Mon cher ami,
Ta réponse d’hier soir ne m’a pas du tout aidé à me départir de ce sentiment que ton intention était de me faire sortir de ce cadre d’échanges. Et il me faut t’avouer ce que je fis durant tout le temps passé de cette matinée : réfléchir sur par où commencer, en vain...
N’ayant donc pu trouver de l’inspiration pour te suivre dans cette voie, je vais entamer mon propos en partant de ta conclusion : « cette absence de volonté de changement et cette appétence à creuser le lit de notre inéluctable bascule vers le pire (...) ».
Une question préalable cependant : la tâche de l’intellectuel ne devrait-elle pas emprunter à l’anthropologie ses procédés pour comprendre l’origine de cette mal-gouvernance et suggérer les remèdes qui en découlent, par sa contribution à la définition d’objectifs stratégiques auxquels le destin du pays devrait tendre, lui faisant ainsi éviter ‘’l’inéluctable bascule vers le pire ’’ ?
En effet, à écouter certains observateurs et acteurs politiques que l’on peut considérer comme appartenant à l’intelligentsia, dans les discussions de bureau ou de salon, un autre constat est souvent d’entendre une critique irréfrénable où prédominent deux attitudes pour le moins opposées :
D’une part, il y a ceux qui expriment un pessimisme indubitable face à la crise économique permanente et ses conséquences sociales désastreuses, face aussi aux échecs répétitifs des programmes publics et politiques de développement sectoriel initiés par les gouvernements successifs depuis tant d’années.
Pour ceux-là, le mal est fatalement incurable : ils pensent que ce pays était déjà « mal parti » pour de bon, comme le reste de l’Afrique à l’exception de rares pays ; dans leur entendement, le chômage endémique et la pauvreté qui en résulte, les problèmes cruciaux de santé, d’éducation, de déficit alimentaire et notre rang dans le classement des pays les plus pauvres au monde ne sont qu’une parfaite illustration de ce cliché d’un peuple qui ne serait pas suffisamment doté de volonté et de capacité productive.
De l’autre coté, on trouve un groupe hétéroclite très actifs, composé de ceux qui ‘’applaudissent’’ rageusement et d’autres figures plus emblématiques qui se transforment comme des caméléons chaque fois qu’un pronunciamiento de notre grande muette débouchait brusquement sur un changement de régime. Aussitôt celui-ci installé en effet, ils découvrent subitement que leur chef d’hier, qu’ils soutenaient pourtant contre vents et marées, était en réalité le diable incarné ; cet engagement lunatique provient de l’unique crédo qu’ils partagent et qui ramène tout au veau d’or, l’intérêt égoïste et immédiat est le principal moteur de leur action politique, ils se distinguent par un fort nombrilisme sur fond de nationalisme cocardier. On les entend souvent dérouler les mêmes éléments de langage tirés par les cheveux, invoquant maladroitement une bénédiction divine qui veillerait sur le pays depuis l’arrivée au pouvoir de tel colonel ou tel général, pour se donner bonne conscience et tranquille assurance.
La pire des défaites
En vérité ils ont tous tort. Il est vrai que d’aucuns parmi eux sont moralement vaincus, à force de frustrations après mille promesses sans lendemain et de déceptions après autant d’espoirs miroités trompeusement. Mais là aussi ils auront toujours tort de n’avoir pas livré bataille jusqu’au bout de leur conviction, laissant ainsi la pire des défaites s’incruster dans leur moral, au point de perdre toute volonté d’affronter le sort du pays avec lucidité.
La réalité est que notre pays possède d’énormes potentialités que nos dirigeants politiques et nos acteurs économiques n’ont pas encore su transformer en grande richesse nationale, par la synergie des champs d’actions et de compétences. A l’instar de tous les pays du monde, le destin du nôtre est entre les mains de ceux qui ont plus de talent et de prédispositions parmi ces dirigeants et acteurs, mais il faudrait d’abord en être conscient, avoir ensuite une forte confiance en soi et développer enfin une capacité d’organisation de qualité.
Il faut retenir par ailleurs que les institutions multilatérales et les partenaires étrangers ne viendront jamais transformer ces potentialités à notre place, ni dans le but d’assurer notre autosuffisance alimentaire, ni en mode gagnant-gagnant, ni pour implanter un tissu industriel à vocation de transformer nos produits ou matières premières. Ces institutions et partenaires ne feront rien de tout cela, même si on leur accordait tous les avantages possibles tels que ceux liés à une zone franche ou à une défiscalisation attractive, ou encore à un protectionnisme exclusif au niveau intérieur.
Cela parce que :
(i) les institutions internationales n’ont pas cette mission de financer des projets à caractère industriel ou même semi-industriel ; ce type d’investissement, qui constitue le principal ou l’un des moteurs essentiels du développement, ne rentre pas dans leur politique d’aide au développement et du fait également que leurs programmes temporels et enveloppes de crédit par pays sont aussi encadrés que limités, sans compter les politiques contraignantes qu’il faut mener sous leurs conditions ;
(ii) l’enjeu fondamental pour les investisseurs étrangers est toujours et partout fonction des capacités potentielles du pays en question (son marché offre-t-il le retour d’investissement attendu, c’est-à-dire une importante rentabilité à la fois immédiate et durable ?) ainsi que de l’environnement judiciaire (est-il rassurant ?), sans oublier la stabilité politique et la sécurité publique qui constituent également des facteurs d’appréciation dans leurs décisions.
Or les enjeux économiques d’un Etat sont par essence plus stratégiques que lucratifs ou épisodiques, ils sont de nature sociale pérenne et se projettent dans une perspective de long terme...
C’est pourquoi, dans un monde régi par les règles impitoyables de la concurrence des nations, notre pays doit y tracer son destin, non par des slogans ou dans la radicalité, ou encore par simple mimétisme, mais par une véritable ambition de progresser, soutenue par une démarche originale et des pratiques de gouvernance qualitatives. C’est à notre portée et nous en avons les ressources intellectuelles et physiques ou matérielles nécessaires.
Le tout est question de vision réaliste, de volonté politique et de capacité organisationnelle.