Le camp de réfugiés palestiniens de Gaza est, si l’on en juge par les comptes rendus des médias occidentaux les plus influents, en guerre contre la quatrième plus puissante armée au monde. Des porte-avions militaires occidentaux, suréquipés, à même, en théorie, de « faire tomber le ciel » sur les têtes des Gazaouis, mouillent au large de cette enclave palestinienne d’à peine 360 kilomètres carrés, une enclave connue pour détenir le triste record de la plus grande densité démographique au monde. À Gaza où un enfant peut naître, grandir, mûrir, vieillir et mourir, sans avoir eu le simple privilège de parcourir 50 kilomètres en ligne droite, en voiture ou autrement, ni de dormir suffisamment longtemps sans être réveillé, en sursaut, par une déflagration, pour le seul tort d’être palestinien, à Gaza, disais-je, l’impression d’enfermement et d’étouffement n’est jamais feinte, y compris en temps de « paix ». Depuis 1948, les rescapés des agressions successives contre le peuple palestinien, viennent, en grand nombre, s’entasser dans cette véritable prison à ciel ouvert qu’est Gaza, sans tourmenter, outre mesure, la conscience du monde « civilisé ». Les chantres occidentaux du retour à l’âge de pierre à Gaza, ou, pis encore, à “l’animalité” pour ses 2,3 millions d’habitants, veillent scrupuleusement à décourager toute initiative, humanitaire ou diplomatique, pour un semblant de dignité vitale dans l’enclave martyre. Un génocide qui ne dit pas son nom, est en cours à Gaza.
Chantage à la faim
En effet, cette petite enclave subit, aujourd’hui, seule, des bombardements ininterrompus de toutes parts, doublés d’un blocus hermétique et d’un chantage à la faim, à la soif, à la maladie ; Gaza où les victimes innocentes se comptent désormais par milliers, fait face à un gigantesque dispositif naval, aérien et terrestre, à une stricte surveillance par satellite, aux moyens de détection électroniques les plus sophistiqués au monde, bref à tout ce que l’intelligence humaine ou artificielle, a pu jusqu’ici mettre au point en matière d’armes létales ou non létales ; et, comme si cela ne suffisait pas, un pont aérien occidental, déjà fort de 45 rotations, au moins, continue à débarquer des tonnes et des tonnes d’armes et de munitions, selon un décompte officiel, largement médiatisé. La métaphore de « David contre Goliath », elle-même, prégnante dans les traditions musulmane, chrétienne et juive, n’est, ici, d’aucun secours, pour rendre compte du rapport de force, sur le papier. Il me semble, cependant, que l’alliance politico-militaire occidentale dont les leaders se bousculent, à ce moment précis, dans le vestibule d’une même partie au conflit, sans le moindre mot de compassion pour les milliers de morts et de blessés, les souffrances sociales inouïes de l’autre partie, et s’empressent, sans gêne d’aucune sorte, de mobiliser leurs arsenaux contre un camp de réfugiés, sortira, à coup sûr, moralement et politiquement défaite de ce conflit contre Gaza. En effet, « le roi est nu ! », affirme, aujourd’hui, à l’unisson, une multitude grandissante de voix occidentales, dans les colonnes des principaux journaux, sur les écrans des télévisions « main stream », sur les ondes des grandes stations de radio, sur les réseaux sociaux et surtout, dans les rues des grandes métropoles. Au-delà de l’exigence morale, ostensiblement foulée aux pieds, sur le plan officiel, les opinions publiques occidentales semblent manifester des réticences réelles à “ré-avaler les couleuvres” de la propagande guerrière, une propagande régulièrement ressassée, sans pudeur, ni imagination, à la faveur de chaque nouvelle tension armée en Palestine ou dans la sous-région. Ces opinions publiques semblent aussi saisir que la cruauté du terrorisme ne se mesure pas à l’aune de son modus operandi, mais plutôt au nombre de victimes innocentes, spécialement les enfants et les vieillards, que ce terrorisme occasionne. À titre d’exemple, 800 diplomates et employés de la Commission de l’Union européenne, ont signé une lettre ouverte, critiquant le soutien “inconditionnel” de la cheffe de cette commission à l’une des parties en conflit, lors d’un déplacement ponctuel au Proche-Orient. Cette protestation collective inédite a notamment pointé du doigt la posture des “deux poids, deux mesures”, en rappelant que lorsque la Russie avait imposé un blocus sur l’Ukraine, tout le monde, à la Commission de l’Union européenne, y avait immédiatement vu un acte de terreur, alors que le blocus sur Gaza était “complètement ignoré”.
Postures officielles biaisées
Il n’est pas exclu que, demain, des bouleversements électoraux majeurs aient lieu dans certains pays occidentaux, suite, en partie, aux postures officielles biaisées vis-à-vis de cette énième éruption de violence en Palestine. À Gaza, l’Occident, prompt à se prévaloir des valeurs “universelles” des Droits de l’homme, issues du siècle des Lumières, dans ses rapports avec l’Europe de l’Est, le Monde arabo-musulman, l’Asie, l’Afrique, aurait mieux fait de s’inspirer, un tant soit peu, d’une telle « mythologie », au Proche-Orient, pour faire avancer la cause de la paix ; cet Occident aurait dû tenir compte de sa responsabilité historique indiscutable dans les malheurs, sans répit, en Palestine, et œuvrer subséquemment à encourager son « protégé » à lâcher du lest, en vue de trouver une solution juste et équitable au martyre du peuple palestinien et à l’instabilité chronique dans une région stratégiquement vitale pour l’Europe, l’Amérique et le monde.
Dans le discours officiel occidental au sujet des événements tragiques en cours à Gaza, la victime collatérale principale semble être la “nuance” ; l’autre victime collatérale est indubitablement la démocratie, car c’est « en son nom » que l’on bombarde sans relâche le camp de réfugiés le plus densément peuplé au monde, que l’on travaille à en déporter les habitants, qu’on les prive, pour ce faire, délibérément d’eau, de nourriture et de médicaments ; sur un autre plan, qui osera, demain, prendre la défense d’une telle « démocratie », dans le monde arabe ? C’est à se demander si la nuance et la démocratie, la vraie, ne sont pas les cibles ultimes de l’équipée meurtrière autour de Gaza…
Ce camp de réfugiés éprouvé par le plus long blocus de l’Histoire moderne, a, de par le passé, survécu à des tapis de bombes ; Gaza survivra, sans aucun doute, à l’hystérique déferlement de violence en cours, car l’Histoire est catégorique à ce sujet : les bombes, seules, intelligentes ou non, ne sont jamais venues à bout d’une cause juste et populaire.