Le Calame : Selon nos informations, la CVE a déposé, il y a quelques mois une demande de reconnaisse auprès des services du ministère de l’Intérieur. A-t-elle une chance d’en être reconnue alors que d’autres partis attendent depuis des années leurs quitus ?
Mohamedou Moustapha Bâ : Permettez-moi tout d'abord de vous remercier pour m'avoir offert l’opportunité de m'exprimer sur les colonnes de votre journal « le Calame » et d’en profiter, en ce mois béni de Ramadan, pour souhaiter au peuple mauritanien et aux musulmans du monde entier un joyeux jeûne. Qu’il soit pour tous un voyage de croissance spirituelle et de bonheur partagé, que le calme et la paix du Ramadan se tiennent avec nous chaque jour !
Quant à votre question, je voudrais, avant d’y répondre, vivement rendre hommage à mon ami et frère, notre regretté président le docteur Kane Hamidou Baba disparu il y a trois ans de cela dans les circonstances que tout le peuple mauritanien connaît. Nous prions au repos éternel de son âme, lui qui fut le précurseur et la genèse de ce grand projet de société qu'est la Coalition Vivre Ensemble (CVE). Pour honorer sa mémoire, nous nous sommes tous ensemble fixés l’objectif principal d'aller jusqu'au bout de son rêve : voir se réaliser une Mauritanie prospère, réconciliée avec elle-même, où il fera bon vivre, une Mauritanie où chacun se sentira chez lui, loin de toutes formes d'inégalité.
Comme nous le savons tous, la CVE fut fondée dans des circonstances particulières. L’opposition sortait d’une déroute électorale avec la dissolution de plusieurs de ses partis frappés par la loi du 1%. Dans ce contexte, certains de leurs leaders ont senti l’urgence et la nécessité de former une coalition sous la houlette de feu le docteur Kane Hamidou Baba pour devenir la CVE qui soutint la candidature de celui-ci lors de la présidentielle de 2019. Elle regroupait en son sein plusieurs sensibilités politiques de l’opposition : le MPR, l'AJD/MR, les FPC, l’Arc-en-ciel, etc., ainsi que des mouvements associatifs de la Société civile. Nous ne reviendrons pas sur les profondes divergences quant au devenir de la Coalition, apparues au lendemain de ces élections entre différentes tendances. Cela avait été surtout une belle expérience qui permit au président Kane d'arriver en quatrième position avec près de 9 % des suffrages exprimés. Et, en dépit de ces divergences, la CVE a survécu sous une nouvelle version.
Après l'événement dramatique qui endeuilla toute la Mauritanie et la coalition, avec la disparition de celle-ci, un groupe de cadres a jugé nécessaire de perpétuer l'œuvre de KHB en fondant un parti dont je suis le coordonnateur : le Parti[P1] de la Renaissance pour le Vivre Ensemble (PAREN/VE). Ce n’est donc pas de la CVE proprement dite mais du PAREN/VE dont il est question. C’est en effet celui-ci qui a déposé une demande de reconnaissance auprès des services du ministère de l'intérieur et a inlassablement travaillé pour respecter toutes les procédures administratives et les démarches nécessaires afin d’obtenir le récépissé en rapport. Notre souhait le plus ardent est manifestement d'obtenir ce « sésame » qui nous permettra de jouir pleinement de tous les droits liés à cette reconnaissance. Naturellement, tout requérant voudra voir sa démarche aboutir sur une telle heureuse issue. C'est pourquoi nous comptons avant tout sur Allah, l'Ordonnateur suprême des chances. C'est vrai qu'il existe encore des partis qui courent malheureusement et depuis des années derrière ce quitus… mais que dire ? Sauf implorer le Premier des magistrats d'ouvrir le jeu politique, en plein respect des règles éthiques et démocratiques. En tout cas, le PAREN/VE rêve, en ses plus profondes convictions, d'une Mauritanie entrée dans le concert des grandes nations démocratiques, ouverte sur le champ du multipartisme.
- La Mauritanie compte plusieurs partis de la majorité et de l’opposition. Pourquoi avoir choisi d’en fonder un plutôt que rejoindre l’un de ceux-ci ?
- Je dois avouer que ton constat me paraît revêtu d’une certaine ironie. Considérer que la Mauritanie compte plusieurs partis, c’est aller aux antipodes de la réalité. À l’heure où nous parlons, notre pays ne compte que vingt partis légalement reconnus. Souvenez-vous de cette fameuse loi, introduite en 2012 et complétée en 2018, qui conduisit le régime d’Ould Abdel Aziz à faire le ménage dans le paysage politique, en dissolvant les trois quarts de sa centaine de formations, jugés insuffisamment représentatifs.
Pour répondre maintenant à votre question, je dois dire que nos raisons de fonder un nouveau parti sont diverses. D’abord, vous conviendrez avec moi que notre paysage a besoin d’une nouvelle classe politique porteuse d’une vision claire, capable de fournir des solutions fondamentales aux problèmes auxquels notre pays est confronté. C’est justement pour impulser du sang neuf au paysage politique que nous avons fondé le PAREN/VE, en adoptant une nouvelle approche prenant en considération les problématiques majeures du pays. La reconnaissance de notre parti contribuera fortement à l'ancrage du multipartisme. De cette manière, nous allons enrichir le débat politique et rehausser l’image démocratique de la Mauritanie sur la scène internationale. Comme vous le savez, le pluralisme est un facteur déterminant dans les indicateurs et critères de reconnaissance d’un État démocratique.
- Comment avez-vous réagi à la convocation du ministère de l’Intérieur adressée aux partis dissous et à ceux qui attendent leur reconnaissance ? La CVE a-t-elle répondu à cette convocation ? Si oui, que vous a dit le MINT ?
