Dans une interview qu’il vient d’accorder au quotidien français « Le Figaro », le président Ghazwani a déclaré qu’il se soumettrait à la majorité du peuple, répondant ainsi à une question d’Yves Thréard relative à un éventuelle quête d’un second mandat en 2024. À nouveau sollicité pour plus de clarté, le président mauritanien a choisi de laisser le journaliste « apprécier » sa première réponse. Elle était de fait on ne peut plus claire :sauf cas de force majeure, il briguera un second et dernier mandat à la tête du pays. Les Mauritaniens n’en doutent d’ailleurs pas. Pour plusieurs raisons. D’abord parce qu’il n’est pas dans l’air du temps africain qu’un président de la République quitte le pouvoir sans y être contraint par la Constitution si facilement tripatouillable, au demeurant, sur notre continent. Ce n’est pas pour rien qu’on y évoque des coups d’État contre les Constitutions. Les tentatives de faire modifier celle de la Mauritanie, sous le règne du prédécesseur de l’actuel Président, n’ont pas prospéré, seul le Sénat qui s’était opposé à celui-là fit les frais de son indiscipline, se retrouvant illico dissout. Elles ont tout simplement avorté parce que les autres généraux, collaborateurs et compagnons d’Ould Abdel Aziz avaient déjà préparé sa succession.
‘’Légitimité des armes’’
Celui-là avait très naïvement cru en la « loyauté » de ses amis et camarades. Aussi avait-il pu apparaître, dix années durant, puissant, aimé, craint et redouté. Mais s’il s’agit bien de toujours chercher la femme sous l’homme fort, on connaît bel et bien celle-ci, en Mauritanie, en ce qu’elle est, depuis quarante-cinq ans, toujours Grande et Muette… Et depuis qu’il a perdu la bataille de la« référence » de « son » parti l’UPR, devenu depuis INSAF, c’est la descente aux enfers pour MOAA, avec son procès en cours depuis des mois.
Le président Ghazwani appartient à ce que d’aucuns appellent l’« oligarchie militaire » qui régente le pays depuis le coup d’État militaire de 1978 et nos kakis ne sont pas disposés à accepter une alternance démocratique civile. L’expérience de feu le président Sidi ould Cheikh Abdallahi, en 2007, n’aura duré qu’un feu de paille. Le temps que sa maladroite tentative d’écarter simultanément trois puissants généraux le retrouve éjecté du pouvoir par un haut conseil d’État pas du tout embarrassé par le caractère démocratique d’une élection présidentielle que ses membres avaient précédemment soutenue…
C’est donc dire que les militaires sous le drapeau ou à la retraite n’ont jamais lâché pas prise. Ils disposent de la « légitimité des armes » pour diriger le pays. Une direction si sérieuse qu’on ne peut pas la laisser entre les mains de civils, surtout de l’opposition qui n’aura jamais réussi à imposer le moindre rapport de forces aux kakis. Ceux-ci se sont appliqués à fidéliser une clientèle non-militaire complaisante, toujours prête à accourir au moindre changement à la tête du pays, pour applaudir et s’inviter à la mangeoire. On les voit se bousculer en masse pour apporter leur soutien, à travers des marches ou des élections ordinairement contestables et contestées. Telle est la face hideuse de notre belle Mauritanie.
Une opposition dépourvue de pouvoir…
L’opposition démocratique a encore un très long chemin à parcourir pour imposer une alternative, voire une alternance civile, à la tête du pays. Ses divisions, comme lors des dernières élections municipales, régionales et législatives de Mai 2023 et le manque de transparence des élections ont fait le jeu des militaires reconvertis en civils démocrates. D’autant plus facilement, d’ailleurs, que cette façade paraît mettre la Mauritanie à l’abri des attaques djihadistes qui sévissent au Sahel, sans crainte de l’épidémie de coups d’État militaires en vogue dans la région et qui s’est propagée jusqu’au Gabon.
Voilà de quoi permettre, à notre actuel Président, de consacrer tranquillement son énergie à sa réélection en 2024. L’INSAF et les partis satellites du pouvoir constituent une machine d’autant mieux huilée à cette entreprise que l’opposition a démontré son incapacité à offrir une alternative. Elle ne pourra plus se redresser ni parler d’un seul langage et la signature récente d’un pacte dit républicain entre deux partis de ses partis (RFD, UFP) et l’INSAF est venue consacrer la fracture en son sein. Les partis « opposés au système » comme ils se déclarent : RAG, FPC non reconnus et l’AJD/MR ; sont probablement les premiers à savoir qu’il y a loin de la coupe aux lèvres, avec toujours cette indéracinable question : comment penser et surtout imposer un rapport de forces en leur faveur ?
Tawassoul, principal parti de l’opposition, n’a pas plus réussi pas à fédérer celle-ci sous son étendard et l’élection de Ghazwani puis celles locales ont comme marqué son recul, certains de ses cadres succombant aux sirènes du pouvoir. C’est dire que Ghazwani ne risque pas d’affronter beaucoup de candidats susceptibles d’ébranler celui-là. Qu’est-ce qui pourrait donc s’opposer à un second mandat de celui-ci ? À priori rien ni personne. Tout ne semble dépendre que de sa volonté personnelle et tous les signes de cette platitude politique s’accumulent depuis plusieurs mois. En plus des résultats et de la majorité écrasante acquise lors des dernières élections locales, le parti INSAF et le gouvernement ont développé une vaste campagne de vulgarisation des réalisations – les fameux taahoudaty – de leur mentor. Les media publics et les réseaux sociaux sont mis à contribution pour vendre le produit à l’opinion.
Un système annexe à celui du monde…
L’invitation du journaliste du Figaro à Nouakchott et l’interview qui s’en est suivie relèveraient de cette opération de charme, surtout auprès de l’opinion internationale. Ould Ghazwani a donc sacrifié à la tradition de ses prédécesseurs qui n’ont jamais eu cure de nos media nationaux. S’agit-il de s’adresser à tout le monde ? Nos présidents font alors appel à des chaînes étrangères qu’ils rétribuent grassement. Normal, me direz-vous..Mais quand donc le président Macron aura-t-il recouru en telle situation à des media britanniques ou américains ? Il dispose à sa guise de TF1 ou France 2, voire de media régionaux quand ce « tout le monde » est plus localisé. Et bien sûr jamais sa communication ne penserait à une chaîne africaine… Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes ?
Dalay Lam