SOMMET DE MALABO L’Union africaine orpheline de diseur de vérités

27 June, 2014 - 15:09

Les sommets de l’Union africaine se suivent et se ressemblent. Du moins, c’est le sentiment répandu chez bien des observateurs. En tout cas, le citoyen africain bien averti éprouve une espèce de dépit, d’amertume, de déception face à ces grand-messes continentales. Ce, parce que les questions de fond comme les problèmes de gouvernance, d’élections truquées, de refus de l’alternance sont soit occultées, soit traitées avec légèreté.

 

Tout porte à croire que le 23e sommet de l’UA sera un sommet de plus

 

En somme, après une cinquantaine d’années d’existence, si on prend en compte la défunte Organisation de l’Unité africaine (OUA) dont l’UA est l’héritière, le bilan de l’organisation continentale laisse songeur. Tout porte à croire que le 23e sommet de l’UA qui se tient à Malabo en Guinée équatoriale sur le thème « l’Agriculture et la sécurité alimentaire en Afrique », sera un sommet de plus.

A Malabo, les chefs d’Etat et de gouvernement devront également réfléchir sur la mise en place d’une force d’intervention rapide. Une bonne idée, surtout avec le retour dans les rangs, de l’Egypte de Abdel Fattah Al-Sissi, un poids lourd incontesté du continent. Mais au-delà des querelles de leadership et des controverses sur la forme que devra prendre ce nouvel organe, se pose la question cruciale de son financement. En effet, qui va financer cette force ? Quand on sait le peu d’empressement de bien des Etats membres à verser leurs contributions financières à l’UA et par conséquent le déficit chronique dans lequel se trouve le budget de l’Organisation depuis surtout la chute de Mouammar Kadhafi qui prenait bien des choses en charge, point n’est besoin d’être grand clerc pour savoir que, comme les autres initiatives avant elle, cette fameuse force d’intervention risque fort de végéter. Au mieux, elle devra encore attendre que les Occidentaux délient les cordons de la bourse, entachant ainsi son indépendance et compromettant au passage la maîtrise réelle de son agenda. Il y a, de ce fait, fort à craindre que ce soit une structure mort-née si elle parvenait à voir le jour.

Avec l’UA, on assiste à des rencontres convoquées tambour battant, mais sans finalité réelle. Il n’y a pas d’autocritique de nos dirigeants. Bien au contraire, ces sommets sont des occasions où ils se chatouillent pour rire, où le bon grain est étouffé par l’ivraie. En effet, les quelques exemples de dirigeants démocrates du continent sont ballotés par le flot impétueux des putschistes reconvertis et autres potentats « propriétaires de leur pays ». Autant dire qu’à ces rencontres et à l’opposé de celles de l’Union européenne, voire du Commonwealth, il y a très peu de place pour les questions d’Etat de droit et de bonne gouvernance politique. La majeure partie des dirigeants africains n’ont aucune envie d’entendre parler de respect de Constitution, de limitation de mandats présidentiels, de nécessaire alternance au sommet de l’Etat, de bonne gouvernance politique en un mot. Ces rencontres sont organisées pour juste donner l’illusion que l’Afrique est debout, qu’elle avance et que ses dirigeants y travaillent d’arrache-pied. En réalité, ces sommets se révèlent des occasions pour échanges de recettes, de « bonnes pratiques » entre dictateurs.

 

L’UA fera, pour longtemps encore, figure de syndicat de chefs d’Etat africains

 

Tant que cette attitude sera de mise, il ne faut pas outre mesure s’étonner que les foyers de tensions internes soient nombreux sur le continent. Du reste, la question de la résolution des conflits est récurrente aux sommets de l’UA sans qu’on ne puisse vraiment enregistrer une amélioration substantielle de la situation. Pour les conflits qui secouent le continent, il n’y a pas de solution miracle : les dirigeants du continent doivent enfin se regarder dans la glace. Si un tel effort de leur part avait été fait, on n’en serait pas toujours à convoquer des sommets sur la paix et la sécurité. Tant que les dirigeants n’auront pas compris cela, les conflits auront malheureusement la peau dure. Ce n’est pas parce que les initiatives de résolution ont fait défaut, mais parce qu’il y a trop d’hypocrisie. Trop souvent, les chefs d’Etat se comportent en pyromanes. Ils se refusent à toute introspection et à toute remise en cause sérieuse. Facile donc de comprendre que l’étendue des brasiers reste proportionnelle à la somme des efforts déployés par ces pyromanes.

On peut se féliciter que l’UA se soit érigée contre les changements anticonstitutionnels de régime, ce qui a contribué à réduire le taux de prévalence des coups d’Etat sur le continent. Mais, et c’est là toute la tragédie, elle n’a pas la même rigueur dans la dénonciation de la mauvaise gouvernance politique, l’une des principales causes des crises à répétition en Afrique. C’est dire si l’UA fera, pour longtemps encore, figure de syndicat de chefs d’Etat africains. Elle caresse les dictateurs du continent dans le sens du poil. L’identité même de l’hôte du sommet de Malabo, qui est loin d’être une référence en matière de gouvernance démocratique, en est un exemple des plus parlants.

En vérité, l’UA est orpheline de diseur de vérités comme Alpha Omar Konaré qui n’hésitait pas, du temps où il présidait la Commission de l’UA, à donner des coups de pied dans la fourmilière. Ses successeurs n’ont pas su  briser la chaîne de dépendance vis-à-vis des chefs d’Etat et de gouvernement qui avaient fait d’eux ce qu’ils ont été. Ils n’ont pas eu le courage de Konaré. L’aveu de Nkosazana Dlamini Zuma qui dit être plus à l’aise sur les dossiers économiques que sur les questions politiques, en dit long sur l’ampleur de son impuissance à avoir de l’ascendant sur ces chefs d’Etat.

 

« Le Pays »