La décision annoncée vendredi 9 février par le bloc des pays d’Afrique du Nord de propulser la Mauritanie à la tête de l’Union africaine (UA) a soulagé bon nombre de diplomates africains. Ils craignaient une paralysie de l’organisation continentale lors du sommet annuel des chefs d’Etats qui se tiendra à Addis-Abeba les 17 et 18 février. Les pays nord-africains, qui avaient la charge de désigner l’un des leurs pour assurer la présidence tournante de l’UA en 2024, ont en effet longtemps été incapables de trouver un candidat commun.
C’est finalement le président Mohamed Ould Ghazouani prendra le relais de son homologue comorien, Azali Assoumani. « La région du Nord a unanimement désigné la République islamique de Mauritanie pour tenir le rôle de président de l’Union africaine cette année », a fait savoir l’ambassade de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) auprès de l’UA, le 9 février.
En apparence collégiale et unanime, la décision a en réalité été obtenue après de difficiles négociations au sein du bloc nord-africain qui ont duré deux ans, principalement en raison du clivage qui oppose les grands rivaux du Maghreb, l’Algérie et le Maroc. Initialement tous deux candidats au poste, Rabat et Alger ne voulaient pas laisser le privilège de la présidence tournante à l’autre, quitte à ce que l’absence de désignation bloque l’institution.
La Mauritanie, d’abord réticente à l’idée de diriger une institution panafricaine, a fini par céder aux demandes de sa région. « Par élimination, la Mauritanie était le seul candidat possible de ce bloc », analyse un diplomate nord-africain au sein de l’UA, sous couvert d’anonymat.
« Le plus dur aura été de convaincre Nouakchott »
En effet, après que les candidatures algérienne et marocaine se sont neutralisées, l’Afrique du Nord ne disposait que de la Mauritanie comme candidat crédible. La Tunisie s’est discréditée auprès du continent après les déclarations incendiaires du président Kaïs Saïed, stigmatisant les migrants subsahariens sur son sol. « Un discours haineux à caractère raciste », selon les mots du président de la commission de l’UA, le Tchadien Moussa Faki Mahamat, qui a choqué en Afrique.
L’Egypte, déjà à la tête de l’UA en 2019, lors de la dernière présidence attribuée au bloc d’Afrique du Nord, ne pouvait rempiler. Quant à la Libye, minée par la guerre civile, et la RASD, au centre d’une intense bataille diplomatique, elles ne pouvaient obtenir le soutien de leurs voisins. Si le bloc Afrique du Nord avait échoué à trouver un candidat, la présidence 2024 aurait été transférée au bloc d’Afrique australe, où l’Angola semblait favori.
« Finalement, le plus dur aura été de convaincre Nouakchott d’endosser ce rôle », souligne un diplomate est-africain, en poste à Addis-Abeba. La présidence de l’institution panafricaine, incarnée par le président comorien Azali Assoumani depuis février 2023, requiert une présence active aux quatre coins d’un continent où se multiplient les crises et demande un rôle de représentation à l’international, comme au G20 dont l’UA est devenue membre permanent à l’automne 2023.
« La présidence de l’UA est, en règle générale, attribuée à un pays qui cherche à se projeter et à peser sur les dossiers continentaux, ce qui ne semblait pas être le cas de la Mauritanie », indique Paul-Simon Handy, chercheur au sein de l’Institute for Security Studies. Contactée par Le Monde, la représentation mauritanienne auprès de l’UA n’a pas donné suite à nos demandes d’entretien.
« Ce choix arrange tout le monde »
Nouakchott a d’autres priorités. Le président Mohamed Ould Ghazouani brigue un second mandat lors de la présidentielle prévue en juin 2024. Son parti a déjà remporté une large victoire aux élections législatives, régionales et municipales, en mai 2023. Un scrutin entaché de « fraudes énormes » selon l’opposition mauritanienne.
De plus, il prend les rênes de l’organisation panafricaine à un moment délicat. « Son voisinage brûle », fait remarquer un membre de l’Union africaine. La Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) est fracturée par de multiples crises, au premier rang desquelles le retrait annoncé des trois régimes militaires du Niger, du Mali et du Burkina Faso.
Le report de l’élection présidentielle sénégalaise du 25 février au 15 décembre ajoute un foyer de tension à la région. Enfin, plusieurs dossiers complexes sont apparus sur le continent en 2023 sans que l’UA soit en mesure d’y répondre : la guerre civile soudanaise, les tensions entre l’Ethiopie et la Somalie à propos d’un accès à la mer, la dangereuse escalade dans les Grands Lacs entre le Rwanda et la République démocratique du Congo.
« Le choix de la Mauritanie arrange tout le monde, c’est un candidat du compromis, sans ennemi », prévient un cadre de l’UA. Dans sa propre région, Nouakchott s’applique à pratiquer une « neutralité positive » vis-à-vis du dossier le plus épineux, celui du Sahara occidental. « Le Maroc voit d’un bon œil la présidence mauritanienne au moment où il veut acter son rapprochement avec les pays du Sahel », poursuit ce cadre, alors que l’Algérie avait jusque-là l’habitude d’exercer son influence chez ses voisins du Sud. Outre la concrétisation du gazoduc Nigeria-Maroc, Rabat a proposé désormais un accès à sa façade Atlantique au Mali, au Burkina Faso, au Niger et au Tchad pour désenclaver leurs économies, et pourrait bénéficier de l’appui de Nouakchott dans ce projet.
A l’inverse, l’Algérie se retrouve en délicatesse à la suite de sa récente brouille diplomatique avec le régime militaire au Mali. Cependant, Alger pourrait profiter de l’arrivée de Mohamed Ould Ghazouani à la tête de l’UA d’une autre manière. D’après plusieurs sources, en contrepartie de son soutien à la candidature mauritanienne, Alger aurait négocié son retour au sein du stratégique Conseil de paix et de sécurité (CPS), l’organe de règlement des conflits de l’UA. Longtemps à la tête du CPS, l’Algérie pourrait y rejoindre le royaume chérifien, qui y siège jusqu’en 2025.
Noé Hochet-Bodin(Nairobi, correspondance)
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