Au cours d'un échange qu'il eut avec l'un de ses amis, M. Ahmedou Ould Moustapha livre sa pensée sur la géopolitique mondiale dont l'une des séquences se déroule actuellement en Ukraine, sans oublier les coups d'Etat au Niger et au Gabon qui se sont succédé comme pour sonner le glas de la Françafrique. Il y explique également ce qu'il appelle l'handicap systémique de la gouvernance publique de notre pays. C'est un échange qui traduit la transcription d'une réflexion spontanée sur l'actualité et parfois sur un passé récent.
Nous en avons donc choisi quelques morceaux qui valent le détour pour les partager avec nos lecteurs. On peut toutefois regretter que l'ami en question n'ait pu donner son accord pour la publication de ses réponses, étant tenu par le devoir de réserve du fait qu'il exerce encore des fonctions de haute responsabilité ; sinon son point de vue et ses commentaires auraient dévoiler davantage toute la pertinence et l'intérêt de cette correspondance.
Cher ami
Mon message d'hier soir s'arrêtait sur la France du président Macron et le potentiel de risque très élevé qui pourrait lui faire perdre rapidement son pré-carré africain.
En effet, avant le coup d'Etat au Gabon la semaine dernière, il y eut celui du Niger et selon une confidence d'un diplomate français, M. Macron aurait ressenti une amère trahison de la part de son allié américain : tandis que la France manœuvrait pour mobiliser les forces militaires de la CEDEAO, en vue d'une intervention avec son appui logistique, pour chasser la junte et réinstaller le président déchu, les Etats-Unis avaient alors nommé une ambassadrice et dépêché un émissaire de haut rang à Niamey pour prendre contact avec les putschistes et leur annoncer l'arrivée prochaine de ladite ambassadrice pour présenter ses lettres de créance... En somme une reconnaissance très claire.
De ce point de vue, le ressentiment des français se comprend encore plus à l'aune du danger qui plane sur cette source vitale d'approvisionnement en uranium pour l'énergie nucléaire française.
Quoi qu'il en soit, au vu de cette initiative américaine, concomitamment aux proclamations de plusieurs autres pays rejetant l'option militaire, l'ardeur guerrière des uns et des autres s'est estompée pour laisser place à la négociation. Viendront ensuite, comme pour faire figuration, les acrobaties diplomatiques du CPS de l'Union Africaine, auxquelles il nous a habitués face à pareils coups de force ; on aura également vu continuer les gesticulations martiales de la CEDEAO, sous la houlette des présidents du Nigéria et de la Côte d'Ivoire, le premier en tant que chef de file des faucons opposés au putsch et le second en sa qualité de boutefeu de la France dans la sous-région Ouest-africaine. Mais le putsch était déjà consommé, quand bien même il se présentait comme celui de trop pour l'Etat français ; celui du Gabon est venu, lui, comme poussé par un jeu de domino pour sonner le glas de la françafrique...
''Trahison américaine''
C'est dire combien ils constituaient un terrible coup de massue pour la France. Et si avec ce nouveau revers, au relent si stratégique, elle venait à s'y accommoder sans pouvoir rétablir ''l'ordre constitutionnel'' comme elle le souhaitait, alors attendons-nous à un nouveau cycle - après le néocolonialisme - où elle ne serait plus qu'un acteur de second rang dans ses ex-colonies ; parmi lesquelles se comptent désormais nombre de pays qui se tournent de plus en plus vers la Russie, parce qu'ils la considèrent moins vorace économiquement et plus respectueuse de leur souveraineté.
Mais au Niger, est-ce pour créer un pare-feu antirusse que les américains avaient-ils anéanti, de la sorte, l'objectif de la France, tout en réduisant du même coup son influence irréfragable, jugée à la fois sournoise et étouffante, sur les chefs d'Etats africains ?
Ici, au-delà de la présence d'une base militaire américaine au Niger, on ne doit nullement écarter la question d'un revers de la main, d'autant plus que les immenses gisements miniers enfouis sous le sol de la bande Sahélo-saharienne ont toujours été présents dans les banques de données et les convoitises des grandes puissances. S'y ajoute que les Etats-Unis continuent encore à importer l'uranium enrichi de la Russie, malgré les sanctions commerciales qu'ils ont pourtant décrétées contre elle et qui sont toujours entièrement respectées par leurs alliés européens (...).
Pour dire que l'initiative des américains et leur présence militaire au Niger ne sont pas seulement motivées par la lutte contre le terrorisme au Sahel, il y a surtout que ce pays recèle d'importantes réserves d'uranium et d'autres minéraux cruciaux pour l'industrie de haute technologie, en plus du pétrole et du gaz en attente d'extraction.
En définitive, répétons-le, cette volonté stratégique d'affaiblir l'Europe (notamment la France, pour la dompter aussi docilement que l'Angleterre, surtout au sein de l'ONU) reste toujours une constance géopolitique pour la classe dirigeante américaine, qu'elle soit du parti démocrate ou du parti républicain. Il s'agit d'une attitude qui se manifeste par cette funeste action consistant à amplifier ici et éteindre là-bas - selon les intérêts conjoncturels de l'Amérique - les foyers de tensions tout en prenant soin d'écarter les alliés lors des négociations de paix au moment venu, les marginalisant ainsi dans les conflits mondiaux où ils ne joueront que les seconds rôles, alors que leur soutien indéfectible est pourtant indispensable au maintien du leadership américain, du moins sans lequel l'hybris dominateur de l'Amérique serait considérablement réduit pour ne pas dire très limité.
D'ailleurs, l'ex-Secrétaire d'Etat américain, Henry Kissinger, aimait bien dérouter ses interlocuteurs avec cette litote : " être ennemi de l'Amérique est dangereux et être son allié est fatal ".
Ahmedou ould Moustapha