Ingénieur agronome, Moulaye Moulaye Idriss a passé l’essentiel de sa carrière dans l’administration publique de l’agriculture, en en gravissant quasiment tous les postes de 1985 à 1997. Après avoir occupé, de 1992 à 1996, celui de conseiller économique chargé de la direction de planification où il pilota l’étude après barrage et le programme d’ajustement du secteur agricole, il démissionne en 1997 et intègre le secteur privé. Il fonde et dirige alors la GSA jusqu’en 2003 où il se lance dans la production maraîchère et rizicole, dans la foulée du développement des filières. L’homme est ensuite choisi par ses collègues pour présider l’Union Régionale des Producteurs Horticoles au Trarza (URPHT), puis l’Union Nationale des Interprofessions de l’Horticulture (UNIH).
Le Calame : Vous êtes président de la fédération des maraîchers mauritaniens. Pouvez-vous nous dire pourquoi notre approvisionnement en légumes frais est tributaire des pays voisins, notamment le Maroc, le Sénégal et le Mali ?
Moulaye Moulaye : La réponse à votre première question me ramène à vous rappeler que la politique agricole était orientée surtout sur la filière rizicole. C’est à partir de 2017, année de la fondation de notre UNIH, que nous avons lancé un grand programme de production maraîchère avec le département de l’agriculture, en ses structures centrales et décentralisées. Diverses actions ont été engagées. D’abord des mesures de protection pour encourager la production nationale avec la taxation des importations, puis l’acheminement de la production nationale vers les marchés, avec la mise en place de dispositifs régionaux de commercialisation pour réguler l’offre à la demande, surtout pendant les périodes de grandes récoltes (Janvier-Avril). Mais malgré toutes ces mesures, notre pays demeure encore tributaire des productions des pays voisins qui mènent des politiques de grande envergure pour conquérir les marchés extérieurs.
- A-t-on tiré les leçons de la fermeture de la passe d’El Guerguératt entre le Maroc et la Mauritanie, en Novembre 2020 ?
- En ce qui concerne l’expérience d’El Guerguératt, je pense que des dispositions ont été prises, avant de se retrouver bouleversées par l’irruption du COVID en 2020. Des mesures encourageant les importations des légumes furent engagées avec l’annulation totale des taxes sur les légumes importés. Cela profita aux importateurs mais pas aux consommateurs mauritaniens qui ne constatèrent aucune baisse des prix des produits maraîchers. Cette situation, je l’avais évoquée devant l’ex-ministre du Commerce en lui signifiant que la décision du gouvernement soutenait les importateurs de légumes mais décourageait les producteurs nationaux et ignorait surtout les consommateurs. Je lui présentais alors les prix détaillés, en date du 10 du mois de Ramadan 2019 – avant donc la détaxation des produits importés – et ceux de l’année suivante, à la même date : les prix n’avaient pas bougé, malgré l’exonération des produits importés de toutes taxes.
- L’État accorde une part importante du budget à l’agriculture. Chaque année, les campagnes agricoles sont lancées en grandes pompes, des équipements exposés. Pensez-vous que la stratégie adoptée permettra au pays d’atteindre son autosuffisance alimentaire ?
- L’autosuffisance n’aura pas lieu tant que l’État ne prendra pas des mesures draconiennes pour toutes les productions agricoles confondues (maraîchère, rizicole, fruitière, et céréalière traditionnelle). Il ne s’agit pas seulement de la taxation. Il faut aller au-delà en bloquant les importations pendant les périodes de grande production. Le regrettable est que tous nos pays voisins, sans exception, appliquent ce type de protection contre nos produits. Le blocage au Sénégal de nos importations d’oignons chaque année de Février à Août en est un exemple. Je citerai aussi la dernière campagne catastrophique menée par certains de nos exportateurs de pastèques de la Mauritanie vers le Maroc qui surtaxait dix fois les prix de celles-ci. La production fut de surcroît bloquée des jours durant à Agadir, obligeant ceux encore en chemin à retourner brader leurs produits à Nouadhibou et ceux déjà arrivés à Agadir à évacuer leurs produits avec d’autres camions vers les marchés européens, mais dans un état détérioré à cause du blocage subi.
- Après l’UBD, une caisse de dépôt et de développement – l’UNCACEM – a été instituée. Qu’a-t-elle apporté aux agriculteurs ?
