Le tribunal de la corruption dans le dossier de la « décennie » a rendu son verdict le 4 Décembre 2023. Il condamne l’ex-président Mohamed ould Abdel Aziz, principal accusé, à cinq ans de prison ; ordonne la confiscation de ses biens illicitement acquis et le déchoit de ses droits civils. Il doit en outre payer à l’État une amende de 50 millions MRU. Cinq co-accusés dont deux ex-Premiers ministres ont été acquittés. Le moins qu’on puisse dire, c’est que ce verdict a surpris plus d’un. Les charges portées contre Ould Abdel Aziz, ses proches et collaborateurs étaient très lourdes : obtention d’avantages injustifiés dans les marchés publics, détournements, soustractions ou dissipations de biens par un agent public, trafic d’influence, abus de fonction et entraves au fonctionnement de la justice… Sur une vingtaine de charges, le juge n’en a retenu que deux : enrichissement illicite et blanchiment d’argent.
Les Mauritaniens s’attendaient à de lourdes peines contre l’ex-Président qui n’avait cessé, durant plus d’une année, de défier quiconque de prouver sa culpabilité. L’homme a nargué les magistrats et l’État lui-même. Il a tenu en haleine toute la République et la Communauté internationale. Mais à l’arrivée, il n’a écopé que de cinq ans dont une partie est déjà purgée. C’est un verdict que d’aucuns n’hésitent plus à qualifier de « mascarade », « farce » et autre « pantalonnade ». Les proches de l’ex-Président parlent évidemment de « règlement de comptes », tandis que beaucoup de mauritaniens s’exclament : « Tout ce bruit pour en arriver là ! ». Des interjections au demeurant fort légitimes, tant le dossier se sera enlisé dans les procédures, les avocats de l’ancien président cherchant à retarder la sentence qu’ils redoutaient, portant le dossier beaucoup plus sur le champ politique et médiatique que sur celui des faits. Pour le collectif de défense d’Ould Abdel Aziz, leur client est victime d’une cabale dont l’objectif est de l’écarter du champ politique. Pour étayer leurs accusations, les conseils de l’ex-Président expliquent que, sur les plus de trois cents personnes épinglées par le rapport de la Commission d’Enquête Parlementaire (CEP) en 2020, seules treize furent déférées devant le Parquet avant d’être comme blanchies. Les autres furent non seulement soustraites du dossier mais surtout recyclées par le pouvoir de son successeur. Celui-ci qui connaît très bien son « ami de quarante ans » redoutait-il ses capacités de nuisance, à commencer par une candidature à la présidentielle de 2024 ?
Quelques enseignements
Depuis quatre ans, le dossier dit de la décennie aura en tout cas tenu en haleine toute la République, polluant le premier quinquennat du président Ghazwani, successeur d’Ould Abdel Aziz devenu son ex-alterego depuis la « bataille de référence de l’UPR » en Décembre 2019. Une Première en Mauritanie. Un ancien président de la République est traîné devant la justice pour fait de corruption, ce que le tribunal a accrédité en retenant l’enrichissement illicite et le blanchiment d’argent. La lutte contre la corruption est depuis considérée comme un axe politique prioritaire du nouveau Raïs… même si les fleurs n’ont pas encore porté de fruits. Ould Abdel Aziz est donc tombé sous le coup de la loi après s’être estimé à l’abri de toutes poursuites en remettant le pouvoir à son successeur choisi voire imposé, et avoir cru parvenir ainsi à tirer les ficelles du pouvoir. C’était, semble-t-il,(sans ?) compter sur le marabout-président. Même s’il est considéré par certains comme « clément », le verdict du tribunal est venu conforter les avocats de MOAA dans leur position :il était le seul visé et le voici, à l’arrivée, le seul condamné qui reste en prison. Pour ne plus troubler le sommeil des dirigeants actuels.
Le verdict tombé lundi dernier n’aura cependant pas surpris ceux des mauritaniens qui doutaient de la sincérité du pouvoir et de la justice. Celle-ci sera-t-elle dite ? Ira-ton jusqu’au bout ? Ghazwani prendrait-il le risque d’assister à une condamnation ferme de son désormais ex-ami ? Telles étaient les questions que beaucoup se posaient au sortir du rapport de la CEP. Ils peuvent aujourd’hui trouver le verdict « relativement clément » et ne manqueront pas de dire que « la volonté dénoncée par les avocats et proches de l’ex-Président d’écarter un adversaire de l’arène politique est plus que manifeste ».
On aura pourtant remarqué, tout au long de ce procès, que l’Exécutif s’est ingénié à prouver que la justice est indépendante et qu’il ne s’y était pas immiscé. Interrogés par la presse nationale et internationale, le président de la République et ses ministres ont battu en brèche les réfutations des accusés dont le principal qui n’a pas su, après avoir tenté à la dernière minute de mouiller son successeur, justifier la provenance de ses biens. Les audiences ont surtout démontré, hélas, comment les responsables mauritaniens, à tous les niveaux se comportent avec les deniers publics dont la gestion leur est confiée. Ils mènent une compétition, une course à l’enrichissement. Et le procès censé les en dissuader est loin d’y avoir réussi, comme en témoignent les différents rapports de la Cour des comptes. La corruption et le détournement de deniers publics gangrènent toute l’administration et ce ne sont pas de belles incantations politiques qui peuvent les contraindre à s’abstenir de piller les ressources du pays. Volez, volez, il en restera toujours ! Le mécanisme est bien rodé. Le procès de la décennie aura tout de même été important, ne serait-ce qu’à servir d’exemple. Nous avons besoin de mesures fortes. Mais si tous les supposés complices actifs ou passifs avaient vu tous leurs biens saisis et étaient au moins passés par la case-prison, s’ils avaient passé quelques petites années dans les bagnes de Oualata, Aleg, Tichit, Bir Moghreïn et N’Beïka, dans une moindre mesure, cela suffirait peut-être à réfréner les appétits voraces des nombreuses brebis galeuses de cette République. Et il reste encore, au terme de cette longue – et première ? – étape judiciaire, au moins deux questions pendantes : de quoi vont accoucher les appels interjetés par la défense et le Parquet ? Que deviendront les biens recouvrés ?
Dalay Lam