On croyait l’opposition complètement anesthésiée pour ne pas dire décédée de sa belle mort depuis l’accession de Mohamed Cheikh Ghazwani à la tête du pays. L’élection présidentielle de 2019 l’avait confrontée à son incapacité de parler d’une seule voix lors des grands enjeux, remettant à jour après jour ses profondes divisions et les agendas cachés des uns et des autres. L’unité de façade qui avait prévalu jusque-là s’était fracassée sur l’impossible choix d’une candidature interne unique ou indépendante. Ainsi l’opposition perdit-elle la bataille face au candidat des militaires. Dans cinq mois, les Mauritaniens s’apprêtent à retourner aux urnes pour élire leur président. Et les questions que tous les observateurs se posent tournent autour de deux principales : quelle stratégie va adopter l’opposition pour contrer le pouvoir ? Quelle alternative compte-t-elle proposer aux électeurs ? Questions à un million MRU chacune…
Attaques tous azimuts
Depuis que les partis de la majorité présidentielle ont invité le président de la République à briguer un second mandat pour poursuivre et parachever l’œuvre engagée depuis Août 2019, l’opposition retrouve de la voix – il y va, semble-t-il, de sa survie… – et cogne fort contre le pouvoir. En marquant tout d’abord son refus de rallier le pacte républicain signé entre le RFD et l’UFP d’une part et l’INSAF d’autre part, avec le parrainage du ministère de l’Intérieur. Ils disent n’avoir pas été consultés pour la reprise du processus de dialogue interrompu unilatéralement par le pouvoir à la veille de son démarrage en été dernier. Ceux qui n’avaient pas accepté les concertations refusent aujourd’hui de prendre le train en marche. C’est notamment la position de l’APP, parti du président Messaoud Boulkheïr qui maintient sa position, entend-on dire, malgré des émissaires du pouvoir attachés à le convaincre.
En bref, pas question de se laisser embarquer dans un processus préparé et mis en œuvre par le ministère de l’Intérieur ! Rien n’en garantit la fiabilité et la crédibilité. Et certains de rappeler le résultat des concertations entre les partis et le même ministère à la veille des élections locales de Mai dernier qui ont donné lieu à une fraude jamais vécue en Mauritanie, même sous Ould Taya et son PRDS. Quoique tous s’interrogent sur comment réussir une présidentielle consensuelle et crédible et réaffirment leur attachement au dialogue, l’opposition estime que celui-ci n’est pas une urgence pour elle. Y consentir suppose un certain nombre de préalables, notamment l’engament ferme et solennel du président de la République à garantir un dialogue inclusif, franc et sincère dont les recommandations ne pourriraient pas dans les tiroirs du palais de la République.
Á moins d’un semestre de la présidentielle, l’opposition ne veut pas se leurrer sur ces hypothèses et préfère se focaliser sur sa priorité : s’unir pour barrer le chemin de la réélection de Mohamed ould Ghazwani. Certains préconisent des actions fortes pour dénoncer et déconstruire les « fantasmes » de la majorité autour des réalisations de l’actuel Président. Un objectif réalisable ? Pourront-ils resserrer ses rangs pour organiser des marches et sit-in de protestations, démontrant ainsi que l’opposition est bien vivante et agissante ? Difficile pari au regard de l’imprévisibilité de certains de ses leaders obnubilés par leur agenda respectif…
Mais on se souvient qu’elle avait pourtant réussi à se réunir pour protester contre la fraude des dernières élections locales. Alors jouer la carte du boycott de la présidentielle ? Unanime, il entacherait bien évidemment la réélection du président Ghazwani. Mais l’antidote du pouvoir serait de se trouver des candidats pour tenter de crédibiliser le scrutin, comme en 2007. Dans cette perspective, les divergences autour du pacte républicain forment un sacré caillou dans les souliers de l’opposition et quelques loups ne tarderont pas à sortir du bois pour tirer les marrons du feu... D'ailleurs un des partis signataires dudit pacte, en l'occurrence l'UFP, suspecte une alliance entre certains extrémistes de l'opposition et de la majorité, visant à « torpiller » l’accord et d'empêcher ainsi un règlement consensuel et définitif des problèmes qui se posent au pays, notamment la question de l'unité nationale. Rien n’est donc simple et la croisée des chemins entre le Palais et l’abîme semble bien indiquer, aux contestataires, la nécessité d’examiner les voies et moyens de trouver une candidature unique ou un candidat indépendant externe. Un gros défi ! En attendant, il s’agit de sortir du silence.
