Beaucoup se sont étonnés du verdict rendu à l’issue du « Procès de la Décennie ». Il faut cependant entendre le caractère très relatif de cette « issue ». Le processus judiciaire peut en effet comporter deux autres étapes – l’appel et la cassation – susceptibles de modifier sensiblement le jugement prononcé en première instance. Il faut donc lire entre les lignes des réactions, notamment celles des avocats de l’accusation et de la défense dont nous avons publié la semaine dernière les interviews.
Dans le sien, maître Lo Gourmo Abdoul insistait, sans présumer des suites à donner en appel aux autres fautes imputables aux divers accusés, sur le caractère « absolument incontestable » des deux seuls chefs d'accusation –l’enrichissement illicite et le blanchiment d’argent – retenus par le juge à l’encontre de Mohamed ould Abdel Aziz. Pour la défense de celui-ci, maître Taleb Khyar s’est attaché quant à lui à les contester, en invoquant des « charges fondées sur la seule rumeur » et « des témoignages émanant de personnes incultes en matière financière »…
La balance – celle de la justice jugeant objectivement de faits – semble bel et bien pencher du côté de l’accusation et, à moins d’apporter des preuves irréfutables concernant l’origine de la fortune amassée par son client durant sa décennie de pouvoir, la défense risque fort n’avoir qu’à batailler pour ne pas voir la Cour d’appel élargir l’éventail des charges et des accusés finalement condamnés… avant de se rabattre, au dernier round, sur une hypothétique exhumation de vices de procédure pour faire relaxer son ou ses client(s). Une échappatoire qui porterait cependant un coup fatal à la crédibilité de notre justice aux yeux du peuple mauritanien aujourd’hui assez calme devant le verdict de la première instance…
L’autre dimension de l’aboutissement de ce procès inédit concerne la jurisprudence. Sera-t-elle de nature à dissuader vraiment d’autres chefs d’État, notamment en Afrique, à se détourner d’écarts analogues à ceux retenus à l’encontre de MOAA ; ou, tout au contraire, à accentuer leur mainmise sur le pouvoir judiciaire et à s’appesantir sur le leur, en multipliant leur mandat jusqu’à plus soif ? Dans un contexte ouest-africain où la démocratie subit, régulièrement ces dernières années, les chocs d’interventions militaires, la question n’est pas anodine. La justice mauritanienne a jugé de certains faits mais il lui reste encore à faire…
Ahmed ould Cheikh