Certains membres du clan sont donc à la fois des soutiens et des opposants au Président. Les hommes d’affaires qui, du temps d’Ould Haïdalla tremblaient de peur à l’idée de ne pas tenir les engagements auxquels ils souscrivaient dans les cahiers de charges des marchés qu’on leur attribuait, reçurent de belles bouffées d’oxygène sous le régime de Maaouiya. Désormais ils pouvaient non seulement surfacturer exagérément et sans risques les fournitures et prestations de services mais, plus grave encore, faire fi des exigences des cahiers de charges, notamment dans le domaine des BTP – un gouffre financier pour le pays – où les infrastructures réalisées ne répondaient à plus aucune norme technique.
Le phénomène s’amplifia avec l’arrivée au pouvoir d’Ould Abdel Aziz qui s’adonna lui-même, par personnes, entreprises ou sociétés interposées, à de lucratives activités à caractère industriel et commercial. Dans un désordre fou et parfois à travers des agissements même contraires à la morale, des proches de ce nouveau Président ou de son entourage, convertis en hommes d’affaires ou assimilés, banquiers ou investisseurs fictifs, se ruèrent au pillage à grande échelle des moyens de l’État.
Pour sortir le pays de cette emprise immorale qu’exerçaient sur l’économie ces proches de son prédécesseur, parfois membres « vénérés » du Clan, Ould Ghazwani pensa, novice qu’il était en politique, pouvoir faire appel à la prise de conscience et à la solidarité des hommes d’affaires, des banquiers et des investisseurs nationaux. Mais, bien évidemment, ce n’était que de la poudre que ceux-ci lui jetèrent aux yeux. On le suivait partout mais surtout pour faire de la figuration dans des spectacles d’un mauvais goût croissant, sans jamais manquer de tirer profit de la moindre opportunité. On se souvient comment les plus grands et riches importateurs lâchèrent Ghazwani durant la grande épreuve du COVID-19. Tous, sans exception ; et ce ne furent que les prières de sa sainte maman qui le sauvèrent du désastre.
En Mars 2021, neuf mois après son arrivée au pouvoir, le président de la République annonça à Timbédra la mise en place d'un fonds pour la promotion du développement de l’élevage, avec un financement initial de huit milliards d'ouguiyas. Les hommes d’affaires mauritaniens qui l’accompagnaient dans sa visite applaudirent son discours et promirent d’appuyer sa décision en mobilisation leurs propres ressources. Deux ans et demi plus tard, on attend toujours l’implication effective de ces hommes d’affaires dans la concrétisation des engagements d’Ould Ghazwani à Timbédra.
En Juillet 2021, celui-ci se rendit à Rosso pour notamment donner le coup d’envoi de divers projets agricoles et la mise en place de certaines infrastructures. Quatre ministres –Abdessalam ould Mohamed Saleh (pétrole, mines et énergie), Sidina ould Sidi Mohamed ould Ahmed Ely (agriculture), Mouhamedou Ahmedou M’Heïmid (équipement et transport) et Mohamed El Hacenould Boukhreïss (hydraulique et assainissement) – avaient pris place dans son avion.
Arrivés en nombre et dans un impressionnant cortège de V8 et de véhicules haut de gamme, les hommes d’affaires, les banquiers et les investisseurs les attendaient sur place pour soutenir, clamaient-ils, le programme du chef de l’État qui voulait faire de la capitale du Trarza le centre de gravité de l’autosuffisance maraîchère. Et tous d’applaudir à nouveau le Raïs et promettre de l’épauler. Puis le Président rentra à Nouakchott avec ses ministres, les hommes d’affaires retournèrent vaquer à leurs occupations favorites : course aux marchés publics et pillage de nos maigres ressources. Depuis et encore à cette date, les vieilles mamans de nos hommes d’affaires de Rosso et du reste du Trarza achètent toujours les légumes du Sénégal ou du Maroc.
Le président de la République se rendit en Juillet 2022 à Tamchakett pour lancer la campagne agricole 2022-2023. Prenant la parole au barrage de Legrayer (localité de Guéyit Teydoum), « la question de l’autosuffisance alimentaire est désormais un choix stratégique », déclara-t-il, « c’est une nécessité permanente et vitale car elle relève d'une question de souveraineté et de sécurité ». Tous les hommes d’affaires du pays étaient à nouveau présents. Et, comme à Timbédra, comme à Rosso, ils applaudirent à tout rompre, jurant de faire de la zone le grenier de toute la Mauritanie ;avant de repartir à la suite du Président, comme à Timbédra, comme à Rosso, laissant les agriculteurs de Legrayer – de pauvres descendants d’esclaves pour la plupart – en l’espoir de les voir un jour les épauler pour développer l’agriculture irriguée et pluviale dans cette zone si riche en terres arables. Certes l’espoir fait vivre mais au regard de la présente saison agricole, les éleveurs et les agriculteurs de Tamchakett n’auront qu’à s’apprêter à acheter des céréales au Mali pour traverser la prochaine période de soudure. C’était couru d’avance : aucun des hommes d’affaires n’est revenu dans le coin pour tenir ses engagements pris devant le chef de l’État ou pour financer le moindre projet.
