L'historien français Fernand Braudel disait autrefois du grand Sahara qu'il est "l'autre Méditerranée”. Cette formule heureuse a le mérite de mentionner le grand intérêt stratégique pour cette région qui devient aujourd'hui le centre des enjeux géopolitiques internationaux.
Par grand Sahara, désignons-nous le grand espace aride qui s'étend de l'Atlantique à la mer rouge, et qui traverse le continent africain du nord et de l'ouest à l'est, englobant ainsi la bande du Sahel et au-delà d'elle le désert nord-africain.
Cette région connait depuis une décennie trois dynamiques de grand intérêt :
- La recrudescence des mouvements radicaux violents, qui contrôlent pratiquement le tiers de l'espace sahélien en l'absence totale d'Etat central souverain. Le grand Sahara est devenu un enjeu sécuritaire primordial pour toutes les puissances mondiales engagées dans le processus d'éradication de ce fléau à large spectre.
- L'érosion des structures institutionnelles de l'État dans la plupart des pays de la région, dans un contexte de guerres civiles embrasées et d'effondrement des armées nationales reflétant les fragiles équilibres communautaires et ethniques voués au déchaînement de violence endémique. La capacité effective de gouvernance territoriale dans ces États se minimise au gré de l'exacerbation des mouvements indépendantistes et séparatistes qui ont vu le jour dans cette zone durant les dernières années.
- Le retour des militaires au pouvoir, après des expériences démocratiques boiteuses et tumultueuses, qui ont attisé les phénomènes d'instabilité et de violence dans la plupart des pays du grand Sahara. Malgré la défiance de la légalité constitutionnelle, on remarque "l’indulgence à l’égard des coups d’État militaires et la réaffirmation de la force comme voies légitimes d’exercice du pouvoir." (Achille Mbembe). Ce désenchantement démocratique crée une nouvelle conjoncture politique lourde de conséquences.
La récente crise du Niger a démontré la complexité des enjeux géopolitiques internationaux relatifs à cette région (Photo d’illustration, AFP).
L’UA dépassée
La récente crise du Niger a démontré la complexité des enjeux géopolitiques internationaux relatifs à cette région.
Le groupe G5 Sahel, qui a été constitué en 2014 comme noyau du vaste regroupement saharien, a succombé aux derniers soubresauts qui ont secoué la région. La Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao), qui a pris le devant dans la crise nigérienne, n'a pu arrêter une ligne de conduite stable et crédible vis-à-vis des coups d'État militaires qui ont renversé des régimes démocratiquement élus dans quatre pays membres de la communauté.
L'Union Africaine, qui est le principal regroupement africain, a été dépassée par les événements.
La réaction des partenaires internationaux de la région n'est point meilleure. La France, qui a été l'acteur occidental principal dans la partie sahélienne et nord-africaine du grand Sahara a eu mal à suivre et accompagner les événements survenus dans son pré-carré.
Les États-Unis d'Amérique se sont intéressés à la région, dans le cadre des stratégies de lutte contre le terrorisme, cependant leur intérêt pour le grand Sahara reste circonscrit aux objectifs sécuritaires, et de ce fait leur priorité s'est focalisée sur les institutions armées et non les facteurs de stabilisation de la société en profonde crise. En découle la position américaine ambigüe vis-à-vis des récentes prises de pouvoir par les militaires en Afrique occidentale.
Leur grand souci actuel serait de stopper l'influence russe accrue dans le Sahel, en sacrifiant les principes sacro-saints de la démocratie.
Le retrait des forces françaises du Mali, du Burkina Faso, et très probablement à l'avenir du Niger, sonne déjà le glas de relations privilégiées entre les pays sahéliens et l'ancienne nation colonisatrice. Ce retrait suivi par la fin de la mission des Nations Unies au Mali, consacre la nouvelle équation géopolitique régionale.
Les nouvelles élites militaires et politiques du Sahel ont affiché une nouvelle lignée qualifiée par Achille Mbembe de "néosouverainiste" qui "est moins une vision politique cohérente qu’un grand fantasme. Aux yeux de ses tenants, il remplit d’abord les fonctions de ferment d’une communauté émotionnelle et imaginaire".
Ce penchant néo-souverainiste puise son référentiel du nationalisme panafricain réfractaire au modèle politique occidental, jugé non compatible avec le contexte social et culturel local, ce qui ne pourrait qu'être fatal pour les processus d'ouverture démocratique.
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Seyid ould Bah est professeur de philosophie et sciences sociales à l'université de Nouakchott, Mauritanie et chroniqueur dans plusieurs médias. Il est l'auteur de plusieurs livres en philosophie et pensée politique et stratégique.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.