Certains – j’en étais moi-même… – pensaient qu’à son arrivée au pouvoir, Ould Ghazwani allait donner un grand coup de balai dans la « poubelle » du régime et qu’il allait, aussitôt assis sur son fauteuil, faire appel à de nouvelles compétences pour l’épauler afin de réaliser les projets exposés dans son programme électoral. Mais il s’est abstenu de toucher aux « déchets » de l’ancien système entreposés dans le palais au fil des ans et des changements à la tête du pays. Ould Ghazwani a simplement suivi l’exemple de tant de chefs d’État à leur arrivée au pouvoir : recycler le bourbier hérité de ses prédécesseurs, Maaouiya, Ely Ould Mohamed Vall et Ould Abdel Aziz en l’occurrence. N’obéissant évidemment pas à ce que lui dictait le bon sens, il s’en est tenu aux conseils de ces« ordures » laissées par Ould Abdel Aziz dans une administration complètement délabrée dans le but probable d’induire en erreur son successeur pour lui faire prendre la direction qu’il voulait lui faire prendre.
Les mots « poubelle, déchet, ordure… » utilisés ici pour décrire la situation intérieure du Système sont évidemment péjoratifs. Il n’y a en fait ni déchets, ni bourbier, ni ordures à la présidence de la République même si les uns et les autres prolifèrent partout dans les départements ministériels. Pour que les choses soient très claires, je dois préciser qu’à la présidence de la République –centre névralgique de tout le système national – il n’y a que des mauritaniens. Certains sont de très conscients, honnêtes et moralement très intègres responsables. D’autres, le sont moins ; parfois pas du tout. C’est évident : au Palais, il n’y a généralement que des conseillers ou des chargés de missions. Chacun d’eux est choisi en fonction des nécessités pour lesquelles il a été investi de responsabilités spécifiques.
Dans certains palais présidentiels, particulièrement en Afrique, on peut trouver dans un bureau un conseiller ou chargé de mission très compétent, intègre, respectable et respecté, et, dans le bureau adjacent, un autre dont le rôle est « d’amuser la galerie », « espionner » ses amis, ou chargé de missions particulièrement « délicates », comme organiser des rencontres très « privées » entre le « boss » et des « visiteuses » d’un genre un peu spécial.
Heureusement que chez nous –un pays musulman, faut-il le rappeler ? – cela ne se passe pas – ou plus – ainsi, parce que ce genre de conseillers ont été, je crois, envoyés au garage. Mais il semble tout de même qu’à côté de responsables consciencieux, honnêtes et moralement intègres, on trouve encore quelques « ordures » qui coûtent très cher au contribuable mauritanien. Voilà d’ailleurs beaucoup de nos concitoyens se posent la question de savoir pourquoi Ould Ghazwani n’a pas évacué le « dépôt d’ordures » dont l’odeur nauséabonde se répand toujours dans les couloirs de la Présidence et certains rouages de l’État.
La raison est simple et l’on commence à comprendre le pourquoi. Souvenons-nous ici de ce qu’il advint d’Ould Merzoug suite à ses décisions énergiques engagées dès son arrivée, en Août 2019, à la tête du ministère de l’Intérieur et de la décentralisation. Élevé dans le quartier rebelle de « Djiambour » à Kiffa, ce digne descendant d’esclaves s’était mis en tête d’envoyer à la décharge centrale toute la « poubelle » de l’administration qui souffrait de l‘incompétence et de la très mauvaise gouvernance de fonctionnaires uniquement choisis au regard de leur appartenance tribale, régionale ou aristocratique. La cabale montée contre lui (1) ne réussit pas à le chasser mais convainquit certainement Ould Ghazwani de ne donner ni coup de balai dans la « poubelle », ni coup de pied dans la « fourmilière», ni coup de rafale dans les nominations de complaisance banales sous ses prédécesseurs : ce n’est comme cela qu’on peut agir en notre pays du « million d’intouchables ».
Histoire de clans dans le « Clan »
Quand il arriva au pouvoir le 3 Août 2005, Le Colonel Ely ould Mohamed Vall ne donna aucun coup de balai dans les « ordures » laissées par Maaouiya ni coup de pied dans la fourmilière, pour la simple raison que le changement opéré avait été décidé par le « Clan », celui-là même auquel appartenait Ely. Au sein de celui-là, tout mouvement est un mouvement d’ensemble ; celui de la « majorité » au pouvoir dont chaque élément est indispensable. Chacun de ces membres est une espèce de comète qui traîne derrière elle des personnalités guerrières ou religieuses, aristocratiques, et constitue ainsi un maillon d’une chaîne quasiment taboue.
