Nous n'avons jamais été aussi loin dans la déconstruction de nous mêmes. Comme si, petit à petit, nonobstant tous les beaux discours officiels, l'idée même d'Etat-Nation n'avait été qu'un vœu pieux, une sorte de fantôme politique.
Nous sommes nés unis, bon gré mal gré, citoyens d'une république sortie de nulle part qui secouait la tutelle idéologique du voisin du Nord, le Maroc, et qui coupait le cordon avec le voisin du Sud, le Sénégal. En 1960, nous fêtions la naissance du citoyen mauritanien, concept nouveau, étrange parfois, mal compris souvent. Mais, au moins, nous nous sentions partie intégrante d'une nouvelle appartenance, d'une nouvelle identité qui se superposait à l'identité traditionnelle.
Depuis, il y a eu la fracture sanglante des années 90. puis s'en sont venus les temps de la « communautarisation ».
Et chacun d'y aller de son couplet, à coup de manifestes vindicatifs... Le dernier en date est le Manifeste des Soninkés et la création du CSRM.
Quand le communautarisme phagocyte le débat politique, c'est que plus rien ne va.
Tout le monde vit mal sa citoyenneté, sa place au sein d'une République qui n'a jamais aussi peu réuni autour d'elle une seule et vaste communauté.
Quand un pays fait d'ethnies cohabitant les unes à côté des autres, qui ne se mélangent pas, qui se regardent en chiens de faïence, qui se méfient les unes des autres, prêtant à l'autre des pensées peu avouables, quand ce pays là ne communie bien que dans les grands messes footballistiques quand nos Mourabitounes se qualifient pour quelque chose, c'est bien qu'il y a péril en la demeure.
Le foot seul vecteur de citoyenneté ? Ce serait dramatique.....
Dans chaque communauté, aujourd'hui, des hommes décident, sans que l'on sache très bien sur quelle base ils sont auto-proclamés « leaders », qu'ils sont les représentants de leur communauté.
Nous sommes loin, très loin, d'un nécessaire débat national sur la citoyenneté. Tellement loin que l'on peut penser que les buts premiers de ces communautarismes ne sont ni pieux ni innocents.
La communautarisation comme tremplin politique ? Des questions existentielles telles « quelle est la place de tel ou tel groupe , quel rôle jouer, quelle participation à la Nation ? » sont effacées au profit du seul groupe comme enjeu dernier...
Sommes-nous donc condamnés à n'être que « groupes » ? Le repli identitaire n'est-il que la seule voie de survie et de réponses à des questions vitales pour l'avenir de notre pays ?
L'ethnie se doit-elle d'être, de n'être qu'un tout qui serait homogène, qui créerait son quotidien et son futur ?
Hors de la communauté point de salut ?
Quand l'ethnie devient une arme de combat politique, je repense au Rwanda qui est l'exemple même de l'orgueil ethniciste / politique poussé à l'extrême : 1 million de morts, ethnies contre ethnies, racismes contre racismes, épurations contre épurations... Le Rwanda qui n'en finit pas de déterrer ses charniers et de nettoyer sa mémoire....
Autant je reconnais le devoir de se battre pour que sa culture perdure, autant je ne me reconnais pas dans le repli identitaire devenu enjeu politique....Je ne comprends pas l'entrée de l'ethnie dans l'espace du débat politique... Et, non seulement je ne la comprends pas, mais je la trouve abominable. Abominable, réductrice et porteuse de dangers et de violences...
Les différents pouvoirs ont joué là dessus, ethnicisant le champs politique, faisant de certains groupes, au fil des années, les noyaux politiques dirigeant notre pays. Sous tel ou tel président, ce furent telle ou telle tribu qui « régnait », perpétuant ainsi, de façon hypocrite, le système de gouvernance « traditionnel », chacun y trouvant son compte...
Le politique y a rajouté la question des langues pour pouvoir encore plus cloisonner nos sociétés, créant des blocs distincts partagés entre les « bons » citoyens, les arabisants et les partisans d'une arabité féroce, et les « mauvais », ceux qui ne se reconnaissent pas dans cette politique qui lamine nos différences.
Et, pourtant, les vraies questions existent, occultées par ces différents manifestes politiques communautaires.
La question raciale et linguistique n'est pas une question de communautés chez nous.
Une fois que l'on a chanté sur tous les tons « Je suis un Soninké en colère, je suis un Wolof en colère », qu'avons nous dit ?
Rien. Rien du tout, hormis que nous n'avons fait qu'inscrire dans le champ politique son ethnie comme entité politique, nonobstant toutes les différences de perception qui existent au sein de cette même ethnie....
De là à ce qu'apparaissent bientôt des partis communautaires, il n'y a qu'un pas.... Et de ce pas là à un autre pas, la violence....
Non, l'ethnie ne doit pas être utilisée dans le champ politique. L'ethnie n'est que sentiment d'appartenance presque sclérosé, porteur d'un credo qui construit une image centrale de qui on est. Derrière chaque communautarisation se cache un sentiment de supériorité, chaque ethnie étant persuadée qu'elle est le tout, la perfection intrinsèque, l'aboutissement de ce qui serait parfait.
Alors qu'elle n'est que barrières, étroitesses intellectuelles...
Etre fier de ce que nous sommes, et d'où nous venons ne donne pas le droit à l'espace politique en tant que tel.
Les vraies questions ne sont pas celles posées dans ces Manifestes. Les vraies questions doivent être plus larges, dépasser la communauté ou l'ethnie. Elles doivent dépasser l'appartenance ethnique pour englober les tares de nos sociétés : le racisme, le rejet d'une partie de nos concitoyens, ceux que l'on appelle les négro-Mauritaniens, l'ostracisme, l'arabisation à outrance et idéologique....
En Mauritanie, on ne souffre pas parce que l'on est Wolof. On ne souffre pas parce que l'on est Soninké. On ne souffre pas parce que l'on est Halpulaar. On souffre parce que l'on appartient à la communauté négro-mauritanienne, mise à l'écart des rouages du pouvoir, cantonnée dans des fantasmes....
C'est faire le jeu de tous les pouvoirs que d'éparpiller les problèmes.
Et c'est dangereux et contre-productif de demander des solutions spécifiques à telle ou telle communauté...
C'est bien dans un espace plus large que doivent se faire les débats, loin des ethnies. Celles ci, dans leurs perceptions, ne proposent qu'espaces étroits....L'ethnie « politique » n'est pas un Etat. Elle est juste un état dans l'Etat. Elle ne propose pas d'Etat. Elle propose une vision archaïque du monde et du vivre ensemble.
Mais c'est la mode aujourd'hui que cette communautarisation des esprits, communautarisation encouragée par le pouvoir central ( diviser pour mieux régner).
Alors à quand le Manifeste des Griots ? Le Manifeste des Imraguens ? Le Manifeste des Idawich ? Le Manifeste des Bambaras ? Le Manifeste des Oulad Lab ? Le Manifeste des Chiites ? Etc etc....
Je repense à une amie rwandaise, Tutsi, rencontrée à la fac et qui a disparu au Rwanda, victime du système de pensée politico-ethnique... et je me dis que nous n'avons compris aucune leçon de l'Histoire....
Salut.
Mariem mint DERWICH