Dimanche 4 Novembre 2023, me voici partant vraiment très tôt pour une mission aux confins du Hodh ech-Chargui. Vers Néma exactement, la capitale du Charg très célèbre par sa Batha, ses délicieuses galettes à base de mil et ses condiments pimentés que les allogènes ont l’impression de trouver au fond de tout ce qu’il consomme, y compris le thé. Le voyage est relativement long. Plus de mille kilomètres, mille quatre-vingt-sept très exactement. Après avoir roulé une soixantaine de kilomètres, le chauffeur fit une première remarque : « Nous n’avons été arrêtés qu’au poste 25, alors que d’habitude, on rencontrait trois chek-points ». Selon lui, l’état-major de la gendarmerie a relevé ces postes à la suite d’une altercation avec un chauffeur sur l’axe Boutilimit/Nouakchott. Nous roulions à allure moyenne bien que la route fût relativement bonne. Notre voiture dut quand même éviter quelques trous sur cette route dont« l’excellente » réhabilitation orne encore « en rouge » les lèvres des responsables du ministère de l’Équipement. Aux abords de la chaussée, les carcasses de voitures accidentées rappellent aux usagers les dangers de ce parcours. Annuellement, des centaines de personnes passent de vie à trépas dans des accidents de circulation mortels souvent causés par la dégradation par endroits du goudron et les excès de vitesse dont abusent certains chauffeurs. Il y a trois jours justement, une famille entière a été décimée après que leur voiture est entrée en pleine vitesse dans un camion en panne stationné au milieu de la chaussée. Un de ces fameux camions maliens et marocains qu’évoquent nos chauffeurs nationaux, avec des insinuations à peine voilées sur le laisser-aller et l’impunité complice des postes de contrôle de la gendarmerie, de la police et du défunt Groupement général de la sécurité routière (GGSR) qui les regardent passer et repasser, lourdement chargés de bois, produits divers et autres marchandises « mélangées ». La familiarité des contrôleurs de la route avec les chauffeurs de ces camions est suspecte.
Pain chaud au menu
Après un peu moins de deux heures de route, nous voilà à Boutilimitt où nous ne privons pas d’une trentaine de « pains du bois » encore très chauds que nous croquons avec délectation. Puis cap sur Aleg, à quelques cent quatre kilomètres de là. Jusqu’à la localité d’Ajouer, le tronçon est encore bon. Vingt kilomètres plus loin, juste après le poste de gendarmerie d’Agchorguitt, des équipes de « retapage » sont à pied d’œuvre avec des moyens visiblement rudimentaires. À ce niveau communément appelé « Roueïbinett Ould Babe », la chaussée est complètement dégradée sur plusieurs kilomètres. Un tronçon qui a fait souffrir pendant plus d’une dizaine d’années tous les chauffeurs, passagers et autres usagers privés en route vers les wilayas des deux Hodhs, du Tagant, de l’Assaba, du Gorgol et du Guidimakha. Il y a plus de trois ans, un Premier ministre supervisa à Aleg le lancement des travaux de sa réhabilitation… qui attendirent….. trois ans pour démarrer et mal finir avant de commencer quelques mois plus tard à se dégrader, alors qu’une route construite selon les normes a virtuellement une durée de vie d’au moins dix à quinze ans, avant qu’on y entreprenne un quelconque travail de réfection. Mais la connaissance des sociétés adjudicataires de ces gros marchés « à complaisance » suffirait à faire comprendre l’impunité dont elles jouissent au ministère de tutelle (l’Équipement) et les complicités sur lesquelles elles peuvent compter pour participer sans gêne ni crainte aux grandes opérations de gabegie à ciel ouvert qui leur permettent de gagner indument des milliards d’ouguiyas. Vers 13 h, nous traversâmes Aleg sans que les senteurs de son célèbre méchoui ne nous persuadent d’en manger quelques quartiers. Mais, tout de même et au prix d’une petite altercation avec un agent du GGSR pour qui notre arrêt devant l’étal d’un boucher constituait une infraction, nous achetâmes deux kilogrammes de viande et continuâmes notre chemin. Encore cent quatre kilomètres avant d’arriver à MagtaLahjar… Un véritable supplice qui dura plus de deux heures avec un bilan catastrophique : côtes martyrisées, somnolence de tout l’équipage, y compris le chauffeur, et pneu complètement hors service, déchiqueté par un profond nid de nuit où notre voiture s’est abîmée. Après un bon riz à la viande et un thé réparateurs, préparés sous un hangar d’infortune repéré entre MagtaLahjar et Sangrava, nous revoilà cap sur Kiffa, à plus de deux cents kilomètres de là. Maintenant, la route est plutôt bonne. Les localités défilent. Les gendarmes guettent en leurs postes successifs : Sangrava, Achram, El Ghaïra, juste après avoir dépassé Siassa, Lekrey’e et autre.
