Ainsi que nous le relations dans notre précédente livraison, nous avons reçu un texte d’une dizaine de pages, signé du bureau politique de Tawassoul. Daté du 17 Décembre 2014, il tranche, singulièrement, par sa longueur et la mesure de ses propos, avec le commentaire aussi bref que tranchant de son président Jamil ould Mansour, à l’annonce, une semaine plus tard, du verdict de la cour de Nouadhibou, dans l’affaire M’kheïtir. Double langage ? Laissant à chacun le soin de se faire sa propre opinion, nous avons choisi de publier intégralement, en deux parties, le texte de Tawassoul. Après la parution la semaine dernière, de la première, en voici la seconde.
« Tenant compte de l’évolution historique de la question de l’unité nationale, considérant sa complexité et, partant, de la vision intellectuelle adoptée lors du Congrès général du parti, nous, Rassemblement National pour la Réforme et le Développement (Tawassoul), proposons une vision basée sur les points suivants :
Le premier relève du regard que l’islam porte sur les groupes humains, qui se résume dans divers versets du Saint Coran, à l’instar du verset 13 de la sourate 49, « Al-hujurat » (les appartements), révélé à l’époque où le communautarisme et le racisme dictaient les comportements : « Ô hommes ! Nous vous avons créés d'un mâle et d'une femelle, et Nous avons fait de vous des nations et des tribus, pour que vous vous entre-connaissiez. Le plus noble d'entre vous, auprès d'Allah, est le plus pieux ». Voici ce qu’en commenta le célèbre exégète Hafedh ibn Kathir : « Tous les hommes sont au même degré de noblesse, si l’on se réfère à leur origine qui renvoie à Adam et Eve. Cependant, ils se distinguent par leur dévouement à la religion, leur obéissance à Allah et par le suivi de Son Messager, Paix et Bénédictions sur Lui (PBL) ».
Le prophète Mohamed (PBL) a dit, pour sa part : « Ô les hommes, vous provenez du même Créateur et du même père. Un Arabe ne doit pas prétendre être le plus noble, comme un homme noir ne doit pas se considérer plus noble qu’un autre rouge, si ce n’est par la foi. Le meilleur d'entre vous, auprès d'Allah, est le plus pieux ». Les nations, les ethnies, les tribus ou les peuples sont égaux, devant l’islam, en opportunités et en droits. Les hommes ne se distinguent que par leur foi et par les bonnes actions qu’ils mènent en faveur de leur peuple.
Un autre hadith rapporté du Prophète (PBL) abonde dans le même sens : «Dieu vous a épargné de l’orgueil des païens qui exaltaient la gloire des ancêtres. Désormais, vous êtes soit un musulman pieux, soit un criminel malheureux. Vous êtes tous des fils d’Adam et Adam a été créé à partir de l’argile ». Par la réprobation puis l’interdiction même à ses compagnons et, à plus forte raison, à toute autre personne, le Prophète leur avait une fois reproché, en faisant allusion au racisme : « comment osez-vous reprendre le discours des païens en ma présence ! Arrêtez, c’est un discours pourri ! », une allusion claire aux clivages ethniques.
En deux, l’islam a concrétisé toutes ces idées, en fondant une société musulmane diversifiée où les peuples ont retrouvé leur place et les plus vulnérables protection. La preuve, c’est cette fraternité entre Hamza ben Abdel Moutaleb et Zeïd ben Hareth, entre Bilal ben Rabah et Khaled ben Royeha El-Khasaami et entre Aboubaker El-Sedigh et Khaled ben Zeïd. Il s’agissait, en fait, d’une nouvelle époque qui a modifié les règles d’appartenance et de noblesse. Dans son ouvrage intitulé « Précis sur les oulémas et les savants du Hadith d’origine servile » (معرفة الموالي من الرواة والعلماء), le savant musulman Al Hafidh ibn Salah a magnifié, de façon exemplaire, l’accès des esclaves affranchis, au titre d’ouléma et de professeur de jurisprudence islamique (fiqh) dans les grandes villes. Dans un débat avec le khalife omeyyade Abdel Malick ben Marwan, le savant musulman Ez-Zouhri montra comment l’islam a hissé ces ex-esclaves au premier rang, grâce à leur savoir. « Celui qui en prend soin accède aux premiers des musulmans, celui qui le néglige est relégué aux oubliettes ». Les déviations apparues, à une certaine époque de l’islam, ainsi que le racisme, sont imputables à ce que la Umma a renoncé à beaucoup de ses principes religieux qui déterminaient le rapport entre les hommes et leur apprenaient à se débarrasser des considérations ethniques, tribales ou régionalistes.
