Lettre à monsieur le ministre de l’Education nationale

5 February, 2015 - 01:36

Dans le Calame 656 du 23 septembre 2008, juste une semaine après la formation du premier gouvernement issu du coup d’Etat du 6/08/2008, Sneiba El Kory écrivait  cette lettre à Ahmed Ould Bah qui venait d’être nommé ministre de l’Education nationale. Nous la reproduisons cette semaine textuellement, sept ans après, en cette Année de l’enseignement, à l’intention du ministre Bâ Ousmane, puisqu’elle reste, curieusement, d’actualité. Comme quoi, les hommes partent. Les problèmes restent.

‘’Il y a dix ans, le regretté Habib Ould Mahfoud écrivait une lettre à Sidi El Moktar Ould Nagi, alors parachuté du ministère du Plan à celui de l’Education nationale. Dans cette correspondance, l’éminent professeur Habib prodiguait, à Ould Nagi, des conseils susceptibles de l’aider à diriger un des plus complexes départements de toute la République. M’inspirant de cela et toutes proportions gardées, je voudrais, à mon tour, adresser une missive au brillant expert en droit des affaires à qui le HCE vient de confier la difficile et lourde mission de nettoyer ces écuries d’Augias.

Monsieur le ministre, le département qui vient de vous échoir emploie plus de 40 % du personnel de la fonction publique, dont la quasi-totalité regrette d’avoir choisi de devenir instituteur ou professeur.  C’est pour cette raison que les plus forts taux d’abandon, de démission et d’absentéisme sont enregistrés dans ce département. Une pléthore de ses cadres a réussi à se caser, grâce à des complicités internes, au sein des tentaculaires directions, services et divisions du gigantesque mammouth. Ainsi, chaque bureau abrite une jemaa (groupe de personnes) qui s’identifie selon des considérations tout à fait subjectives…

Des personnalités chevronnées vous ont précédé au poste. Leur rigueur et leurs aptitudes ont buté sur la détermination de ces groupuscules à maintenir tous les locataires de ce ministère sous leur poigne. L’astuce de ces fins courtisans consiste à séduire par l’hypocrisie et les faux semblants. Certains d’entre eux sont au ministère depuis sa fondation. Ils ont vu défiler et disparaître, par dizaines, des ministres comme vous. Ils sont, soyez-en persuadé, au centre de toutes les malversations qui se déroulent dans l’enceinte de votre département. Les affectations, promotions et autres concours professionnels sont, pour eux, autant d’occasions de choix pour entreprendre leurs louches affaires. A y regarder de près, vous remarquerez, monsieur le ministre, que ces collaborateurs sont, pour la plupart, des instituteurs et des professeurs qui ont laissé de mauvais souvenirs dans les établissements où ils ont se(r)vi. Beaucoup d’entre eux préfèrent l’anarchie à l’ordre.

Monsieur le ministre, de puissants lobbys gangrènent votre département. Votre succès dépend de votre capacité à « bien » les gérer, à défaut de les démanteler. Rompus aux manœuvres de séduction, leurs « gourous » n’épargneront aucun moyen pour vous phagocyter. Aussi essayez-donc, dès le départ, comme l’ont fait certains de vos prédécesseurs, de donner le ton. Prenez les choses en main. Evitez leur sourire. Ils sont trompeurs. Ne les regardez pas les yeux dans les yeux car, selon Habib, les trous noirs de leurs mirettes engloutissent toute intelligence. Monsieur le ministre, vous n’êtes pas sans savoir que, depuis trente ans, le système éducatif mauritanien sombre dans la plus totale léthargie. Toutes les stratégies, toutes les réformes, tous les plans nationaux, pour lesquels des sommes mirifiques ont été mobilisées, n’ont pas réussi à le relancer. La dégradation, accélérée, des niveaux, assortie d’une dévalorisation, continue, de la fonction enseignante, caractérise, depuis trois décennies, notre système éducatif. Dernièrement, une femme, animée d’une grande volonté, a courageusement secoué le mammouth. En un temps record et malgré quelques erreurs, elle a réussi à remettre le train sur les rails. Son astuce fut d’impliquer tous les partenaires de l’opération pédagogique : le ministère, les associations des parents d’élèves et les syndicats opérationnels et crédibles des enseignants de tous les ordres. Elle a eu l’audace et la fermeté de résister à toutes les pressions et « l’insolence » de braver les affres et les incommodités d’une administration laxiste. Monsieur le ministre, trois raisons, au moins, permettent d’espérer que vous soyez capable de relever le gros défi de l’émergence d’un secteur éducatif assaini. D’abord, parce que vous êtes réputé cadre sérieux, sans antécédent négatif dans la gestion publique. Ensuite, parce que vous êtes du sérail, pour avoir enseigné, plusieurs années durant, à l’université de Nouakchott. Enfin, parce que vous êtes doté de capacités intellectuelles qui devraient, objectivement, vous aider à vous acquitter, convenablement, de la mission dont on vous a investi.

Monsieur le ministre, l’avenir du pays dépend de vous. Car l’éducation est la pierre angulaire de toute la Nation. A ce titre, votre responsabilité s’alourdit singulièrement et vous n’avez, pour reprendre un adage populaire de chez nous, que l’alternative de « nager » ou de vous « noyer ». Monsieur le ministre, soit vous déployez toutes vos potentialités : compétence, personnalité, rigueur, courage, fermeté, audace, pour conduire l’assainissement d’un secteur, hier encore, en délabrement avancé ; soit vous vous laissez dominer par une bande de truands et de bandits de grand chemin, malhonnêtes et pervertis et vous serez seul responsable, devant l’Histoire, de votre prestation, au cas où celle-ci ne serait pas honorable… Qu’à Allah ne plaise !’’

Sneiba