Le Calame : Le vendredi 24 Mai, vous avez lancé officiellement les activités du FCJ, parti politique que vous avez récemment fondé. Peut-on savoir pourquoi avez-vous pris une telle décision au lieu d’intégrer l’un des nombreux partis qui existent déjà? En quoi le FCJ serait-il différent des autres ?
Mohamed Jemil Mansour : Merci de l’occasion que Le Calame nous offre de parler de notre parti mais aussi pour donner, à la veille de la présidentielle du 29 Juin, notre avis sur l’actualité politique du pays. Nous avons décidé de mettre en place le Front pour la citoyenneté et la justice (FCJ) parce que nous avons estimé, après une longue réflexion, que la scène politique mauritanienne avait besoin d’une nouvelle formation politique qui prenne en compte ses différentes spécificités. Nous venons d’horizons politiques, idéologiques, régionaux et ethniques différents et avons tiré des leçons de nos parcours et expériences respectifs, afin d’en tirer le meilleur au profit de notre pays. Le projet national sur lequel nous sommes parvenus à nous entendre est basé sur deux éléments. D’abord la diversité de la Mauritanie, composée de différentes communautés, catégories sociales et régions. Tout projet doit tenir en compte cette diversité, d’une façon réelle, acceptable, équilibrée. Le deuxième élément, c’est l’ouverture politique. Nous ne sommes pas un groupement idéologique, un mouvement historique, une pensée bien connue parmi les écoles de pensée dans ce pays. Nous sommes ouverts à tous les courants de pensée et tous les mouvements historiques. Les membres fondateurs du FCJ proviennent donc de tous les courants : islamiste réformiste, gauche, nationaliste arabe ou négro-africain, activistes de la cause haratine… C’est vous dire donc que toutes les écoles politiques sont rassemblées au sein de notre parti. Tous ont décidé d’évoluer, de remettre en cause certaines de leurs idées, de changer et surtout de travailler avec d’autres, au sein d’une formation politique qui reflète cette école de pensée connue dans le passé.
Après s’être mis d’accord sur les indéniables faits que l’identité de la Mauritanie est fondée sur l’islam – la Constitution le stipule – que l’arabe en est la langue officielle, que les langues nationales Pulaar, Soninké et Wolof y sont développées et évoluent en vue de les officialiser, le tout basé sur une citoyenneté mettant tous les Mauritaniens sur le même niveau – l’égalité de tous – nous avons pensé que tous ces éléments justifient la fondation d’un nouveau parti qui ne soit pas un parti de tribu, de famille, d’une quelconque catégorie sociale ou d’individus, mais un parti ouvert à tous, avec les spécificités que je viens d’énumérer.
- Qui sont les hommes et les femmes qui composent le FCJ ? Quel projet de société proposent-ils à la Mauritanie ? Quelle est la vision du FCJ de l’unité nationale ?
- Je crois avoir répondu en partie à la question. Cependant, permettez-moi d’insister en indiquant que le FCJ est le creuset de toutes les composantes mauritaniennes, on y trouve des hommes, des femmes et des jeunes issus toutes les catégories… Jetez un coup d’œil sur la composition des instances provisoires du parti en quête de reconnaissance : bureau politique, comité permanent, conseil national ; vous constaterez qu’ils sont composés d’hommes et de femmes de grandes figures connues dans tout le pays, pour leur expérience, leur parcours politique et leur engagement. Ils sont avocats, professeurs, médecins, ingénieurs… Le comité permanent, par exemple, compte en son sein treize docteurs. Une puissante vague de jeunes venus de tous bords nous a rejoints. Tous, comme je l’ai dit tantôt, adhèrent à ce projet de société dans la diversité et l’harmonie des composantes ethniques du pays. Dans nos documents, nous avons indiqué que le FCJ est un parti politique à vocation sociale et orientation démocratique. Notre document fondateur clarifie en ce sens les caractéristiques qui distinguent le FCJ des autres partis politiques présents sur la scène nationale.
- Vous avez déclaré votre parti à quelques semaines de la présidentielle et décidé de soutenir le candidat Mohamed Cheikh Ghazouani, président de la République. Qu’est-ce qui justifie ce choix ?
- Nous avons eu à expliquer le choix du FCJ d’apporter son soutien au candidat Ghazouani. Nous ne sommes des applaudisseurs à tout vent ni ne disons pas que tout a été parfait lors du premier mandat. Il y a certes eu des réalisations importantes mais force aussi est de reconnaître des dérives dans la gouvernance. Cela dit, nous avons estimé que l’actuel Président candidat à sa succession est le mieux indiqué pour poursuivre les chantiers en cours et apporter les redressements nécessaires afin de faire avancer le pays. La Mauritanie vit dans un environnement géopolitique actuellement difficile : la crise du G5 Sahel ; les frictions à la frontière avec le Mali et leurs conséquences économiques, sécuritaires et politiques ; le dossier du Sahara occidental toujours pendant, heurtant les rapports entre nos voisins marocains et algériens ; la crise économique et les perspectives du gaz... Cette ressource, on le sait, peut être une source de prospérité pour les citoyens mais également – qu’à Dieu ne plaise ! – de malédictions, comme on a eu à le constater dans certains pays producteurs. Comme vous le voyez, la gestion de tous ces facteurs nécessite une expérience et le président Ghazouani connaît ces sujets pour y avoir travaillé durant déjà des années : il n’aura besoin d’aucun temps d’attente pour poursuivre ce labeur et sera aussi plus libre dans son dernier mandat pour y apporter les correctifs nécessaires. Son brillant discours de candidature a déjà cerné les dossiers à attaquer. Son second quinquennat sera donc plus efficace, plus juste et plus réaliste que le premier. Enfin, nous estimons que Mohamed Cheikh Ghazouani présente, en comparaison de tous les candidats en lice, le meilleur profil pour le pays.