En trois, la stratégie de Tawassoul relative à l’esclavage et à ses séquelles. Elle se réfère à l’islam qui prend en considération l’aspiration des hommes à la liberté, limite les causes de leur asservissement et encourage leur affranchissement. L’islam, qui a même recommandé l’affranchissement de l’esclave démuni et mis en place des dispositions visant à éradiquer le phénomène, appelle donc à la liberté de tous et développe des mécanismes pour y parvenir. Cette vision doit être d’autant plus encouragée que l’origine et la pratique de l’esclavage violent les normes islamiques. En effet, l’Histoire témoigne de ce que la plupart des esclaves, en Mauritanie, le sont devenus par agression ou enlèvement. L’État doit donc promouvoir une vraie citoyenneté qui garantisse, à tous les citoyens, leur place et préserve leurs droits au sein de la société. Il faudra élaborer une stratégie, claire et précise, qui mette un terme aux pratiques de l’esclavage, éradique ses séquelles et fonde une société fraternelle et égalitaire où les victimes de cette pratique pourront s’épanouir.
En quatre, la diversité ethnique, sociale et culturelle de la Mauritanie doit constituer un atout et une richesse à développer, dans un cadre islamique et national. Comme stipulé dans la Constitution, les langues nationales sont le Hassaniya, le Pulaar, le Soninké et le Wolof. L’Arabe est la langue officielle du pays, parce qu’il est la langue du Coran qui fédère toutes les composantes ethniques de la Mauritanie. Cela dit, le discours racial et l’institutionnalisation de la domination des uns sur les autres constituent le plus grand risque, chez les sociétés caractérisées par une diversité ethnico-linguistique. Si nous revenons à l’Histoire et observons le monde autour de nous, nous verrons comment les discours racistes et les conflits inter-ethniques, motivés par la volonté des uns à dominer les autres, ont anéantis tant de sociétés et de pays. Reconnaître notre diversité c’est être juste ; la nier aura des conséquences néfastes. Il est donc nécessaire d’institutionnaliser cette diversité, dans une unité nationale basée sur la justice et sur l’égalité qui profitera à la réconciliation nationale.
Contours de la vision
Pour ne pas rester dans des généralités, Tawassoul a décidé de mettre en exergue tous les éléments indispensables à la résolution de la problématique de l’unité nationale et sauvegarder l’avenir du pays et le destin du peuple. Le parti veut être explicite sur cette question dont dépend l’avenir du pays et le destin du peuple. Il est alors nécessaire d’admettre, avant tout, que certaines communautés du pays, notamment les victimes de l’esclavage et les Harratines, ont subi injustices et marginalisation. Des groupes, au sein des différentes communautés, comme les « Forgerons » ou autres, ont aussi souffert de cette marginalisation et de ce mépris. L’injustice a également frappé la communauté négro-mauritanienne, surtout au cours des années 1989, 90 et 91. Pour réparer ces torts, il faut commencer par admettre les erreurs et demander pardon : c’est l’étape morale nécessaire, avant d’aborder les autres formes de réparation de toutes ces injustices.
Mais admettre la réalité des injustices commises et demander pardon ne veut pas dire stigmatiser une communauté ou un groupe donné. Les erreurs incombent à ceux qui en sont responsables, individus ou représentants d’un régime. En revanche, le pardon doit être l’affaire de tous. Disons,-pour être honnête, que tous ont appelé à la liberté et à l’égalité. Disons aussi qu’on ne peut pas combattre l’injustice en en commettant une autre. Soyons donc animés par l’esprit de justice et non par le désir de vengeance.
La solution au problème de l’unité nationale ne pourra être seulement sociale, culturelle, politique ou sur le seul plan des droits. Il doit s’agir aussi d’une approche globale qui prenne en considération tous les paramètres en jeu. La démocratie est une solution aux problèmes politiques et le fondement de l’État à partir de la volonté du peuple est la première étape vers un État de droit. Donnons raison à ceux qui disent que la démocratie est l’interprétation politique des rapports de force. Elle peut engendrer, du coup, des déséquilibres sociaux, économiques et culturels, entretenant une dictature qui ne garantit pas l’égalité des chances. C’est donc à partir d’une action nationale, inclusive et équilibrée que nous pourrons garantir la démocratie en politique, promouvoir les couches sociales défavorisées, instaurer la discrimination positive, en faveur des groupes et des zones marginalisés et préserver les droits culturels des uns des autres, dans un environnement d’unité et de cohésion sociale.
Le problème de partage du pouvoir et des richesses est ainsi posé. Certains veulent que ce partage soit équitable, voire institutionnalisé, pendant que d’autres mettent en garde contre tout accaparement du pouvoir et des richesses, car cela continuera à semer la division, à pérenniser le racisme et à tuer les compétences. Nous, Tawassoul, appelons à une représentation équitable de toutes les composantes nationales sur tous les plans. Dans une société comme la nôtre – l’histoire en témoigne – le risque est grand quand le partage du pouvoir et des richesses se fait sur la base ethnique, de la couleur de la peau ou autre considération communautariste. Cela ne fait qu’élargir le fossé entre les communautés, renforcer la domination raciale et mettre les compétences en péril.
Dans une société comme la nôtre, qui a souffert de l’injustice, de la marginalisation, de la domination des uns sur les autres et de la démission de l’État, dans son rôle d’instaurer la justice et de garantir la stabilité, il est impératif de mener une politique visant à permettre à toutes les communautés de se sentir êtres chez elles et d’occuper la place qu’elles méritent. Cela passera par le respect de la diversité culturelle, la préservation des droits, l’instauration de la justice, une garantie d’égalité et, parfois même, l’application d’une discrimination positive. Il ne faut cependant pas que ce dernier point soit l’objet de disposition de loi qui pourrait déboucher sur d’autres formes de ségrégation.
