-Le Calame : Vous venez d’effectuer un bref séjour en Mauritanie. Pouvez-vous nous indiquer les raisons de ce déplacement ?
M. Ambroise Fayolle : Depuis le 25 février 2020, la Banque Européenne d’Investissement, banque de l’Union européenne, est membre de l’Alliance Sahel. Pour ce grand rassemblement de la 4ème Assemblée Générale de l’Alliance Sahel, nous sommes présents afin de jouer pleinement notre partition. Nous avons réaffirmé notre engagement et notre soutien aux initiatives de cette Alliance si importante pour les populations les plus fragilisées du Sahel. Toutes nos actions menées dans la zone sahélienne s’inscrivent dans le prolongement de la mise à disposition d’un milliard d’euros dans la région depuis que nous y sommes actifs. En tant que membre de l’Alliance Sahel, nous mettons à la disposition des partenaires sahéliens notre savoir-faire technique et financier que nous avons acquis dans le cadre d’investissements récents ayant trait à l’énergie, à l’eau, au secteur privé, aux transports et aux télécommunications.
En marge de cet évènement, nous avons signé un contrat de financement de 20 millions d’euros en faveur de la Banque Mauritanienne de l’Investissement avec le soutien de l’Union européenne pour accompagner les petites et moyennes entreprises (PME), les entreprises à taille intermédiaires (ETI) et les grandes entreprises mauritaniennes. A terme, c’est jusqu'à 40 millions d'euros de financements mobilisés, soit le double du montant initial de la BEI. Ce financement a été possible grâce au concours du Fonds européen de développement durable plus (EFSD+). Une garantie de portefeuille de 3.2 millions d’euros, financée par le Fonds Européen de Développement Durable (FEDD) a également été attribuée à cet engagement financier.
L’objectif de cette coopération s’inscrit dans le cadre de notre action avec Team Europe. Son objectif est de faciliter l’accès aux financements nécessaires au développement du secteur financier mauritanien. Au moins 30% de cette enveloppe financière sera mobilisée en faveur des jeunes et autant pour les femmes. Sans oublier le soutien à l’emploi, autre priorité de ce partenariat.
Il était tout aussi important d’échanger avec plusieurs ministres du Gouvernement afin de faire un point d’étape sur le soutien financier que nous apportons à des secteurs clés pour le pays tels que l’acier et l’hydrogène verts, les télécommunications ou encore la pêche. Nous remercions les autorités mauritaniennes pour l’accueil et la qualité de nos échanges, reflétant le partenariat de grande confiance que nous avons depuis des années avec la Mauritanie.
-En juin 2022, la BEI et la Mauritanie ont signé une déclaration sur l’hydrogène vert. La Mauritanie dispose d’un immense potentiel en énergie renouvelable (éolienne, solaire). Quelle évaluation vous faites de cette convention ? Comment la BEI entend-elle accompagner la Mauritanie dans cette entreprise ?
-Nous sommes honorés et fortement mobilisés pour accompagner les priorités nationales de développement de la Mauritanie. En effet, en juin 2022, nous avons signé avec SEM Mohamed Ould Ghazouani, président de la République Islamique de la Mauritanie, une déclaration sur l’hydrogène vert. Il s’agit de renforcer notre coopération afin d’accélérer les investissements dans les énergies propres, de stimuler l’innovation en matière d’hydrogène renouvelable et de faire face à la crise énergétique mondiale. L’augmentation de la production d’énergie éolienne et solaire est essentielle pour réduire l’impact des chocs énergétiques mondiaux. Nous soutenons donc le plan d’investissement de la Mauritanie qui vise l’accroissement des investissements dans l’énergie éolienne, solaire et verte. Le développement de l’énorme potentiel d’énergie renouvelable du pays peut à la fois faciliter l’accès à une énergie abordable dans le pays et permettre de transformer l’énergie propre en hydrogène vert. C’est donc une expertise à la fois technique et financière que nous mettons à la disposition de la Mauritanie. Et notre objectif est maintenant de faire passer cette coopération à la vitesse supérieure en exploitant le potentiel de la Mauritanie en matière d'énergies renouvelables, et via notre partenariat dans le cadre de l'Alliance pour le Sahel.
Comme banque européenne du climat, l’action en faveur de l’environnement et les investissements dans les énergies propres demeure notre priorité sur l’ensemble du continent africain.
-La Mauritanie s’apprête à devenir un pays producteur de pétrole et de gaz, donc un pays émetteur de CO2. Comment la BEI pourrait-elle aider la Mauritanie à concilier ces deux domaines antagoniques, (l’hydrogène vert et les gaz à effet de serre) ?