Il est où le goudron ?
Au contrôle, les gendarmes et les policiers « racontent » toujours la même histoire ; mécaniquement : « papiers du véhicule ! » ou « présentez-nous vos têtes ! ». Comme nous sommes en mission, les fameux ordres justement de mission nous permettent d’éviter de passer à la trappe des lois non écrites de ces postes. Mais ce n’est tout de même qu’à 20 h passées que nous arrivons à Kiffa, la ville cosmopolite. Après quelques concertations, nous décidâmes de continuer vers Aïoun séparée de Kiffa par les trois fameux 70 : Kiffa/Fam Lekhweïratt (70 kms), Fam Lekhweïratt/Tintane (70 kms) et Tintane/Aïoun (70 Km). C’est finalement totalement exténués, au terme des deux premiers de ces soixante-dix, que nous bivouaquons au sommet d’une dune. Quelques dizaines de minutes auront suffi à la cuisson de quelques succulents spaghettis agrémentés d’un impeccable thé sans menthe, avant un profond roupillon sur le sable à la belle étoile. Jusqu’à Aïoun la pierreuse, la route était encore relativement bonne. On ne sait pour quelle raison, le poste de police de l’entrée a avancé de quelques kilomètres aux environs de la belle montagnette d’Emekreye. À 7 h du matin, nous traversâmes Aïoun sans manquer de nous approvisionner de son pain de bois vendu aux abords du goudron. Thé matinal à la sortie de la ville vers l’Est. Puis les choses recommencent à empirer avec plus de deux cents kilomètres totalement impraticables. Ce n’est plus du goudron avec des nids de poule, ce sont des nids de poule avec des traces de goudron. Et dire qu’il y a quelques années, l’actuel Premier ministre était directeur général de l’ATTM qui supervisait les travaux de réhabilitation de ces axes ! Ils continuent encore... Une histoire de cercle vicieux où le pays tourne infernalement au prix de milliers de milliards claqués sans justification. Sur la route, des engins sont cloués au sol, des traces de travaux sont visibles, des équipes s’activent. Les voitures font de gros et éprouvants détours pour remonter quelques kilomètres plus loin sur le goudron de la Mendès-Junior and Co, la société brésilienne maître d’œuvre au milieu des années 70 de la « route de l’Espoir ». Vers 10 h du matin, voilà la tumultueuse Timbedra avec son passage obligé du marché où des centaines de charretiers conduisent indolemment leurs attelages. Sur les étals des vendeurs, les marchandises narguent les passants. Légumes, poulets, ingrédients pimentés, tas d’arachides et de jujubes, mottes de pain de singe et autres en tout genre. Timbedra ressemble étrangement à Tombouctou, Kidal ou Gao. Les cent sept kilomètres qui la séparent de Néma sont un véritable parcours de combattant. Un vrai calvaire. Tout simplement un supplice, à cause d’une route cette fois définitivement dégradée. Et enfin Néma, via la très vaste et belle avenue construite au temps de l’ex-président Aziz à l’occasion de la célébration de l’Indépendance dans les capitales régionales. Une population paisible vivant loin de Nouakchott avec sa Batha, son Tegré (musique traditionnelle des EhelMbaba), son « Moun » (galette de mil), ses « Chroutt » (condiments pimentés), ses« Degnou et Senguetti » (boissons locales soporifiques), ses vieux quartiers (Ideylba, Ngadi et autres), ses nombreux anciens premiers ministres et sa mosquée ancestrale…
El Kory Sneïba