Ghazouani a gagné : Sans surprise

4 July, 2024 - 10:10

Les Mauritaniens se sont rendus aux urnes le 29 Juin 2024 pour élire leur président de la République. Selon les résultats provisoires de la CENI, on peut déjà avancer la victoire du président sortant, Mohamed Cheikh Ghazouani, avec 56 % des suffrages. Le président-marabout rempilerait donc pour cinq ans à la tête du pays. Cette victoire est sans surprise, sauf pour les naïfs : en Afrique et dans le monde arabe, les pouvoirs en place n’organisent pas des élections pour les perdre. La dynamique enclenchée au Sénégal, notre voisin du Sud, n’a pas pris en Mauritanie, les peuples et leur démocratie sont différents. Ici, nous avons une oligarchie militaro-tribale, implantée depuis près d’un demi-siècle ; au Sénégal en revanche, les élections sont beaucoup plus libres et transparentes. Jouant son rôle de quatrième pouvoir et surtout de lanceur d’alerte, la presse veille au grain et empêche toute velléité de fraude. Ici, les intérêts des tribus, des familles, des hommes d’affaires et des individus privilégiés passent avant ceux du pays. Chacun s’accrochant à son propre intérêt, tous ont pesé sur les électeurs et donc influencé le scrutin en faveur du pouvoir. La composition ethnique et sociale joue en défaveur de la démocratie : on vote souvent pour préserver sa proximité avec le pouvoir ou pour sa tribu, sa région et son ethnie. L’’unité nationale et la cohésion tant vantées ne sont que des vœux pieux. Donc pas de surprise, nous sommes habitués à ces scrutins dont les résultats sont connus d’avance. Pas de suspens.

 

Engouement et détermination

Cela dit, le scrutin du 29 Juin a tout de même été important, dans la mesure où les Mauritaniens se sont mobilisés, particulièrement les jeunes et les femmes. On a senti leur engouement et leur détermination à faire valoir leur droit. Certains à « défendre et à protéger leur victoire », comme on l’entendait lors des meetings. On se demandait comment. Le pouvoir ayant perçu le message a rapidement anticipé et pris des mesures afin de parer à toutes les éventualités, des mesures considérées par les candidats de l’opposition et une partie de la population comme une sorte d’«intimidation » voire de « provocation ». Certes l’État a le devoir de protéger les populations et leurs biens mais il y a des limites à cette « tutelle »...

Les chiffres provisoires de la CENI évaluant à 22,9% le score de Biram Dah témoignent de l’ancrage de celui-ci sur la scène politique. Il a démontré sa capacité de mobilisation, surtout du côté de la jeunesse, porteuse de changement et avenir du pays. En dépit de la multiplicité des candidatures dont certaines sont suspectées d’avoir été montées contre lui, rien n’a pu laminer son audience, au contraire : il devance celle de Tawassoul, seconde force politique à l’Assemblée nationale, et remporte le vote de certaines grandes villes sur le candidat du pouvoir. Quoiqu’on dise, Biram reste incontournable au niveau national. Son score dépasse celui de 2019 alors que beaucoup avançaient qu’il allait pointer à la troisième, voire quatrième place. Le renfort de la CVE, des FPC, Kavana, ainsi que d’autres partis, associations et organisations de la Société civile, ont pesé.  Cependant et même si certains estiment que son discours et son image passent de mieux en mieux, il n’en demeure pas moins qu’il continue à rebuter, voire effrayer une partie de la communauté maure qui voit en lui une « menace pour ses intérêts », voire un « ennemi juré ». La fermeture des marchés et les accès aux banques, la présence des forces de l’ordre dans des rues de la capitale traduit d’une certaine manière cette inquiétude. C’est une faiblesse de l’homme qui a besoin davantage de pédagogie. Si ces inquiets parviennent à voir en lui un compatriote, un militant engagé à servir son pays, la démocratie mauritanienne en sortira certainement grandie.

 

Les autres candidats ayant décidé de se lancer dans la course pour la première fois auront certainement beaucoup appris. Comme Biram, ils auront retenu qu’en allant à la présidentielle en rangs dispersés, ils ne réussiront pas à imposer – si tel est leur objectif commun… – l’alternance systémique qu’ils prônent tous dans leur discours. L’expérience sénégalaise a prouvé que seule une coalition forte peut venir à bout d’un adversaire politique accroché au pouvoir depuis des années. Hamady, maître El Id, le professeur Outouma Soumaré et Bâ Mamadou Bocar auront à méditer cette première expérience. Ils en ont le temps et reviendront peut-être mieux outillés, à moins que certains d’entre eux ne rejoignent le pouvoir, comme tant d’autres avant eux…

C’est en tout cas dommage que le vote mauritanien continue à obéir à des critères subjectifs, pour ne pas dire ethniques. Il n’a pas beaucoup pesé en 1992/93 quand Ould Taya eut à affronter Ahmed Daddah ; et en 2007 quand Sidioca fut opposé à celui-ci par les militaires. Le vote ethnique s’est cristallisé avec la candidature d’Ibrahima Sarr en 2007 puis celles de Messaoud Boulkheïr (FNDD) face à Ould Abdel Aziz en 2009, de Biram en 2014 et de feu Kane Hamidou Baba en 2019 sous les couleurs de la Coalition Vivre Ensemble (CVE). On retiendra également que les candidats de l’opposition n’ont, cette fois, fait quasiment preuve d’aucune solidarité : quand Biram a tenté de se rendre à la CENI pour contester les résultats diffusés par cette institution, aucun candidat ne s’est joint à lui…

Autre enseignement, l’administration et les forces de défense et de sécurité ont prouvé combien ils ne sont pas neutres ; tous sont suspectés, comme la CENI en dépit de ses efforts à jouer « transparence et neutralité », d’avoir fait pencher la balance du côté du candidat-président ; les élus et cadres de la majorité présidentielle ont été mobilisés ou se sont mobilisés eux-mêmes, toujours avec zèle, pour faire triompher leur candidat. Tous expliquent, surtout dans la Vallée, qu’il faut voter pour le pouvoir, non seulement parce qu’il va gagner, mais aussi et surtout pour ne pas se faire stigmatiser, promouvoir les cadres négro-mauritaniens et bénéficier des services de l'État. Certaines questions prioritaires : unité nationale, école, état-civil, chômage, problème des terres et de leur mise en valeur ; sont passées à la trappe. Quel pays et quels hommes !

Dans quelques jours, le Conseil Constitutionnel va proclamer les résultats définitifs et superviser en conséquence la prestation de serment du président réélu. On attend le discours de Diallo Mamadou Bathia. On se rappelle qu’il avait essuyé d’énormes critiques lors de la première investiture de Ghazouani en 2019. Celui-ci va-t-il maintenir le recyclage des hommes de la décennie azizienne ou se décidera-t-il enfin à secouer le mammouth, en choisissant des hommes propres et neufs ? N’a-t-il pas dédié son second mandat à la jeunesse et aux femmes, au combat contre la corruption et à l’instauration d’une gouvernance saine, transparente et inclusive ? Le pouvoir a certes démontré sa capacité à étouffer dans l’œuf la moindre velléité de contestation, en mobilisant toutes les forces de défense et de sécurité. Tout va donc apparemment bien : la présidentielle 2024 a vécu paisiblement, il ne reste désormais qu’à bien préparer l’édition 2029 ! Aura-t-on cette fois la possibilité d’y espérer surprise ?

 

Dalay Lam