- Vous avez été placé dans la commission politique du directoire de campagne du candidat Ghazouani. Qu’entendez-vous apporter à cette structure composée pour l’essentiel d’hommes de l’INSAF ? Quels rapports le FCJ entend-il établir avec les autres partis de la majorité présidentielle ?
- Effectivement, j’ai été choisi parmi d’autres cadres pour constituer cette commission et c’est un honneur pour moi. Nous avons déjà entamé le travail, d’importants jalons sont posés. Je suis convaincu que cette commission peut apporter beaucoup de choses en matière de discours politiques, orientations et conseils pendant la campagne. Les rapports avec les autres partis de la majorité présidentielle sont bons. Nous pouvons certes avoir des divergences de points de vue ou d’approche, ce qui est naturel et normal entre des formations politiques, mais il n’y pas de problèmes entre nous.
- En examinant l’acronyme de votre parti, on se dit qu’il reste encore beaucoup de choses à faire dans la construction de notre pays et de sa démocratie. Est-ce une des raisons qui justifie la fondation du FCJ ?
- Comme dit tantôt, nous reconnaissons au président-candidat un bilan globalement satisfaisant : il a à son actif de nombreuses réalisations. Le FCJ viendra participer à ce travail de construction de la Mauritanie grâce à sa force de proposition et à sa vigilance. L’avenir très proche viendra prouver que la naissance du FCJ était fortement justifiée.
- Les candidats de l’opposition ont dénoncé les obstacles pour obtenir des parrainages, actes citoyens incontournables, et suspectent le pouvoir, l’Administration et la CENI de rouler pour le candidat Ghazouani. Les conditions d’une élection transparente et crédible vous semblent-elles suffisamment réunies pour le scrutin du 29 Juin prochain ?
- Je ne suis pas en mesure de donner un avis sur les relations entre les candidats de l’opposition et la CENI ni au courant d’un quelconque problème particulier. Ce que je sais, par contre, c’est que la CENI doit assurer tous les candidats de ce que notre pays va organiser une élection présidentielle transparente et crédible le 29 Juin. C’est, de mon point de vue, la position de l’Exécutif. Il revient dès lors à la CENI de prendre toutes les dispositions pour traduire cette volonté en actes concrets et, surtout, renouer la confiance avec les acteurs politiques et les citoyens, après ce qui s’est passé lors des élections locales de Mai 2023. En ce qui concerne la question des parrainages, nous avons dit dans une déclaration qu’il fallait laisser la liberté aux élus de parrainer qui ils veulent, la loi leur en donne le droit. De toutes les façons, force est de constater, à l’arrivée, de réelles pluralité et diversité dans les candidatures retenues : radicaux et modérés correctement représentés. Les Mauritaniens auront donc le choix, c’est donc dire que les conditions d’une élection pluraliste sont réunies.
- Vous avez beaucoup insisté sur la question de la justice et de l’égalité. Que conseillerez-vous à votre candidat sur les problématiques de l’officialisation et de l’introduction dans le système éducatif des langues nationales pulaar, soninké et wolof, du passif humanitaire et de l’esclavage ?
- Notre position sur ces dossiers est très claire et ne souffre d’aucun amalgame. Nous y avons travaillé profondément et avons présenté des propositions concrètes, très efficaces et justes. Nous avons par ailleurs constaté que le président de la République avait beaucoup fait pour ces sujets. Le discours de Ouadane et l’appel de Djéol ont été des avancées et ont fait évoluer beaucoup de choses, mettant l’accent sur l’éthique, la justice et la citoyenneté. Nous espérons fortement que l’avenir sera meilleur que le présent et que le passé.
- Dans votre discours devant vos militants et sympathisants, vous avez affirmé que vous n’hésiterez point à saluer et à encourager les réussites du pouvoir mais ne raterez pas la moindre occasion de dénoncer ses dérives ou manquements. Après cinq ans de pouvoir, comment appréciez-vous le bilan de l’actuel Président ? À votre avis, sur quoi doit-il mettre l’accent, s’il est réélu ?
- Je crois avoir répondu en partie à cette question. Nous sommes de la majorité mais avons le courage de nos idées, de reconnaître les avancées et de dénoncer les manquements. Nous apprécions positivement le bilan du premier quinquennat du président de la République mais reconnaissons qu’il y a eu des manquements et quelques dérives que le président de la République pourra redresser rapidement lors du second quinquennat. Le cap est d’ailleurs clairement fixé dans sa déclaration de candidature. J’invite les uns et les autres à le lire attentivement afin d’en tirer toute la quintessence.
Propos recueillis par Dalay Lam