Dépourvus de toute déontologie politique, ces « intouchables » sont à variables multiples, adaptables à toutes situations et à tous changements qui s’opèrent dans le pays. N’appartenant à aucun président, ils ne relèvent que leurs propres intérêts qui les rendent « amovibles » et «omnidirectionnels ». Autant de qualificatifs – pour ne pas dire qualités… – qui leur confèrent le statut des « membres du Clan », c’est-à-dire de la famille politique dite de « La Majorité ». Celle-ci réunit tous ceux qui ont été, de l’indépendance à aujourd’hui, nommés à des postes de responsabilité. Certains sont les héritiers d’avantages accordés naguère à leurs parents pour leur rang social. Même si ces derniers sont décédés depuis des décennies.
Le « Clan » réunit tout d’abord les maures blancs, sempiternels « guides » de tous les enjeux politiques. Puis certains de leurs anciens esclaves toujours« esclaves » politiques de leurs anciens maîtres. Et, bien sûr, une minorité d’« autres », parmi les halpulaars, soninkés et wolofs – ceux qu’on appelle parfois les « nègres de service » –résignés à jouer les rôles de figurants dans une comédie qui dure depuis 1960.
Le Clan est une grande famille très unie, solidaire et attentive aux intérêts à partager entre ses membres, même si ce partage est toujours inéquitable. Ces intérêts sont parfois matériels, parfois financiers, parfois honorifiques et il est plus facile à cette coterie d’envoyer un président à la « casse » – comme elle s’y employa avec Ould Abdel Aziz – que de traîner un de ses membres devant la justice. À l’instar d’un cartel, le Clan ne badine pas.
Quand MOAA arriva au pouvoir en 2008, il ne balaya pas plus les «ordures» trouvées devant lui qu’il ne botta dans la fourmilière : il n’était rentré dans le « Clan » qu’aux conditions de celui-ci, pas aux siennes. Aussi fut-il « toléré » au pouvoir, jusqu’au moment où il commença à faire la guerre au clan. La réplique ne s’est pas fait attendre. Il a été sanctionné par un « lâcher » brutal qui l’a expédié derrière les grilles où il est encore, peut-être pour longtemps.
Ghazwani, pris au piège par des membres de son clan ?
Quand Ould Ghazwani parvint à son tour aux commandes, il ne pouvait pas plus s’attaquer au tas d’« ordures » laissé par son prédécesseur : il avait évidemment besoin du clan, dans toutes ses ressources humaines, bonnes et mauvaises, pour faire tourner la machine. Mais tout semble lui faire comprendre, depuis quelques temps, que certains membres du clan « appelés » à des fonctions de responsabilités à la tête d’institutions sensibles, avec la charge de concrétiser les projets promis dans la feuille de route de son premier mandat, ne jouent pas franc jeu avec lui.
Ce n’est un secret pour personne, à commencer par lui-même : tous les efforts entrepris parle gouvernement sont dévalorisés par les agissements de quelques membres du « Clan », hommes d’affaires, irréductibles habitués au laxisme de certains responsables inconscients dans le suivi de l’exécution des projets, une indolence maladive qui permet à des businessmen, parfois simples prête-noms, d’« encaisser » sans tenir leurs engagements ni se soucier d’éventuelles sanctions.
Tous les moyens énormes injectés par l’État dans de nécessaires et urgents projets de développement à la base sont banalement détournés par des membres du clan, souvent cachés derrière des acronymes, entreprises ou sociétés nées du faux et de l’usage du faux, rien que pour happer les financements. Certains de ces filous en col blanc qui tiennent pignon sur rue, pesant à l’occasion de tout de leur poids sur la mobilisation des fonds de campagnes électorales, reprennent de la main gauche, via des marchés mal faits, inachevés ou pas faits du tout, ce qu’ils ont donné de la main droite. Ce n’est hélas pas nouveau… a contrario de la réaction du président Ghazwani. Qu’il se soit rendu compte de la situation n’a rien d’étonnant mais qu’il en parle l’est beaucoup plus. Le temps du coup de balai tant attendu approcherait-il ?
(À suivre).
Mohamed Chighali
Journaliste indépendant
NOTES
(1) : voir https://www.chezvlane.com/Mauritanie-Qui-cherche-la-tete-du-ministre-de-...