrustés au sommet et sur les divergences de divers acteurs de l’opposition obnubilés par une querelle de leadership et de préséance. Les agendas des uns et des autres étant très différents, comment pourrait se tenir un dialogue ? Sur quoi porterait-il ? Qu’est-ce qui garantirait que ses recommandations soient demain mises en œuvre ? Rien, apparemment.
On se souviendra ici que le seul dialogue inclusif aura été celui de la Transition militaire de 2005-2007. Les acteurs politiques y avaient fait preuve d’une certaine hauteur de vue et de dépassement et les élections qui s’en suivirent en 2007 furent les plus transparentes et crédibles de notre histoire. Les questions qui continuent à fâcher : unité nationale, passif humanitaire, esclavage et ses séquelles, gouvernance… ; avaient été alors débattues avec une retenue de bon aloi.
Depuis, on prend les mêmes et l’on recommence. On note déjà que le président Biram Dah Abeïd et maître El Id Mohameden M’Bareck posent des conditions pour aller au dialogue. La tenue d’une telle rencontre ne serait-elle pas un piège pour l’opposition dont une partie serait tentée par de nouvelles élections locales ? Miroir aux alouettes, illusions : ce n’est un secret pour personne que le pouvoir n’organisera pas des élections locales pour les perdre ni pour servir sur un plateau d’argent des mairies, des conseils régionaux et le Parlement à l’opposition. Le véritable enjeu, c’est l’après Ghazouani… en 2029, donc. C’est à préparer cette échéance que pourrait servir l’éventuel dialogue et il y a beaucoup de pain sur la planche…
Dalay Lam