Le 15 novembre 2023, les forces armées maliennes ont repris la grande ville du nord Kidal, après une longue décennie de retrait due à la déroute spectaculaire face aux mouvements rebelles d'Azawad.
Le président de la transition Assimi Goita, a mis un point d'honneur à reprendre la ville de haute valeur symbolique, après le désengagement des forces françaises et de la mission des Nations Unies (Minusma).
Mission accomplie, mais les enjeux politiques et sécuritaires complexes relatifs au problème du nord du Mali restent entiers. En plus de la présence active des mouvements armés dans la plus grande superficie de la région de Kidal, le province de Menaka, reste totalement hors de la souveraineté de l'État malien, et devient même le sanctuaire des groupes radicaux armés.
Les forces maliennes, soutenues par la société armée russe « Wagner » ont certes marqué une avancée remarquable dans les zones qui étaient en dehors de leur contrôle depuis le séisme de 2013, mais leur victoire reste fragile et précaire.
Deux grandes problématiques planent fort sur l'échiquier politique malien, l'une a trait à la question récurrente d'Azawad qui remonte à l'émergence de l'État indépendant, l'autre est relative aux velléités et ambitions de la junte au pouvoir qui a décidé d'ajourner le processus de retour à la légalité constitutionnelle qui devait être entamé par des élections législatives et présidentielles prévues pour le mois de février prochain.
Troisième soulèvement
Concernant la première question, il y a lieu de rappeler que la rébellion de 2013, qui a eu pour conséquence ultime la déclaration controversée de la région d'Azawad (dans un contexte d'intrusion des mouvements radicaux et violents et par la suite de l'intervention de l'armée française) était le troisième soulèvement sanglant des activistes touaregs et arabes du nord regroupés actuellement dans une large coordination appelée « le cadre stratégique permanent ».
La première insurrection, qui remonte à 1963, était une occasion ratée d’arriver à un compromis institutionnel avec les autorités de Bamako qui ont durement réprimé le mouvement rebelle. La deuxième qui a été concomitante à la révolte réussie contre l'ancien président autoritaire Moussa Traoré, a été guidée par le « Mouvement de libération d'Azawad ». Elle a duré six ans malgré les accords de Tamanrasset signés en janvier 1991, et le pacte national signé à Bamako en avril 1992 et la hache de la guerre ne fut enterrée qu'en mars 1996. Les accords de paix prévoyaient des dispositions de gouvernance civile et militaire qui n'ont jamais été appliquées.
Le conflit de 2012 s'est déroulé dans un contexte local et régional explosif, marqué notamment par la chute du régime de Kadhafi qui a eu pour conséquence directe l'embrasement général de la bande du Sahel et l'intrusion en son sein des groupes radicaux et indépendantistes ainsi que l'effondrement de la « démocratie » malienne sous le joug des militaires putschistes.
Conflit prévisible
La débâcle de l'armée malienne en 2013, contrainte de se retirer du nord qui représente les deux tiers du territoire national, a sonné le glas du modèle d'État national malien centralisé façonné par les autorités coloniales françaises en 1960.
La déclaration d'indépendance d'Azawad le 6 avril 2012 n'a eu aucun effet réel et la communauté internationale l'a sciemment rejetée. Les accords d'Alger de 2015 devaient par la suite consacrer l'entente cordiale entre le gouvernement malien et les mouvements armés, face au danger terroriste ambiant. Force est de constater que les accords d'Alger instituant un système de décentralisation avancée dans les provinces du nord n'ont été jamais appliqués. L'actuel conflit armé était donc prévisible et même inévitable.
Pour le gouvernement militaire transitoire la récupération du nord des mains des rebelles est source de légitimité et d'honneur, et une étape cruciale dans le processus de refondation de l'Etat malien après une décennie jugée chaotique et dramatique.
Les putschistes au pouvoir ne cachent point leur velléité de conserver la tutelle sur le champ politique, en fustigeant la « démocratie civile molle et corrompue ». Perpétuer les avantages militaires tout en remodelant la dynamique de transition démocratique sont les deux défis principaux qu'affronte aujourd'hui la junte militaire malienne.
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Seyid ould Bah est professeur de philosophie et sciences sociales à l'université de Nouakchott, Mauritanie et chroniqueur dans plusieurs médias. Il est l'auteur de plusieurs livres en philosophie et pensée politique et stratégique.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.