- Dans un premier temps, le ministère avait, via communiqué, demandé aux partis frappés par la loi de dissolution après les élections législatives de 2018 et aux mandataires de ceux encore non reconnus de se présenter en ses services. Trois jours plus tard, un autre communiqué du même ministère fut publié conviant tous les partis politiques existants et non reconnus de se présenter pour des discussions autour de l’élection présidentielle de 2024. Tout portait à croire qu’il s’agissait d’une nouvelle manière d'impliquer et de consulter les partis pour asseoir un bon déroulement de l’élection. Mais, à la surprise générale, il est apparu à certains qu’il était plutôt question d’ateliers bien ficelés en rapport direct avec le pacte républicain signé par trois partis (UFP/RFD/INSAF) avec le gouvernement et que l'opposition continue de boycotter massivement.
Juste pour vous dire que la position de la CVE est sans ambigüité : rien que par son appellation, la CVE ne pourrait s'opposer à un dialogue constructif, pourvu que ce dernier soit inclusif, sans tabou et impliquant toutes les forces vives de la nation. La CVE avait d’ailleurs fait des propositions concrètes en ce sens lorsqu’elle fut approchée pour signer ledit pacte. Des concertations avaient eu lieu à un certain niveau des structures de l'État ; sans succès.
- Que pensez-vous des propos soupçonnant cette convocation de manœuvre visant à amener les uns et les autres à prendre part aux ateliers du Pacte Républicain contre reconnaissance ?
- C’est d’autant plus possible que le contexte est inédit. Une initiative, à quelques mois de la convocation du corps électoral, ne saurait en effet convaincre tous les acteurs politiques. Mais à nos yeux, ce genre de consultations autour des affaires politiques n’en sont pas moins toujours salutaires pour asseoir, dans l’intérêt supérieur du peuple mauritanien, des bases solides à notre démocratie encore balbutiante. C’est vrai que le PAREN/VE attend encore sa reconnaissance sur le champ politique mais, rassurez-vous, nous n'agissons jamais pour accompagner une démarche déloyale. C’est l’occasion pour moi de rendre un vibrant hommage aux hauts cadres de notre parti, ses militants et sympathisants, qui ne cessent d’apporter des idées constructives pour son rayonnement.
Cela dit, l’ancrage du PAREN/VE partout sur le sol mauritanien nous interdit d’adopter un comportement grégaire. Oui, notre formation a été conviée à ces consultations. En tant que parti en voie de reconnaissance, nous avons notre mot à dire. Nous avons délégué un de nos mandataires qui suit de près les débats. Le discours du ministre de l’Intérieur est un appel au dialogue sur les affaires politiques. Attendons la suite, c’est-à-dire les synthèses, pour mieux décliner les enjeux.
- La présidentielle est fixée au 22 Juin 2023. Comment la CVE se prépare-t-elle à cette échéance ? Pourrait-elle présenter un candidat ou opterait-elle pour une candidature unique de l’opposition ?
- Jusque-là, la CVE n’a pas encore de candidat. De mon point de vue, ce serait une candidature de plus. Après une analyse profonde la situation politique nationale, la CVE fidèle à sa tradition s’est engagée dans une démarche visant à mobiliser et mettre tous les atouts du côté de la grande famille de l’opposition ; pour l’échéance présidentielle d’une part, et l’élaboration, d’autre part, d’une stratégie qui pourrait conduire à la victoire au soir du 29 Juin 2024. La CVE a entrepris des rencontres avec différentes forces politiques, candidats, membres de la Société civile, personnalités indépendantes, visant à organiser une table ronde qui sera organisée dans les jours à venir en vue de réaliser ce dessein qui nécessitera l’effort et l’engagement de tous. Même si la tâche s'avère difficile, nous restons optimistes.
- Le candidat déclaré Biram Dah Abeïd, député à l’Assemblée nationale est sous la menace d’un procès qui pourrait l’opposer au président de l’UFP, le docteur Mohamed Maouloud. Son immunité parlementaire a été levée depuis quelques semaines. Comment la CVE a-t-elle réagi à cette histoire ?
- Cette situation rocambolesque alimente les débats sur la scène politique. Opposant deux leaders – et non moindres, l'un pour sa posture qui fait frémir le pouvoir et l'autre pour sa présence depuis des décennies dans le camp de l'opposition – cette affaire secoue notre paysage politique à quatre mois de l’élection présidentielle. C’est d’autant plus regrettable et même paradoxal qu’elle oppose deux leaders emblématiques de notre opposition. La situation a ainsi entraîné la levée brutale de l’immunité parlementaire du député Biram Dah Abeïd. Beaucoup de questions taraudent nos esprits. D’abord le scénario et la vitesse TGV avec laquelle cette décision a été prise. Pourquoi cette affaire a-t-elle éclaté maintenant, à quelques mois de l’élection présidentielle ? Cette interrogation paraît centrale à toutes celles que l’homme de la rue se pose.
Indignée de la situation, la CVE a apporté un soutien moral au député Biram et continue d’exhorter les deux parties à y trouver rapidement une issue heureuse, afin de garder un climat de paix et sérénité dans notre paysage politique. La Mauritanie ne pourrait se payer le luxe d’un chaos politique à l'image de ce qui se passe dans les pays voisins. Au-delà de tout ceci, cette affaire politico-judiciaire est révélatrice d’un malaise accru au sein de l’opposition démocratique qui doit, de mon point de vue, impérativement se retrouver, pour éviter sa déroute programmée. L’heure est à la retenue, à la concertation et au dialogue, pour que nous bâtissions, tous ensemble, une Mauritanie prospère.
Propos recueillis par Dalay Lam