La question culturelle et la problématique de l’enseignement et de l’Administration doivent être bien traitées. Il n’est pas concevable qu’une nation ne fonde pas son enseignement sur sa religion, ses références et ses langues officielle et nationales. Aucun peuple ne peut prétendre à un avenir radieux, si son enseignement ne répond pas aux exigences de la modernité, du progrès et du développement.
Pour ce qui est de l’Administration, nous proposons une solution consensuelle, au problème de la langue à utiliser, une solution autour de la langue officielle et des langues nationales. Nous proposons aussi une représentativité de toutes les sensibilités nationales, tout en prenant compte des deux composantes, arabophone et francophone, afin de permettre, aux uns et aux autres, d’évoluer et d’occuper des fonctions dans leur langue de formation. S’agissant du problème des autres langues nationales : le Pulaar, le Soninké et le Wolof ; nous ne devons pas nous attarder dans les généralités. Il faut mener une nouvelle politique de leur revalorisation, en y mettant les moyens nécessaires et en leur accordant leur place dans l’enseignement.
Axes prioritaires de la vision
Il est nécessaire de traduire, en pratique, toutes les théories ci-dessus développées, suivant des axes prioritaires qui se résument comme suit :
1- retour aux valeurs islamiques basées sur la foi et sur l’égalité entre les hommes et rependre le vrai message de l’islam qui concrétise ce sens ;
2- revenir aux enseignements de l’islam basés sur la fraternité, la solidarité, la bienfaisance, le pardon, le soutien aux nécessiteux et le principe de la salutation et de la réconciliation entre les gens ;
3- lancer un projet de réconciliation nationale qui prévoit un dialogue inclusif et objectif pour corriger les injustices du passé et ouvrir de nouvelles perspectives vers la reconstruction du pays et un nouveau contrat national ;
4- apporter une solution définitive au problème du Passif humanitaire, basée sur les devoirs de vérité, de mémoire et de justice, ainsi que sur le principe de la réconciliation et du pardon ;
5- réhabiliter les déportés dans leurs droits foncier et civique et leur accorder une juste indemnisation ;
6- instaurer une loi qui incrimine le racisme et sanctionne ses auteurs comme celle qui incrimine les pratiques de l’esclavage ;
7- faire une conception générale d’une réforme éducative basée sur la culture islamique qui fédère les Mauritaniens, basée sur la langue officielle et sur les différentes langues nationales, tout en s’ouvrant aux autres langues internationales, en pleine conscience des exigences du progrès et du développement.
8- proposer l’élargissement de la décentralisation et accorder plus de prérogatives aux conseils communaux pour qu’ils servent davantage les zones, suivant les particularités sociales et les exigences du développement ; réviser aussi le découpage administratif sur de nouvelles bases justes et équilibrées ;
9- promouvoir un équilibre entre les différentes parties du territoire, afin que chacune puisse bénéficier des ressources du pays ; prendre également en compte les particularités économiques de chaque wilaya, dans une stratégie nationale globale ;
10- procéder au règlement juste et équitable du problème foncier ;
11- réformer le système judiciaire, de sorte que toutes les composantes sociales y soient intégrées, pour instaurer la justice et garantir son indépendance ;
12- faire face, par des mesures concrètes, à toutes les formes d’injustice sociale, qu’elles soient des pratiques sectaires ou esclavagistes ;
13- amener les oulémas, les imams et autres religieux à jouer leur rôle, pour empêcher de prendre l’islam comme prétexte pour couvrir les pratiques esclavagistes ;
14- renforcer l’esprit de citoyenneté et l’inclure dans les programmes scolaires ;
15- proposer des modèles d’intégration sociale, de solidarité économique et renforcer les liens sociaux, à travers le rapprochement des groupes par des mariages intercommunautaires ;
16- adopter une politique de discrimination positive en faveur des groupes vulnérables, notamment dans l’octroi de financements, les projets de développement et l’enseignement ;
17- adopter une stratégie équilibrée qui prenne en charge tous les problèmes d’injustice et de marginalisations dont les composantes et les groupes qui appellent au respect de leurs droits ont été victimes, tout en s’éloignant des discours qui appellent à la séparation et à la discorde ;
18- faire de sorte que les media reflètent la diversité socioculturelle et permettre, à toutes les communautés, d’y accéder de manière équitable ;
19- réformer et élargir l’enseignement originel à toutes les communautés et diffuser le message de l’islam qui garantit l’unité nationale ;
20- libérer notre héritage populaire de son côté négatif qui appelle au racisme, à la haine ou à l’esclavage ;
21- faire renaître l’héritage socioculturel de toutes les composantes nationales et reconnaître les symboles et l’histoire de tous sur la scène nationale.
Le bureau Politique, le 17 Décembre 2014/25 Safar 1436