La présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, le chef du gouvernement espagnol, Pedro Sanchez, et Hans Leitjens, le directeur de l’agence de contrôle des frontières européennes Frontex, ont effectué, le 8 Février, un séjour de quelques heures à Nouakchott. Ces hauts responsables ont rencontré le Président mauritanien. Officiellement, il s’agit d’un partenariat global réunissant la sécurité, le développement économique et le soutien à des projets d’énergies renouvelables. Mais l’accord, conclu mais non encore signé, met en réalité un accent particulier sur la question migratoire qui taraude l’UE. L’aide que celle-ci apporte à la Mauritanie devra essentiellement aider à lutter contre l’immigration clandestine.
Ce que l’Europe gagne
Car l’UE s’inquiète des flots d’immigrants à l’assaut du vieux continent. Elle juge que la Mauritanie est devenue un pays majeur de transit pour les migrants cherchant à atteindre l'Europe. Selon l’agence européenne Frontex, leur nombre traversant la Méditerranée a plus que doublé en 2023 par rapport à l’année précédente. Et d’après les autorités espagnoles, sur dix embarcations qui ont atteint les îles Canaries en Janvier 2024, huit sont parties de la Mauritanie. « Nous assistons à la chute des gouvernements démocratiques », a déclaré Pedro Sanchez, « à une augmentation des attaques terroristes, à une hausse des réfugiés et des personnes déplacées et à l'aggravation d'une crise de sécurité alimentaire déjà aiguë ». On se souvient ici que la Mauritanie avait signé avec l’Espagne un accord bilatéral de rapatriement des clandestins en 2003. Ce serait donc à amplifier cet accord que tendrait l’UE, alors que la Mauritanie accueille actuellement des milliers de réfugiés ayant fui l’insécurité régnant au Mali.
Ce que gagne la Mauritanie
Bloquer les migrants : en fait, c’est concrètement pour cela que Nouakchott va recevoir de l’argent européen. Selon le projet d’accord, nos gouvernants devraient recevoir à cette fin une enveloppe de 522 millions d'euros dont 210 millions d'ici la fin de 2024. 40 millions seront dédiés à la sécurité ; et 22 millions supplémentaires pour l’armée (formation des garde-frontières et lutte contre le terrorisme). D’autres investissements sont évoqués, comme la transition vers l’énergie verte, le financement d’un grand projet routier le long de la côte entre Nouakchott et Nouadhibou ou celui d’une ligne à haute tension de 1 400 kilomètres reliant la capitale à Néma, dans l’Est, avec une centrale solaire à Kiffa.
Un accord qui interroge
Le projet n’a pas manqué de susciter interrogations et inquiétudes. L’opposition mauritanienne réclame des clarifications sur les termes du contrat. Elle se demande s’ils ne viseraient pas à faire de la Mauritanie un « centre de rétention » des migrants venus de l’Afrique subsaharienne ou renvoyés d’Europe. « Seront-ils renvoyés vers leur pays ou pourront-ils rester sur place, si leur bateau est intercepté ? », s’est demandé Camille Le Coz, directrice associée au centre de recherche Migration policy institute et membre du réseau Désinfox migrants. Le cas des migrants renvoyés au Rwanda depuis le Royaume Uni est dans tous les esprits.
Les Mauritaniens s’interrogent également sur l’utilisation des fonds alloués au pays. Cela fait des années que l’Union Européenne octroie sans grands effets des millions d’euros à la Mauritanie dans le cadre de la lutte contre l’immigration clandestine. Les départs depuis son territoire se sont multipliés de manière exponentielle et la source de l’immigration n’a pas tari. Alors, quelle nouvelle stratégie l’UE mettra-t-elle en place pour pister les fonds qu’elle mettra à disposition ? Ce n’est un secret pour personne que l’immigration tire sa force de la pauvreté, de l’instabilité et des discriminations. Comme le stipule, dit-on, l’accord, la Mauritanie réussira-t-elle à démanteler les réseaux locaux de passeurs ? L’argent suffit-il à arrêter la migration ?
Ensuite, quelles faveurs prévoit le projet pour les mauritaniens désireux de voyager en Europe de manière légale ? L’aide prévue pour la jeunesse servira-t-elle vraiment à dissuader nos jeunes de partir à l’aventure ? Les pays à grande destination comme la France et l’Espagne faciliteraient-ils l’obtention de visas ? Il faut craindre enfin que la signature de ce genre d’accord ne vienne renforcer la défiance vis-à-vis de certains pays européens. Beaucoup de questions demeurent donc, alors qu’en Tunisie et en Turquie, signataires d’accords similaires avec l’UE, on a noté une diminution très nette des départs depuis leur territoire respectif...
Dalay Lam