Qui a dit qu’un malheur ne vient jamais seul ? De fait, les choses ne cessent de changer. Et, comme ça, mine de rien, ça va crescendo. Prenez n’importe quoi, au hasard, et vous me direz que j’ai raison. Allez, je m’explique. Commençons par le peuple : du temps des indépendances et même bien après, très bien après, nous n’étions que des Mauritaniens. Ni de l’Est, ni de l’Ouest, ni du Sud, ni du Nord. Nous n’étions ni Beïdanes, ni Kwars, ni Harratines, ni Forgerons, ni Griots, ni rien d’autres que des citoyens mauritaniens. Les instituteurs étaient des instituteurs, avec leur orthographe d’usage, leur grammaire, leur calcul et leurs sciences naturelles. Avec leurs cravaches et leurs récitations. Avec leur notoriété et leur élégance. Les infirmiers et la petite poignée de médecins étaient déontologiquement irréprochables et récitaient encore très bien leur serment sacré d’Hippocrate. L’armée était l’armée. La police était la police. La Garde nationale, la Garde nationale ; la gendarmerie, la gendarmerie. Ces corps habillés inspiraient confiance et ne faisaient peur à personne. Les fonctionnaires ordinaires étaient des fonctionnaires ordinaires. Les visites du Président n’étaient que les visites du Président. Pas celles des badauds et des clowns. Le cortège présidentiel de feu Moktar partant inspecter, au milieu des années 70, les travaux de la Route de l’Espoir comptait à peine cinq ou six voitures. Il n’y avait ni cadres, ni ressortissants, ni tamtams, ni youyous, ni réalisations, ni mandat, ni initiatives de soutien, ni hommes d’affaires qui se seraient beaucoup moins ou pas du tout investis pour assurer un quelconque succès de la visite. Même les ministres ont changé. Qu’Allah bénisse et entoure de sa Miséricorde ces ministres aux mains propres, chantres de l’austérité, apôtres de la conscience professionnelle et de la moralité ! Les ministres sans des dizaines de voitures rutilantes et dont ni les fils, ni les femmes, ni les cousins, ni les amis, ni les proches n’usent et abusent des choses publiques, ne voyageant ni à Dubaï, ni à Casa, ni à Londres, ni à Las Palmas. Des ministres dont aucun n’a jamais payé ni appartement, ni villa à Nouadhibou ou aux Canaries. Des ministres qui n’étaient pas syndiqués. Des ministres qui ne disposaient ni de clans, ni de lobbies, ni d’ailes, ni de plumes. Des ministres sans comptes en banque à l’étranger alimentés de commissions d’argent sale. Des journalistes – et sur ça que la vache a été égorgée ! – talentueux et sobres qui accomplissaient calmement leur travail, dans la simplicité et l’originalité. Pas des journaleux recyclés en quémandeurs étiquetés, hantant les maisons et les quartiers en quête désespérée d’hommes ou femmes d’affaires, sinon « cadres » de telle ou telle wilaya, afin de leur soutirer quelques ouguiyas, sous le coaching et la mansuétude d’un bouffon de salon. Vraiment, les choses ont bien changé. Toutes en même temps. Plus rien ne ressemble à avant. Les présidents ne ressemblent aux présidents. Pas plus que la république à la république. Ni les clowns aux clowns, ni les badauds aux badauds. Salut !
Sneiba El Kory