Les députés au front
Pendant que les partis cherchent une voix de salut dans des concertations tous azimuts, leurs représentants donnent le la au sein de l’Hémicycle. Le discours-bilan du Premier ministre Mohamed Bilal le 27 Janvier devant les élus puis les plénières avec les ministres de l’Économie et des Finances ont servi de tribune à l’opposition pour tirer à boulets rouges sur le gouvernement. Tous les mots et maux sont brandis. Des ténors et vétérans, comme Kadiata Malick Diallo, Biram Dah Abeïd, Mohamed Lemine Sidi Maouloud, maître El Id, jusqu’aux benjamins Khali Diallo et Aissata Alassane, en passant Abdessalam Horma, Sawdatou Wane, Mariam mint Cheikh Dieng… tous ont sortis les griffes pour épingler le bilan peu reluisant du quinquennat de Ghazwani.
Aucun département ministériel n’a été épargné. Corruption, rétro-commissions, lenteurs et mauvaise exécution des projets, trop souvent sources d’enrichissement pour des responsables se sucrant avec les commissions, dette extérieure qui explose, obstruction à l’exécution des décisions de justice, injustices, inégalités, laxisme, critères douteux de nominations des magistrats, procureurs et cours des tribunaux, hausse constante des prix et dysfonctionnements dans l’approvisionnement du marché mauritanien en fruits, légumes et céréales, signant l’échec de la politique d’autosuffisance alimentaire, hausse injustifiée du budget de l’État et de la Présidence, boulimie de foncier, refus officiel de reconnaître certains partis, problèmes de l’enrôlement, de l’unité nationale, du passif humanitaire, de la Santé, de l’Éducation … manque d’impacts de Taazour, fonctionnement déplorable du Parlement, cascade de projets de lois à adopter en un délai trop court, manque de respect envers les élus, particulièrement ceux de l’opposition, diplomatie peu active… : tout y est passé.
Fusant de partout, ces attaques ont été lancées devant les députés médusés de la majorité. Ceux-ci en ont-ils perdu de la voix pour défendre le gouvernement ? Certains d’entre eux ont eux-mêmes exposé sans équivoque le déficit en infrastructures dans leurs circonscriptions, les problèmes d’enrôlement, etc., alors que le gouvernement clame ses « grandioses réalisations ». Pour le député Youssouf Tidjane Sylla l’opposition est dans son rôle, elle ne peut que critiquer l’action du gouvernement… mais cela n’occulte pas la réalité des faits. Du coup, la bataille s’annonce plus rude que prévue à l’approche de la présidentielle.
Certes la majorité s’attèlera à faire réélire son mentor, le président Ghazwani dont la candidature ne paraît faire l’ombre d’aucun doute. Le principal parti de la majorité présidentielle a déjà sorti dans ce cadre le calendrier de ses actions. Du sommet à la base, ses différentes structures vont se réunir pour sensibiliser leurs militants et sympathisants en vue de la campagne. La première dame pourrait cette fois-ci être très sollicitée et donc sortir véritablement de l’ombre. Pendant que les acteurs de la scène politique gesticulent, la Commission électorale nationale indépendante (CENI) se prépare. Après avoir discuté avec les partis et le ministère de l’Intérieur, elle a fixé la date du scrutin et du recensement à vocation électorale. La commande des cartes d’électeurs est désormais actée. Elle sera prête à la date échue, chuchote-t-on à la direction de l’instance chargée d’organiser les élections. Il existe donc un mot d’ordre unanime, tous partis et tendances confondues : en avant toute !
Dalay Lam