Passions d’un engagement (7): Akjoujt-1: «Mohamed Couscous» /Par Ahmed salem Ould El Mokhtar (Cheddad)

21 February, 2024 - 18:34

Le militant du PKM
À la fin de l’année 1972, on m’informa de la fin de mon stage et de mon admission comme membre du Parti des Kadihines de Mauritanie (PKM). Le choix du nom du parti n’était pas chose fortuite: en effet, en arabe, les initiales signifient « hakem: arbitre ou sage», alors que les initiales du parti au pouvoir PPM, Parti du Peuple Mauritanien, donnent en arabe: « hechma: honte ».
Ma candidature, en réalité supposée ou virtuelle selon le langage en vigueur aujourd’hui, devrait être parrainée par 2 à 3 membres du parti. J’appris l’existence du parti au moment de mon admission dans ses rangs. D’après le poète Ahmedou Ould Abdelkader, certains avaient émis des réserves sur ma candidature, évoquant mon passé à Rosso et l’indépendance totale dont j’avais fait preuve dans l’encadrement local du mouvement. Pour ceux-ci, des séquelles de cette indépendance pourraient développer chez moi une certaine résistance à la rigueur de la discipline, rigueur indispensable à l’organisation clandestine. Pour le reste, les membres de la direction du parti ont exprimé leur entière satisfaction à mon égard. Avec le recul, je comprends maintenant parfaitement leurs réserves. En matière d’idées et d’idéologies j’ai toujours privilégié la vérité des faits sur les démonstrations théoriques les plus sublimes. « Seule la vérité est révolutionnaire », disait Lénine. C’est l’unique citation d’un théoricien du marxisme que je n’avais jamais soumise au doute.
 

 

La mutation en Inchiri
Après mon admission au parti, on m’informa en même temps de ma mutation à Akjoujt. J’y allais aussitôt. Seulement attention, l’Akjoujt de la SOMIMA du milieu des années 70, officiellement Société des Mines de Mauritanie, est totalement différent de l’Akjoujt d’avant ou d’après. L’envergure de la SOMIMA transforma de fond en comble la petite bourgade paisible au cœur de l’Inchiri. À l’époque de la SOMIMA, Akjoujt était comptabilisé parmi les principales villes modernes du pays.
Arrivé sur le lieu, je fus accueilli par Themine Ould Abidine, le représentant local du parti. Themine est le frère cadet du militant chevronné feu Beddine, futur directeur d’un département de Radio Mauritanie. On forma à deux une cellule du PKM dont il était le président. Quelques mois, après je le remplaçais. Il était muté ailleurs. Mmema, la mère de Themine, et d’autres vieilles, appartenant à la même collectivité, comme Meymouna, la mère de feu Mohamed Salem Ould Zeine, ainsi que la maman de Mohamd Elhassène Ould Lebbatt, motivées principalement par l’amour de leurs fils, vouaient une sympathie sans bornes à notre mouvement. Il est pratiquement impossible d’évaluer à sa juste valeur leur précieuse, discrète et inestimable contribution.

 

Des cercles sympathiques de jeunes
À Akjoujt, on encadrait des dizaines d’activistes dont des jeunes, des enseignants et surtout des ouvriers. Parmi les jeunes, caractérisés par leur dévouement et leur dynamisme, citons trois cousins natifs d’Akjoujt: Elboukhari, Taleb Khyar et feu Ahmed Ould Sidi. Des jeunes amis à eux appartenant à d’autres familles faisaient partie de nos dynamiques sympathisantes. Citons parmi eux : en plus des deux sœurs de Taleb Khyar, Vatimetou et Nnahda, Jemal Ould Kaber, Jemal Ould Heyine, Mohamed Ali Ould Breidlill, Ahmed Ould Soueidi, feu Taghi Ould Edhmine, Elhadrami Ould Sid Ahmed, Mohamed alias Agourar (il était amputé d’un morceau de son oreille). Ce dernier, un jeune d’origine Sahraouie, finira par rejoindre le front Polisario. Très tôt il trouvera la mort au cours d’une bataille.

 

 

Deux jeunes frères haratine originaires de Magtaa Lehjar faisaient partie également de notre staff local. Il s’agissait de Sambouté et son jeune frère, mon ami intime, feu Jibril. Celui-ci, en plus de sa grande sympathie pour le mouvement, possédait un grand talent de commerçant. À partir de pratiquement rien, il a réussi à devenir en l’espace d’à peine deux années l’un des principaux commerçants de la ville. Il se tuera au cours d’un violent choc de sa voiture (une camionnette Peugeot) en 1978. Il rentrait de Nouakchott à la veille d’une fête religieuse. Il avait l’habitude de descendre chez moi. Sambouté, Jibril et leur petit frère Tiyib habitaient chez leur grand frère Alioune Ould Breihmatt, un ouvrier de la Somima. Au début, je logeais chez eux. Alioune était un syndicaliste très lié à la droite de l’UTM et aux milieux des autorités locales. Juste après mon arrivée à Akjoujt, Sambouté me présenta à son frère, sous le nom de Mohamed, comme étant un chômeur illettré à la recherche d’un travail de manœuvre.