- Chacune de ces structures auxquelles vous faites allusion a joué un rôle important dans l’appui financier au secteur mais rien – du style assurance agricole ou fond de garantie – ne l’a soutenue pour la rendre pérenne. Au constat du terrible échec du système d’assurance déjà appliqué dans le secteur du transport, il conviendrait de mettre en place un « fond calamités » pour aider les producteurs à faire face à certains sinistres.
Je signale ici que la filiale de la CDD est morte, comme celle du Crédit agricole. La CDD n’encourage pas son autonomie et son évolution. Sinon comment comprendre que la CAM qui travaille avec professionnalisme et transparence n’arrive pas à couvrir ses besoins en crédit à court et moyen termes alors que la CDD met en dépôt des dizaines de milliards dans les banques primaires privées ? Ce sont des dysfonctionnements à corriger.
- On assiste depuis quelques jours à une hausse des prix des légumes dans le principal centre commercial des fruits et légumes de Nouakchott. Pouvez-vous nous en expliquer les raisons ?
- L’augmentation des prix de certains légumes – pommes de terre et oignons – est liée au marché international. L’Inde et le Pakistan ont fait une mauvaise campagne l’année passée à cause des inondations. En ce qui concerne notre production, les prix sont stables (courge, aubergine, navet, piment…). Pour les tomates, carottes, poivrons et concombres, on attend des changements importants dans l’approvisionnement du marché, grâce aux producteurs nationaux de l’Aftoutt Essaheli et du Trarza. D’importantes quantités sont en passe d’être acheminées vers nos marchés à partir de ces zones et cela va contribuer à faire baisser notablement les prix.
- L’hivernage vient de démarrer timidement en plusieurs parties du pays. Est-ce une période favorable au maraîchage ?
- Certaines wilayas sont propices au maraîchage toute l’année, à cause de leur climat tempéré (Trarza, Nouakchott, Nouadhibou), d’autres le sont pour certains produits comme les courges, le gombo, le piment, l’aubergine, le navet, l’oseille de Guinée ou le manioc. La question cruciale est certainement celle d’adapter le blocage des importations en fonction de la capacité de notre production nationale à les remplacer. La réponse est que les États ne doivent pas jouer au chat et à la souris, c’est-à-dire attendre l’autosuffisance pour se protéger. Prenons le cas du riz : on n’a pas attendu celle-ci pour protéger la filière et l’on a pris la très courageuse décision d’évaluer nos besoins en riz à 14 000 tonnes par mois, autorisant en conséquence l’importation de 2000 tonnes par mois pour compléter les 12 000 tonnes produites en Mauritanie. Voilà comment sommes-nous arrivés à couvrir 80% de nos besoins, alors qu’on en atteignait à peine 30% auparavant. Malheureusement, certains importateurs traditionnels qui s’étaient transformés en distributeurs de riz national se sont mis à contester cette politique, en reprenant illégalement des importations de riz étranger – trafic contrebandier le long de notre frontière avec le Sénégal – avant de le distribuer via leurs réseaux dans l’Est et le centre du pays.
- Comment avez-vous réagi à la décision du gouvernement de reprendre les taxations sur les produits importés, suspendues depuis la pandémie COVID ?
- C’est à mon avis une décision encourageante. Elle répond à la demande de notre union formulée depuis plusieurs mois portant sur la reprise des taxes sur les légumes importés à hauteur de 40% de leur valeur. Elle portera des fruits si elle est effectivement mise en œuvre. Les 40% décidés par le gouvernement peuvent devenir 10 ou 15%, dans la pratique, à cause du jeu traditionnel des transitaires dans la fixation de la valeur réelle et leurs complicités avec les importateurs pour diminuer celle-ci devant la douane. Je pense que c’est une décision qui peut améliorer la situation mais on doit fixer un barème sûr, en fonction du type de camion (grand ou petit), avec coût fixe, comme avant la COVID (alors 30%, soit 900 000 MRO pour le grand camion et 600 000 pour le petit). Avec les 40 % fixés aujourd’hui, ce serait donc 1 200 000 MRO pour les gros camions et 800 000 pour les petits. Il faut aussi et surtout exécuter le projet d’équiper tous les points de passage à nos frontières, PK 50 de Nouadhibou, Rosso, Medbougou et celui côté algérien où la douane disposait de certains équipements, il y a deux ans, pour plus de transparence, avec les ponts basculés et serinés.
Propos recueillis par Dalay Lam