De grandes entreprises européennes cherchent à financer des projets d’énergie propre dans des pays qui ont le potentiel de les mener à bien. La Mauritanie a justement élaboré une feuille de route pour le développement de l’hydrogène vert, visant à parvenir à un accès universel à l’électricité d’ici 2030 avec un mix énergétique à 50 % renouvelable et une étude de la British Chariot Company confirme que notre pays est éligible pour produire celui-là à un coût moindre, grâce à ses ressources en énergie solaire et éolienne.
Le gouvernement a ainsi conclu un accord courant 2021 pour mettre en œuvre le projet « Nour », le plus grand projet d’hydrogène vert en Afrique, avec une capacité de dix gigawatts et des investissements pouvant atteindre 3,5 milliards de dollars. De quoi nous assurer dans les décennies à venir une place compétitive sur la carte mondiale de ce produit, compte-tenu de la richesse de notre potentiel solaire et éolien, la vastitude de nos zones désertiques et la proximité des eaux de l’Atlantique. À plus long terme, il est question de lancer, sur une période de dix à quinze ans, quatre autres grands projets d’une capacité totale de 85 gigawatts, pour un coût de cent milliards de dollars.
La Mauritanie a récemment abrité une conférence de deux jours sur l’accélération du financement de l’hydrogène vert en Afrique, en coopération avec l’Alliance africaine pour l’hydrogène vert (AGHA), la Green Hydrogen Organisation (GH2) et la Banque mondiale. Considérée comme la première de ce genre sur notre continent, la rencontre comprenait des séances sur le financement de tels projets novateurs et catalytiques pionniers en Afrique, distinguant les apports du secteur privé et d’autres partenaires en ce domaine.
Les études présentées à cette occasion situent la fourchette des investissements cumulés entre 450 et 900 milliards de dollars d’ici 2050, pour réaliser le potentiel d’hydrogène vert dans les pays de l’Alliance africaine. Notons ici que, si la Banque mondiale classe la Mauritanie parmi les pays les « moins avancés » –au 160èmerang sur 189, selon le classement général basé sur l’Indice de développement humain – le Conseil d’administration du Fonds monétaire international a accepté, en Janvier dernier, de prêter à notre pays 86,9 millions de dollars, dans le cadre d’un programme de réforme économique du pays liée à l’industrie de ce produit, afin de mettre en place une infrastructure technique répondant aux normes internationales.
Un combustible plus sûr
Par ailleurs, plusieurs technologies énergétiques ont vu le jour ces dernières années, chacune visant à réduire la dépendance aux combustibles fossiles riches en carbone et les émissions de gaz à effet de serre. L’un des carburants jugés réellement capables de faire bouger les choses au profit de cette réduction est l’hydrogène, un combustible plus sûr, plus stable et, semble-t-il, idéal pour alimenter les secteurs de l’industrie, les bâtiments et les véhicules. Une véritable occasion de croissance économique dans tout le pays, grâce aux ressources énergétiques renouvelables déjà exploitées ou potentiellement disponibles, comme l’énergie éolienne ou les énergies solaires.
La science qui permet de produire de l’hydrogène vert à partir d’eau et de l’utiliser comme source de carburant est connue depuis des décennies. Mais ce n’est que récemment qu’on a pris conscience des avantages de ce produit par rapport aux combustibles traditionnels émetteurs de dioxyde de carbone. Le processus de base est simple : l’eau douce est purifiée, puis séparée en hydrogène et oxygène par électrolyse. L’hydrogène est ensuite recueilli, nettoyé et comprimé, après quoi il peut être directement utilisé en source d’énergie ou raffiné pour transport en un dérivé tel que l’ammoniac. L’électrolyse nécessite de l’électricité et le recours à de ressources renouvelables – énergies éoliennes, solaires ou hydroélectriques – se retrouve ainsi au cœur du grand intérêt actuel de l’industrie à produire des carburants sans émission de gaz à effet de serre, sous des formes transportables et donc utilisables n’importe où.
Rappelons ici des principes de base. La combustion d’un carburant « traditionnel » carboné – bois, charbon, hydrocarbures… – produit par oxydation du dioxyde de carbone. Si l’hydrogène subit le même procédé d’oxydation (soit en brûlant, soit dans une pile à combustible), ses atomes se combinent à l’oxygène pour produire de l’eau. Plus le monde recourra à l’hydrogène pour remplacer les combustibles fossiles dans les activités quotidiennes – transports, chauffage des bâtiments, etc. – plus les émissions de gaz à effet de serre diminueront.
Partout où de l’eau et une source renouvelable d’énergie sont présentes, on observe un grand potentiel de production d’hydrogène vert. Notre pays est particulièrement avantagé à cet égard car il dispose de grandes réserves fossiles d’eau douce (1) et d’importantes possibilités d’exploiter des sources renouvelables d’énergie : éolienne, hydroélectrique et géothermique. Par ailleurs, le dessalement à moindre frais de l’eau de mer étend considérablement le nombre de zones où l’on pourrait produire durablement de l’hydrogène. Bref, le développement cette industrie permet d’envisager un notable rendement, cumulant production d’emplois, apport de devises via exportations et recettes fiscales, tant au plan local que national.
La capacité de notre pays à utiliser ses ressources solaires et éoliennes pour produire de l’ammoniac « vert » constitue une réelle opportunité stratégique. Autant d’atouts intrinsèques et concurrentiels pour se positionner en véritable leader de l’hydrogène en Afrique du Nord et sur l’ensemble du continent africain. Cette vision, la Mauritanie l’a fait monter en puissance depuis 2019, via un ambitieux programme d’énergies renouvelables, affichant ainsi sa volonté de participer à cette conversation globale et au développement de la technologie de l’hydrogène vert sur son sol.