 

Les Heyine
Après près d’une année, j’ai réussi à chasser ses soupçons sur moi. Il était moins intelligent que feu Mohamed Ould Heyine, parent et beau-frère de la famille des Heyine d’Akjoujt, dont tous les membres furent gagnés par la sympathie au mouvement, y compris leur vieille, la très aimable maman feue Elweyna dite Boyboy.
Par contre, leur père, le vieux Dellahi, son mari, manifestait de fortes réserves à notre égard. La maman Boyboy l’empêchait de le manifester devant nous. L’engagement de leur fils Mohemd Salek (le futur administrateur directeur général de la Snim) à nos côtés explique en grande partie leur sympathie pour le mouvement. Il faisait partie de l’élite estudiantine en grève à l’époque en solidarité avec les élèves renvoyés et les travailleurs licenciés. Sa grande sœur Zeineb était la femme de feu Mohamed Ould Heyine. Ce dernier était le frère ainé de Sidatt, un sympathisant, associé à Jibril dans le commerce. Une fois, on me présenta à Mohamed Ould Heyine, exactement comme on m’a présenté à Alioune. On mangeait chez lui lorsqu’il fixa son regard sur mes mains. « Vous me prenez pour un dupe! Détrompez-vous», s’écria-il: «ces mains de « Chirechmala (1)» ne sont pas celles d’un illettré ! », commenta-il. Puis s’adressant à moi: « Mes parents m’ont donné ton nom, Mohamed, mais si tu peux me donner le nom de ton père ? » me demanda-il poliment. Pour mettre en terme à une enquête plus poussée, je pointai du doigt le plat de couscous devant nous, lui indiquant avec une dose d’ironie pour l’éloigner du sérieux, que c’est ça mon père. Tous rigolaient, mettant fin à l’enquête non désirée. J’étais encore, en effet, toujours en état de condamnation pour deux mois de prison ferme depuis Nouadhibou. Elle va me coûter cher cette boutade.
Désormais dans l’entourage immédiat d’Akjoujt, on m’appelait souvent Mohamed Couscous. De toute façon, un père de plus, n’est certes pas une mauvaise chose, et qui est de surcroit, beaucoup plus agréable que bien d’autres pères aux noms prestigieux, mais des fois au goût amer.
L’étudiant Mouhemd Salek jouissait d’une éducation exceptionnelle. Il rendait souvent visite à ses parents. Son demi-frère maternel était l’homme d’affaires Mohamed Ould Marco. Lui et Mohamed Ould Christophe ont débuté comme de modestes tacherons, sous-traitants à la SOMIMA. Chez ses parents, Mohemd Salek se comporte comme un étranger. Il lit beaucoup. Il leur parle rarement. Habituellement je lui rendais visite quand il est de passage. Il s’ouvre entièrement à moi. On discute politique. Ses parents sont joyeux de le voir si ouvert, si expansif. C’est pourquoi à chaque fois qu’il passait, ils se mirent à me chercher. Il épousera plus tard Vatma Mint Ahmedou Bamba de Mederdra, l’une du monde des filles scolarisées que j’encadrais à Nouakchott. Chez eux, on me traitait comme l’un de leurs fils. On m’appelle familièrement Mohamed. Seul le mari de leur fille Zeineb, commerçant à Rosso, porte le nom Mohamed. Il est rare à Akjoujt. Ses enfants, Jemal, Mouhyiddine et Manssoura, je les prends comme des petits frères. Les deux fils portent les noms de prestigieux officiers Egyptiens, membres du comité des « officiers Libres », auteurs du renversement du roi Farouk en 1952, Gamal Abdel Nasser et Zekeria Mouhiddine. Cela permet de mesurer le grand impact du leader égyptien sur toute une génération en Mauritanie.
 

La MAFIA militante
Parmi nos sympathisantes, il y a lieu de citer un groupe d’une dizaine de jeunes filles. Organisées en club sous l’appellation de «Mafia», nom tiré de celui de la Mafia Sicilienne. Elles sont presque toutes natives d’Akjoujt. Menées par Néné Dramé et son amie Aidalou, défiant tous les tabous, elles mènent une vie libertine et sans contraintes. Comme nos idées submergent tout l’espace culturel, elles ne cachent pas leur sympathie pour nous, malgré qu’on diverge radicalement sur leur façon de défier certaines règles morales et religieuses. Leur encadrement est confié à notre camarade, le jeune Elmoustafa Ould Jidd, le frère cadet du poète populaire Ahmedna. Celui-ci ne cache pas d’ailleurs son intérêt particulier pour le groupe. Elmoustafa me secondera plus tard dans la direction locale du parti.

 

 

(1)« Chirechmala », un reptile inoffensif aux pattes de devant lisses et ressemblant à des mains humaines. Je ne l’ai pas connu dans nos forêts pourtant pleines de reptiles de toutes sortes. Je l’ai observé de près il y a juste quelques années à Nouakchott. Sa vue me ramena plus de 40 ans en arrière.
 

(À suivre)