Et si Ghazwani donnait un coup de balai dans le Clan ?
La dernière rencontre entre le leader de l’UFD, celui du RFD et le président Ghazwani (Août 2023) fit couler beaucoup d’encre. Ce n’était certes pas la première fois que celui-ci recevait des responsables politiques. Mais c’était tout de même, pour Ould Maouloud et Ould Daddah, les deux dirigeants emblématiques de l’opposition traditionnelle, une rencontre inédite avec le Raïs pour évoquer avec lui des sujets dominants et sensibles de l’actualité politique. Rapprochement de trois camps – INSAV, UFD et RFD – dans une conjoncture tout-à-la-fois postélectorale des scrutins locaux et préélectorale de la présidentielle? Peut-être. Toujours est-il que treize mois après la visite du président à Tamchakett et onze avant l’élection présidentielle de 2024, trois partis politiques mauritanien sont signé un même document intitulé « Pacte républicain ».
Pour certains observateurs, cet accord éloigne de l’opposition radicale deux vieux leaders traditionnels politiquement en manifeste « phase terminale ». Mais je pense que les commentaires de plus en plus contradictoires à ce sujet sont peut-être allés trop loin dans l’analyse de la situation. Personnellement, je vois plutôt dans ce rapprochement tripartite en vase clos le signe de ce qu’Ould Ghazwani serait maintenant décidé à donner un coup de balai dans les « ordures » du système, recycler ce qui peut l’être et remplacer toute la « poubelle » de la gestion des affaires du pays, même par une autre qui viendrait de l’opposition, pour peu qu’elle soit simplement plus dynamique.
C’est peut-être les dessous de cartes du pacte conclu entre Ghazwani, Ould Maouloud et Ould Daddah, dont les vraies raisons restent pour le moment « secret d’État ».En tous cas, le Président et son Premier ministre, ce « bulldozer » inlassable, savent fort bien que l’actuel gouvernement mauritanien n’est tracté, malgré son effervescence, que par cinq ministres seulement :celui de la Défense (second au classement des ministres les plus performants) ; celui de l’Habitat et de l’Urbanisme (premier audit classement depuis le départ de Kane Ousmane) ; celui des Finances (troisième depuis son entrée au gouvernement) ; celui de l’Hydraulique et de l’Assainissement (qui se détache du lot par ses compétences et sa maîtrise des dossiers) ; et enfin celui de l’Énergie et des Mines, porte-parole du Gouvernement (qui joue avec intelligence un grand rôle d’équilibriste dans la gestion des crises politiques quand elles font la Une ou le tapage de la Presse).
Si Ould Ghazwani s’était retiré un moment pour passer des vacances dans son bled natal (Boumdeid), c’était peut-être aussi pour réfléchir sur l’après quatre premières années de son pouvoir. J’ai tendance à croire qu’il se soit alors et enfin rendu compte qu’il émettait, depuis le 2 Août 2019, sur une fréquence brouillée par certains membres de son clan, peut-être et pourquoi pas infiltrés par son prédécesseur cherchant à lui compliquer la tâche. En tous cas rien, absolument rien, ne peut expliquer la malhonnêteté avec laquelle certains hommes d’affaires pourtant issus du Clan et divers responsables administratifs mettent à mal l’exécution de projets importants pour lesquels les fonds ont été parfois débloqués.
Si Ould Ghazwani ne donne pas un coup de balai dans les « ordures » du système qu’il a héritées de son prédécesseur dans des conditions extrêmement difficiles, j’ai bien peur qu’à la prochaine élection présidentielle, il n’obtienne, s’il est candidat, que les voix de Hanenna ould Sidi (Défense), Sid'Ahmed ould Mohamed (Habitat), Dahould Sidi ould Amar Taleb (Affaires islamiques), Mohamed Mahmoud ould Cheikh Abdallahi ould Boya (Justice), Moctar Al Houseynou Lam (Pêche), Isselmou ould Mohamed M’Bady (Finances), qui s’ajouteront à celle de la Première Dame qui s’était battue corps et âme en Juillet 2019, pour épauler son mari à l’époque trahi par certains encore actifs au sein du Clan.
Même ajoutées à celles des éléments du Génie militaire – éléments toujours très fidèles à la politique de développement de l’actuel Président – toutes ces voix ne lui seront pas d’une grande utilité si des renforts ne lui viennent d’Ould Maouloud et Ould Daddah, deux « peshmergas politiques » qui semblent avoir, sans le dire vraiment, choisi leur camp.
Journaliste indépendant