Avec nos trois mille heures par an en moyenne d’exposition solaire et une constante de vents des plus élevés au monde, cette transition « verte » apparaît incontournable, alors que l’hydrogène vert constitue une solution alternative à un nombre croissant de pays d’Europe, visant à atteindre un taux de production de 52% d’énergies renouvelables d’ici 2030 pour réduire de 20% les émissions de gaz à effet de serre et participer à la « décarbonation » des pays-partenaires.
Des défis à relever
L’État mauritanien est donc appelé à relever de nombreux défis liés aux choix technologiques, à l’intégration locale, au modèle économique, aux coûts de production, stockage, transport et logistique... Et surtout à la mise en place d’un cadre juridique et réglementaire, sous l’œil attentif d’instances de régulation et de contrôle. L’intérêt mondial croissant pour la transition vers l’hydrogène vert s’accompagne déjà d’enjeux liés à la chaîne d’approvisionnement pour les fabricants d’équipements-clés, ce qui rend essentielle sa gestion des risques pour assurer la réalisation des projets dans de bonnes conditions. Cette gestion sera également exigeante pour tous les acteurs impliqués : nos ingénieurs et les fabricants devront rapidement accroître leur expertise et leurs connaissances pour garantir une production et un transport en tous points efficaces et sécurisés. Le gouvernement devra aussi s’appuyer sur cette expertise mondiale grandissante pour mettre en œuvre de nouvelles politiques et normes assurant une croissance du secteur au rythme de la demande. Une entreprise de taille qui nécessite la collaboration et la coopération de tous les acteurs impliqués.
La perception du public est un autre défi important auquel l’industrie est confrontée. Comme avec toute nouvelle technologie, l’adhésion de celui-ci ne se fera pas aveuglément, mais se méritera. Et, comme avec n’importe quelle nouvelle technologie, toute question d’atteinte potentielle à la sécurité nuira à l’acceptation générale. L’industrie en plein essor devra prendre à cœur toutes nos préoccupations. Il est nécessaire de considérer tous les aléas liés aux industries de l’ammoniac et de la pétrochimie et d’en tirer les leçons pour garantir que l’hydrogène vert puisse être produit et transporté en toute sécurité, sans risque pour le public ou l’environnement. Les acteurs de tout projet relatif à ce produit doivent donc impérativement commencer par écouter et étudier toutes les éventualités, tout en sensibilisant le public pour lui permettre de dépasser les préjugés.
L’industrie est prête à surmonter rapidement la plupart de ces défis importants et à adopter l’hydrogène vert à un rythme effréné. Mais c’est la coopération entre le gouvernement, les producteurs et le public qui sera déterminante pour garantir la place – probablement décisive – qu’occupera l’hydrogène vert à court terme dans la transition énergétique. Son utilisation dans le monde est en rapide expansion et la demande internationale en tant que produit énergétique majeur commence à se concrétiser. En cette période d’évolution rapide, notre pays se trouve dans une position idéale pour saisir une occasion unique de devenir un fournisseur et partenaire économique de premier plan d’hydrogène vert. Ainsi la Mauritanie pourrait changer d’échelle en matière de production. Cela impliquerait, bien sûr, une forte hausse de nos recettes budgétaires et d’exportation et les recettes budgétaires du pays. Une révolution d’autant plus conséquente que cela faisait une bonne vingtaine d’années que notre pays n’avait plus enregistrée de découvertes importantes.
Cheikh Ahmed ould Mohamed
Ingénieur
Chef du service « Études et Développement »
Établissement portuaire de la Baie du repos (Nouadhibou)
NOTE IMPORTANTE
(1) : Mais ces réserves aquifères ne sont que peu ou prou renouvelables ; en tout cas pas au regard de nos besoins, notamment d’abreuvement (voir encadré).
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Production d’hydrogène vert = pénurie d’eau, à terme ?
La production d’hydrogène n’est pas exempte d’effets pervers potentiels. Certes, celui-ci n'a pas d'effet de serre direct mais c’est un gaz climatique indirect qui induit des perturbations du méthane, de l'ozone et de la vapeur d'eau dans l'atmosphère, trois puissants gaz à effet de serre. Plus grave, la production de véhicules électriques à batterie et de carburants synthétiques à base d'hydrogène consomme de grandes quantités d'eau. Selon les fondamentaux de la chimie, environ 9 litres d’eau sont nécessaires pour produire 1 kilo d’hydrogène vert par électrolyse. Un rapport du groupe de réflexion américain Rocky Mountain Institute (RMI) estime toutefois que 20 à 30 litres seraient en réalité nécessaires, principalement en raison de l’inefficacité de certaines méthodes de traitement. « Elle peut même atteindre 70 litres par litre d'e-carburant dans l'ensemble », renchérit monsieur Buchwitz, analyste « Actions durables » chez DWS à Francfort,« car de grandes quantités d'eau sont également nécessaires, dans certains cas, pour la fourniture et l'entretien des sources d'énergie renouvelables, telles que les installations solaires ». Il ajoute qu'à l'avenir, la demande en eau ne sera pas seulement motivée par la croissance démographique et l'augmentation de la demande alimentaire qui l'accompagne, mais aussi par les thèmes « verts », dans un contexte de multiplication des sécheresses. Une évaluation de la disponibilité en eau est donc impérative avant le démarrage de chaque projet. Une politique tarifaire progressive en fonction des volumes consommés inciterait également les porteurs de projets à privilégier la mise en œuvre de processus plus efficients. La soif n’est certes pas le moindre de nos soucis. Il convient donc d’être très prudents et d’éviter de mettre tous nos œufs dans le même panier…
Mansour Tawfiq