Une question que se posent beaucoup de mauritaniens et qui cache mal leur sentiment de jalousie après la leçon politique que la République du Sénégal, notre sœur, notre voisine, a donnée à l'Afrique toute entière.
Ce sentiment est exprimé avec irréalisme par une certaine opposition, avec philosophie et timidité par le commun des mauritaniens et encaissé par nos dirigeants qui craignent certainement que ce qui est arrivé au Sénégal ne se répercute sur la Mauritanie.
Dans tous les cas, nous ne pouvons qu 'envier le Sénégal pour la réussite spectaculaire et salutaire de ses élections après une crise politique qui a mis à rude épreuves ses institutions républicaines.
Cette envie est ressentie par la grande majorité des mauritaniens avec un sentiment d'amertume et de frustration tant sont grands leurs désirs et leurs besoins de changement.
Ce sentiment est encore plus fort si l'on a à l'esprit que nous sommes à moins de trois mois de nos élections présidentielles, tout en sachant que, pertinemment, réellement et raisonnablement, nous ne pourrons pas faire comme le Sénégal.
Armée électorale
Nous ne pourrons pas faire comme le Sénégal parce que toutes nos institutions républicaines sont inféodées au pouvoir exécutif.
Nous ne pourrons pas faire comme le Sénégal parce leur système politique a une longue tradition de changement pacifique du pouvoir alors que celui qui nous régente depuis plus de trois décennies a formé une armée électorale constituée d'inamovibles laudateurs, opportunistes, clientélismes et parasites de l'Etat, rodée à la préservation du statu quo, et qui comme un rouleau compresseur étouffe à chaque occasion, la volonté populaire et empêche tout changement du système.
Nous ne pourrons pas faire comme le Sénégal parce que les dirigeants de notre armée ne sont pas comme leurs homologues du Sénégal. Les nôtres sont très impliqués dans la politique et au besoin ils règlent les problèmes militairement et en leur faveur.
Nous ne pourrons pas faire comme le Sénégal parce que notre foi en l'Etat, en la république est mitigée. En politique, nous sommes rarement mauritaniens, nous sommes toujours soit tribalistes, soit
ethnicistes, soit régionalistes, etc...
Nous ne pourrons pas faire comme le Sénégal parce que nous n'avons pas su, ou pu ou voulu assumer notre pluralité ethnique.
Nous ne pourrons pas faire comme le Sénégal parce que nos valeurs patriotiques, républicaines, civiques sont fortement perverties par la mauvaise gouvernance, la gabegie et le chauvinisme du système qui exacerbent le malaise social et empêchent nos composantes nationales de s'unir autour d'un idéal commun.
Crise de valeurs
Nous ne pourrons pas faire comme le Sénégal parce que nous sommes en crise de valeurs, nous avons perdu ce qu'il y a de mieux dans nos valeurs traditionnelles et nous récusons ce qu'il y a de mieux dans les valeurs de la modernité. Nous voulons bâtir un Etat moderne par des mentalités rétrogrades; nous voulons être une république qui n'accorde que peu d'importance à sa raison d'être : la citoyenneté ; nous voulons instaurer une démocratie et refuser en même temps de nous soumettre au verdict du peuple souverain, par la corruption du jeu démocratique.
Nous ne pourrons pas faire comme le Sénégal parce que notre opposition est divisée, individualiste, égoïste, ne sait pas faire des coalitions fiables et ne sait pas fixée des priorités stratégiques ou tactiques.
Nous ne pourrons pas faire comme le Sénégal parce que les leaders de nos forces du changement, de nos forces progressistes (s'il en existe encore) sont défaitistes, ont abandonné la protestation par les masses, qu'elles ont d'ailleurs délaissées. Ils ne sont plus préoccupées que par leur survie électorale en se fiant à des semblants de dialogues qui ne mènent qu'à la léthargie et au désespoir des militants.
Nous ne pourrons pas faire comme le Sénégal parce que leurs leaders sont prêts à faire des sacrifices pour leurs causes, pour leurs ambitions, pour leurs idéaux, soutenus en cela par un peuple qui, lui aussi, à l'habitude et le courage de faire les sacrifices nécessaires pour imposer sa volonté. Quant à nous, notre lutte se fait désormais par des fanfaronnades sur les réseaux sociaux, qui apparemment sont devenus une aubaine pour cacher notre lâcheté et notre hypocrisie.
Nous ne pourrons pas faire comme le Sénégal, parce que pour ce faire, il nous faudrait notre SONKO, notre DIOMAYE et une jeunesse courageuse et engagée comme celle du Sénégal.
Mohamed Daoud Imigine