On assiste souvent à une controverse sur le traitement comparatif accordé à la pêche artisanale et à la pêche industrielle, en termes de mesures pratiques d'aménagement et de priorités dans les politiques. Certains estiment ainsi que la pêche industrielle est tellement bien intégrée à l'économie du marché qu'elle peut être analysée en termes purement économiques, alors que, dans la pêche artisanale, les considérations sociales sont beaucoup plus importantes. Mais celles-ci n’en ont pas moins un contenu économique. Le traitement approprié de la pêche doit reposer sur une analyse des coûts-bénéfices tenant compte de valeurs sociales, même si l'évaluation de celles-ci peut s'avérer difficile, au vu de la grande imprécision et du caractère subjectif des critères d'appréciation.
Une autre attitude typique qui mérite aussi d'être discutée est cette tendance à considérer la pêche industrielle comme l'expression de la modernisation, du progrès et de la prospérité, laissant sous-entendre que l'objectif à long terme serait de remplacer la pêche artisanale par la pêche industrielle. Je crois que dans la meilleure des hypothèses, cette vision des choses n’est seulement valide qu’en partie. Il est vrai qu'en général la pêche industrielle a atteint les limites de l'expansion de ce secteur et c'est seulement grâce à sa technologie que l'on pourra accéder aux ressources halieutiques encore inexploitées ou sous exploitées. Cependant, il y a deux raisons pour lesquelles il est permis de supposer que la pêche artisanale continuera d'être une composante forte et essentielle de l'industrie de la pêche.
Elle demeurera d'abord le moyen le plus efficace, sinon l'unique moyen, d'accéder aux abondantes ressources en eaux peu profondes, dans les plans d'eau fermés et ceux uniquement accessibles à de petites embarcations. Ensuite la plus fréquente forme de propriété, celle de patron-pêcheur commune aux pêcheries artisanales bien développées, présente des avantages économiques considérables. La structure de la propriété des moyens de production de la pêche artisanale montre une très forte proportion d'opérateurs (plus de 70%) qui possèdent leurs propres unités. Une forte motivation personnelle constitue donc un élément très important pour le succès d'une entreprise de pêche. Le patron-pêcheur a tout intérêt à obtenir la plus grande capture possible et bien maintenir ses moyens de production.
Par ailleurs, un système informel s'est développé ces dernières années, mettant en œuvre un véritable système intégré d'approvisionnement, d'achat, de stockage et de commercialisation. Ce système assure aux mareyeurs l'exclusivité de l'achat du poisson. Conséquence de cette dominance, plusieurs magasins d'approvisionnement et des entrepôts pour la collecte, la manutention et la conservation des débarquements sont implantés par les mareyeurs en différentes zones de pêche. Ceci confirme le rôle et le mérite du mareyage dans le développement de la pêche artisanale.
Je pense donc que la pêche artisanale aura dans le futur non seulement une place importante et sûre dans le secteur mais elle pourra aussi déplacer en partie sa rivale industrielle. Au fur et à mesure que les patrons-pêcheurs accroîtront leur compétence technique et leur capacité financière, ils seront en mesure d'acquérir des unités plus sophistiquées et pêcher à plus grande distance de leur port d'attache. Avec une bonne gestion bio-économique des ressources halieutiques côtières et même dans un cadre de réduction globale de l'effort de pêche, la pêche artisanale peut s'avérer à la fois hautement productive et très rentable.
Droits de pêche, réglementation et aménagement
Enfin le troisième point que je voulais aborder, c'est les systèmes de droit de propriété, puisqu'ils affectent l'aménagement de la pêche artisanale. Á partir du moment où ils ont commencé à s'impliquer dans l'analyse de la pêche, les entrepreneurs ont relié les problèmes de celle-ci à la question des droits de propriété. Ils ont eu tendance à imputer ces problèmes presque uniquement à un manque de droits convenablement définis, ce qui conduit à une surexploitation semblable à celle observée en situation de propriété commune. Ils envisagèrent aussi divers moyens pour étendre les droits de propriété en matière de pêche afin de parvenir à une exploitation plus rationnelle et plus rentable de la ressource. Nous avons un urgent besoin d'orientations neuves et innovatrices dans l'aménagement de la pêche pour nous mettre sur la piste d'applications nouvelles et profitables.
Enfin, je n'ai pas pu ignorer d'autres caractéristiques communes plus positives et relatives à la valeur du mode de vie et de la culture dans le milieu de la pêche. Ces caractéristiques sont habituellement l'identification au milieu, l'attachement à la communauté et le sentiment d'indépendance du pêcheur dans l'organisation de son travail. La préservation de ces valeurs et les perceptions des communautés de pêcheurs justifient à mon avis encore davantage l'investissement de fonds publics pour accroître la viabilité de la pêcherie artisanale. L’évolution au cours des deux dernières décennies rendent nécessaires une réévaluation de la validité des approches conventionnelles du développement et de l'aménagement des pêches. De nombreux projets de développement continuent en effet à insister sur l'utilisation de bateaux et d'engins de pêche améliorés et sur l'apport de capitaux pour permettre aux pêcheurs d'adopter les techniques nouvelles. Les conséquences en sont un surcroît de pression sur la vie marine et la diminution progressive du nombre d'emplois au fur et à mesure que l'aide à l'équipement réduit la composante de main d'œuvre, même au sein des communautés d'artisans-pêcheurs. Il faut intégrer ces paramètres en vue de la durabilité de l’ensemble.
Cheikh Ahmed ould Mohamed
Ingénieur
Chef du service Études et Développement
Établissement portuaire de la Baie du repos (Nouadhibou)