Malheureusement, l’alternance n’est pas pour cette fois-ci. Le poids des notables et de l’argent, conjugué à l’influence du makhzen et à la suspicion de fraude, ainsi que la faiblesse du niveau de prise de conscience au sein des populations, notamment en milieu rural, ont eu raison de l’espoir d’un changement par les urnes.
La victoire proclamée du camp du statu quo est synonyme de déception et d’amertume pour tous ceux qui ont entretenu l’illusion que la Mauritanie a changé. Malgré les moyens considérables investis dans la campagne par le régime, l’utilisation abusive des moyens de l’Etat, l’absence de confiance et d’adhésion des parties prenantes dans la CENI et l’appui de l’ensemble des notables et des hommes d’affaires, le candidat du pouvoir aurait en effet obtenu plus de 55% des voix, un score qui tranche avec le rejet par les Mauritaniens d’un régime en manque de bilan et de crédibilité.
Les jeux étaient-ils faits?
Par ailleurs, les acteurs ont échoué à mobiliser les électeurs en faveur d’un scrutin dont l’issue était connue d’avance, d’où la participation relativement faible, passant de 62% en 2019 à 55%. Plusieurs facteurs cumulatifs contribuent à expliquer cette forte abstention : De nombreux électeurs des grandes villes s’étaient inscrits à l’intérieur du pays en vue des élections locales de 2023 et n’ont pas pu depuis lors se réinscrire dans leur ville de résidence. L’achat de cartes d’identité des électeurs les plus pauvres, pour les empêcher de voter. La perception par certains électeurs que les jeux sont faits et qu’il est inutile d’aller voter. Le mot d’ordre lancé par certains acteurs politiques en faveur du boycott.
L’opposition, quant à elle, paie ses errements, ses dissensions et sa faible implantation dans les zones rurales. Tous candidats confondus, elle réalise, toutefois, un score plus qu’honorable, malgré les réserves sur les résultats annoncés par la CENI. Les forces de l’opposition dominent les grandes villes, où le niveau de prise de conscience est très élevé et où les électeurs ne sont pas sous l’emprise des notables. Alors que le pouvoir reste très solidement implanté dans la Mauritanie profonde, largement influencée par les notables.
Le changement prendra encore du temps et requiert, notamment, de la part de l’opposition, de développer davantage de synergies entre ses composantes, d’investir plus d’efforts, pour élargir la prise de conscience, surtout à l’intérieur du pays, et d’exiger une CENI véritablement fonctionnelle et indépendante, et surtout affranchie de la tutelle du ministère de l’intérieur. Ainsi et avec un peu plus de moyens et de présence sur le terrain, l’opposition pourra espérer, dans le futur, inverser le rapport de force avec le pouvoir et lui imposer de reconnaître sa défaite, grâce à l’adhésion massive des populations à l’idéal de changement.
Au demeurant, la reconduction du candidat Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, déjà vivement contestée, réussira-t-elle à démentir les sombres pressentiments quant à sa capacité à relever les nombreux défis, notamment économiques, socio-politiques et de gouvernance, au-delà de la gestion des affaires courantes ?
Consensus nécessaire
Pour conjurer ces périls et combler rapidement les retards accumulés sur ces différents fronts, des réformes urgentes et décisives sont requises. Celles-ci comportent des risques et supposent d’investir des efforts soutenus pour les initier et en accompagner la mise en œuvre. Ceci passe par la consultation de l’ensemble des acteurs et parties prenantes, et requiert un large consensus national.
En effet, toute réforme dans le contexte actuel de forte polarisation devrait commencer par explorer la possibilité de dialogue, pour sortir de l’impasse et trouver une solution au blocage actuel, et au déficit de consensus sur les règles du jeu politique qui ont conduit au refus des résultats de l’élection. Ce refus n’est pas ex nihilo. Il ne vient pas de nulle part. Objectivement, il a des raisons historiques, institutionnelles et juridiques qui l’expliquent, et il faudrait saisir l’opportunité pour engager des concertations sur les réformes à entreprendre, y compris sur le cadre électoral.
Enfin, la construction du consensus requiert également la mise à l’écart des élites corrompues qui, non seulement, ont largement échoué, mais ont également pillé les ressources nationales et ont participé activement au verrouillage de la lutte pour l’accès au pouvoir, afin de préserver leurs intérêts. Il s’agit d’un préalable pour rompre avec l’immobilisme et la corruption et promouvoir le dialogue, ainsi que de nouvelles pratiques de gouvernance.
* Docteur en science politique
Ancien fonctionnaire des Nations Unies