Communication présentée à la Fondation Habib Mahfoudh
23 mai 2024
Je vais essayer de répondre à quatre questions fondamentales : i) comment mesure-t-on le niveau du chômage ? ii) quelle est la situation en Mauritanie? iii) Quelles explications au phénomène et iv) comment lutter efficacement contre le chômage ?
1. Quelle définition et quelle mesure pour le chômage?
La population en emploi est constituée de « l’ensemble des personnes des deux sexes, qui fournissent, durant les 7 derniers jours, la main d’œuvre disponible pour la production de bien ou de services marchands comme définie par le SCN (1) ». Il s’agit d’une définition large de l’emploi et donc restrictive du chômage. Il en découle que les chômeurs sont « l’ensemble des personnes des deux sexes en âge de travailler, qui au cours des 7 derniers jours, étaient : 1) sans travail ; 2) disponibles pour travailler et 3) à la recherche d’un travail (Résolution de la 13ème CIST (2) ).
On mesure le niveau de chômage à travers une méthodologie spécifique qui a été utilisée en 2012 et 2017 dans les deux enquêtes nationales sur l’emploi et le secteur informel (ENESI) réalisées par l’ONS (3) , aujourd’hui l’ANSADE (4) .
2. Quelles sont les données disponibles ?
Les données les plus récentes datent de 2017. On y note ce qui suit (5) :
• La population totale du pays : 3,8 millions (aujourd’hui : 4,7 millions (6)) ;
• Les moins de 20 ans : 55% ;
• La population rurale : 50,4% ;
• La population 14-64 ans : 52,6% (environ 2 millions d’habitants en 2017) ;
• La main-d’œuvre disponible : 42,1% de la population en âge de travailler (60% d’hommes ; 37% à Nouakchott) ;
• Les personnes en emploi : 36,7% ;
• Seuls 6% ont atteint un niveau supérieur et 0,7% ont suivi un enseignement technique et professionnel ;
• 20,1% de la population active occupent des emplois précaires (occasionnels, temporaires ou saisonniers) ;
• 57,6% des chômeurs sont dans la tranche d’âge 14-30 ans ;
• 73,2% des chômeurs résident en milieu urbain ;
• 33,5% ont un niveau primaire, 30,5% secondaire et seuls 1,5% ont une formation technique ou professionnelle ;
• La population hors main-d’œuvre : 58% dont plus de 70% de femmes de bas niveau d’éducation ;
• Le taux de chômage est de 11,8% avec de fortes disparités (27,2% des femmes 14-24 ans et 20,2% des jeunes hommes) ;
• Le chômage est élevé dans les centres urbains : 17% à Nouadhibou, 16% à Nouakchott , notamment chez les jeunes (20 -24 ans), 24,1% en 2017 contre 18,1% en 2012, soit une augmentation de 6 points ;
• La catégorie 14-35 ans comporte 44,2% de ses effectifs qui ne sont ni occupés ni en formation ;
• Le secteur informel est le principal pourvoyeur d’emploi notamment dans les activités de commerce et de la « débrouillardise » ;
• Le classement mondial selon le taux de chômage (décroissant) établi par le BIT en 2022, situe la Mauritanie à la 42ème place (sur 187) donc parmi les pays où le chômage est le plus élevé.
3. Quelles explications et quels enjeux ?
• Les données structurelles : i) le profil du système éducatif avec une accumulation malencontreuse de réformes (résultat : un faible indice de capital humain (7), 157ème sur 174 pays) ; ii) les facteurs socioculturels (mentalités rétrogrades) ; iii) la faiblesse des infrastructures (électricité, eau, routes, réseaux internet) ; iv) la faible industrialisation (6% du PIB (8) ) ; v) le faible accès aux technologies modernes et à l’innovation ; vi) la fragilité du système bancaire et les difficultés d’accès au crédit ;
vii) Le déficit de concurrence ( présence de quasi monopoles et d’oligopoles qui dominent l’essentiel de l’économie moderne) et viii) la précarité des emplois créés.
• Le déséquilibre structurel du marché de l’emploi : Le flux annuel de demandeurs d’emploi est estimé à 50 000 personnes (9) dont près 4 500 à 5 000 sortants de l’enseignement général supérieur et 2000 à 2500 de la formation technique et professionnelle. Il y a donc plus de 40.000 demandeurs d’emploi sans qualification ni formation, qui viennent grossir les rangs, au moment où la capacité d’absorption du marché du travail ne dépasse pas 25.000 personnes par an.
4. Quelles sont les perspectives de lutte contre le chômage des jeunes dans le contexte mauritanien ?
• Les solutions jusqu’ici mises en œuvre sont de type volontariste : création d’institutions chargées de l’emploi (ANAPEJ), conception de politiques et de stratégies sans réelle mise en œuvre ; création d’emplois publics ou «aidés» à travers divers mécanismes. Toujours est-il que les résultats sont restés insuffisants à en juger par le flux de migrants, les effectifs des candidats aux emplois ouverts et le chômage urbain.
• En réalité, il est nécessaire d’adopter une autre approche plus tournée vers les réalités du marché de l’emploi dans le secteur privé à travers la promotion d’une croissance économique inclusive et dont les grandes lignes se déclinent comme suit : i) l’intensification des efforts de formation dans les métiers en tension, notamment le BTP, la maitrise de la technologie, dans la recherche scientifique et l’innovation ; ii) l’amélioration du climat des investissements, notamment en matière de neutralité, de rigueur, d’efficacité et de redevabilité des administrations publiques, y compris la Justice ; iii) la mise en œuvre de grands travaux publics utilisateurs intensifs de main-d’œuvre, y compris dans le cadre de PPP (10) ; iv) l’orientation résolue vers l’industrialisation (mines, pêches, manufactures) et les métiers d’avenir qui seront générés par l’intelligence artificielle (technologies, santé, industries). Il faudra s’y préparer dès à présent à travers le développement et la rétention du capital humain mais aussi la lutte contre un certain immobilisme social et culturel qui tue…
1-Système de comptabilité nationale
2-Conférence internationale des statisticiens du travail
3-Office national de la statistique
4-Agence Nationale de la Statistique et de l’Analyse Démographique et Economique
5-La fièvre de l’or de ces dernières années a probablement modéré ces chiffres mais a-t-elle contrecarré les effets de la croissance démographique ?
6-Résultats préliminaires du RGPH 2023. En réalité, seule la population sédentaire a été jusqu’ici dénombrée. Nous y avons ajouté une estimation de la population omise, non sédentaire ou nomade.
7-Il mesure la contribution des secteurs de l’éducation et de la santé à la productivité de la prochaine génération d’un pays. Ainsi, l’enfant mauritanien ne disposera, à l’âge adulte, que de 38% de son potentiel productif, en comparaison avec ce qu’il aurait dû atteindre s’il avait bénéficié de meilleures conditions d’éducation et de santé.
8-Produit intérieur brut ; 6,8% en 2022 et environ 50 000 emplois.
9-Résultat de la croissance démographique
10-Partenariat public-privé.