-Nous comprenons que les pays décident du mix énergétique qui soit le mieux pour eux. En tant que banque européenne du climat, nous avons décidé de renforcer notre soutien aux efforts d’adaptation climatique, à l’efficacité énergétique, ainsi qu’aux énergies renouvelables. Nous pensons que c’est là qu’est la plus grande valeur ajoutée de notre action, par rapport aux moyens dont nous disposons, certes importants en termes de volume mais faibles comparé à l’ampleur des besoins face à l’urgence climatique.
Notre objectif est d’agir de concert pour réduire progressivement les émissions de gaz à effet de serre et améliorer la résilience face aux effets des changements climatiques dans les villes comme les territoires les plus reculés.
La décennie 2021-2030 est en effet décisive pour faire face à l’urgence climatique et environnementale à laquelle nous sommes tous confrontés.
-Quels sont les autres secteurs dans lesquels la BEI intervient en Mauritanie ?
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-Nous sommes engagés en Mauritanie depuis 1968. C’est plus de 418 millions d’euros qui ont été investis à travers 34 opérations.
D’abord, le secteur minéralier avec 60% des investissements du montant global, représente un investissement historique pour la Banque européenne d’investissement en Mauritanie. Puis, vient le secteur des télécoms avec 47 millions d’euros investis. Un troisième secteur et non des moindres, est le secteur financier. Il s’agit essentiellement de soutien aux PME et de financements pour la création de nouvelles banques. Enfin, nous intervenons dans l’énergie, l’eau, l’assainissement, la pêche, et le secteur manufacturier.
Depuis 2010, nous apportons une assistance technique à la Mauritanie, notamment pour le développement du secteur numérique. La BEI a contribué au financement de deux projets d'infrastructure, un projet de câble télécom terrestre (15 millions d'euros), un projet de câble sous-marin (25 millions d'euros), et un troisième qui s'est achevé en 2012.
Dans les 3 prochaines années, les grands investissements de la Mauritanie seront largement concentrés sur le développement du secteur de l’énergie (y compris l’hydrogène vert), des télécoms et interconnexions, de la sidérurgie, le secteur de la pêche et de l’acier vert et nous sommes disposés à accompagner le pays dans son ambition de développement pour le bien-être des populations.
-Le Sahel est victime depuis des années du terrorisme islamique. Elle a aussi subi les contrecoups de la COVID19 et depuis quelques mois les conséquences du conflit en Ukraine. Ces conflits n’ont-ils pas affecté les interventions de la BEI en Mauritanie ?
-Avec l’Alliance Sahel, la BEI s’est engagée à renforcer les investissements essentiels pour surmonter les difficultés auxquelles est confrontée la région du Sahel. Nous mettons ainsi à disposition des partenaires africains et internationaux notre expérience technique et notre savoir-faire financier dans l’objectif d’apporter une réponse rapide aux défis spécifiques sur le terrain. Cela fait d’ailleurs 50 ans que la Banque européenne d’investissement soutient des investissements porteurs de changements dans l’agriculture, l’énergie, l’eau, les transports, les télécommunications et le secteur privé dans les cinq pays du Sahel.
Le soutien aux populations les plus fragilisées est également au cœur de notre action au Sahel. Nous l’avons à nouveau affirmé lors de la 4ème Assemblée Générale de l’Alliance Sahel en invitant tous les membres à se projeter au-delà de la réduction de la pauvreté pour financer des projets qui créent de la richesse, qui «transforment » et à fort impact pour les populations. C’est le sens de notre engagement dans cette région.
Déjà en mars dernier, nous avons signé une convention de financement de près de 175 millions d’euros dont 35 millions d’euros sous forme de dons en faveur de la République du Tchad pour soutenir la réhabilitation du corridor routier entre N’Djamena et Douala au Cameroun.
Avec nos partenaires de l’Alliance, nous sommes également mobilisés pour améliorer l’accès à l’eau potable en finançant des projets à l’échelle locale et en lien avec l’Approche Territoriale Intégrée. Nous soutiendrons également avec nos partenaires l’accès à l’énergie renouvelable pour les populations du Sahel via des lignes d’interconnexion transfrontalières.
-La présence de Wagner dans un pays voisin de la Mauritanie, une espèce d’exception au Sahel et l’annonce, il y a quelques jours de la fin de la mission de la MINUSMA au Mali ne préoccupent pas la BEI ?
La BEI est le bras financier de l’Union européenne et nous appliquons les décisions et orientations prises au plus haut niveau politique dans l’Union européenne. Dans ce cadre, notre vision est d’investir dans un avenir durable pour tous. La paix et la stabilité étant essentiels au développement, nous suivons avec beaucoup d’attention la situation géopolitique du Sahel.
C’est pourquoi, nous avons décidé de renforcer notre appui technique et financier pour agir très concrètement dans la région en faveur d’un avenir durable et stable pour les populations.
Propos recueillis par Dalay Lam