Le projet de loi de lutte contre la violence à l’égard des femmes et des filles: Débats et passion

4 October, 2023 - 17:03

Des universitaires et des imams s’élèvent toujours contre l’actuelle mouture du projet de loi de lutte contre la violence à l’égard des femmes et des filles (dite : loi de dignité). Ordinairement alignés sur les thèses du pouvoir, les deux plus grands érudits du pays ont eux-mêmes exprimé publiquement leur désapprobation. Monsieur Ahmedou ould Lemrabott ould Habibou Rahmane, le grand mufti de la République, affirme ainsi que « cette loi ne respecte pas les enseignements de l’islam et viole les principes de la charia ». Même son de cloche chez le cheikh Mohamed El Hassan ould Dedew, l’éminent jurisconsulte et figure emblématique de la mouvance islamiste en Mauritanie.
En conférence de presse le mercredi 27 Septembre 2023, le ministre du Pétrole, des Mines et de l’Énergie, porte-parole du gouvernement, monsieur Nani ould Chrougha, a de son côté démenti les informations circulant autour de ladite loi, attribuant ces « rumeurs à une campagne orchestrée contre [celle-ci], tirant certaines informations de textes précédents », tout en précisant qu’« elle est toujours un projet pas encore adopté ».
Répondant à une autre question lors du commentaire des résultats du Conseil des ministres tenu mercredi à Nouakchott, il a également affirmé qu’« on ne peut pas surenchérir sur les parties chargées de l’élaboration du projet de loi en question en matière de religion, d’éthique ou de valeurs sociales. De plus », ajoute-il, « la loi a été transmise au Conseil supérieur des fatwas et des recours gracieux ainsi qu’à l’Association des Oulémas de Mauritanie qui se sont exprimés sur l'affaire ».Signalons qu’à deux reprises, les députés ont rejeté un projet de loi prévoyant notamment l’aggravation des peines pour viol et la pénalisation du harcèlement sexuel.
 
Double rejet
L’Assemblée, majorité et opposition confondues, l’avait d‘abord rejeté en Janvier 2017, puis une seconde fois en Décembre 2018, via la Commission parlementaire de l’orientation islamique. Et ce malgré l’intervention du ministère de la Justice qui avait introduit dans le texte des dispositions sans lien direct avec les violences sexuelles, notamment sur la sanction de l’adultère, ou réduit certaines peines prévues initialement en cas de coups et blessures ou de séquestration par le conjoint. Ces amendements n’avaient pas suffi à amadouer les députés qui renâclaient en particulier sur le concept de « genre », considéré comme relevant de valeurs étrangères, ainsi que sur certains articles portant sur le droit de voyager sans autorisation du mari ou autorisant les organisations d’aide aux victimes à se constituer parties civiles. Notons ici que des ONG avaient participé à la rédaction de ce projet de loi, approuvé en Mars 2016 par le gouvernement, prévoyant en particulier l’aggravation des peines pour viol, la pénalisation du harcèlement sexuel et la fondation de chambres spécifiques dans les tribunaux pour les affaires de violences sexuelles.
 
« Stéréotypes sexistes »
En Février dernier, lors de l’examen de la Mauritanie devant le Comité pour l’Élimination de la Discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), les membres de celui-ci saluaient les nombreux efforts déployés par le pays mais n’en soulignaient pas moins que « les femmes et les filles continuent d’y être victimes de discriminations et de stéréotypes. Les garanties constitutionnelles de non-discrimination et de protection des droits des femmes et des filles restent évasives », », était-il observé.  Une experte notait que « dans la pratique, les femmes et les filles continuent d'être victimes de discrimination dans tous les domaines, y compris dans le secteur de l'emploi. Les progrès dans l’égalité entre les sexes sont entravés par des stéréotypes sexistes et par des attitudes conservatrices concernant le rôle et la position des femmes dans la société et dans les communautés qui viennent ajouter à la pauvreté et à la marginalisation des femmes. […] Les femmes et les filles victimes de violences, notamment sexuelles, ne sont pas protégées par la loi. »
Le CEDAW avait ainsi jugé, à Genève, le rapport présenté par la Mauritanie au titre de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Au cours du dialogue, la délégation mauritanienne avait notamment indiqué que le projet de loi devrait être présenté devant le Conseil des ministres en Mars prochain avant d’être adopté par l’Assemblée nationale en Avril ou Mai de cette année 2023. Mais rien, pour le moment, n’a été fait.
TM