Ould Bilal 3 : On prend (presque) les mêmes…..

12 July, 2023 - 10:45

La présidence de la République a rendu public, mardi dernier (4 juillet) la composition du nouveau gouvernement. Sur proposition de l’apparemment inoxydable Ould Bilal. Et le moins qu’on puisse dire est qu’Ould Bilal III ressemble fort à un clone des précédents. On a pris quasiment les mêmes, procédant à des permutations, à peine nuancées par quelques entrées et départs. Un simple jeu de chaises musicales, en somme. 

Certes, onze nouveaux ministres font leur entrée. Mais l’essentiel des postes de souveraineté (justice, intérieur, défense et affaires étrangères) n’ont pas changé de titulaire. Le Président leur a renouvelé sa confiance. Même s’ils viennent de régions différentes, ils demeurent le socle du pouvoir d’Ould Ghazwani. On relève aussi avec intérêt l’arrivée, au Pétrole, industrie et mines, d’un homme de confiance du président de la République, Nany Chrougha, toujours porte-parole du gouvernement. L’entrée prochaine de la Mauritanie dans le cercle des pays producteurs de pétrole et de gaz justifierait sa nomination. Enfin, ce gouvernement marque une sorte « régression » de la communauté négro-mauritanienne. Elle est rétrogradée dans les profondeurs du point de vue protocolaire, du point de vue protocolaire et se retrouve sans aucun poste de souveraineté depuis Sidi ould Cheikh Abdallahi (2007-2008). Même Ould Taya n’avait pas fait pire. La retraite de certaines pointures de ladite communauté et ses divisions internes pourraient expliquer cette situation.

Dans ce gouvernement, on retrouve des ministres ayant été battus ou mis à mal chez eux par l’opposition lors des dernières élections locales. Autre fait à relever, la toujours énorme part de lion accordée à la région natale (Assaba) du Président : cinq ministres dont certains très proches de celui-ci. Mais, au-delà de cette faveur spéciale, les dosages tribaux, régionaux et ethniques sont respectés. On peut donc en déduire qu’un tel gouvernement n’est ni spécifiquement politique ni technocratique mais plutôt à caractère politico-social. On n’y trouve notamment aucune grosse pointure politique d’envergure nationale, alors que d’aucuns s’attendaient à une équipe de campagne. Il n’en aura pas moins la lourde mission de préparer la prochaine présidentielle et l’on peut à cet égard penser qu’il subira quelques retouches en cours de route. Le « système » tient à parer à toutes les éventualités.

Continuité sans toujours grands changements, donc. Avec des tâches aisément lisibles : préserver et consolider les acquis ; accélérer l’achèvement des programmes et des politiques publiques en cours ; accorder la plus grande importance aux secteurs des services productifs et aux programmes sociaux qui ont un impact direct sur la vie des citoyens, en accélérant les réformes nécessaires pour en accroître l’efficacité ; en assurer et améliorer la qualité et l’accès universel. Mais le point de mire reste la présidentielle de 2024.

 

Départs et entrées

Parmi les départs du gouvernement, on note celui, surprenant, de l’un des poids lourds de l’équipe sortante, monsieur Kane Ousmane, ministre du Développement économique et des secteurs productifs. Sa mise à l’écart pose de nombreuses questions. Que s’est-il passé entre lui et le Président dont il jouissait, dit-on, de la confiance ? Ses compétences ne font pourtant l’ombre d’aucun doute et les résultats de son magistère sont factuels. Serait-ce l’effet de son franc parler qui dérange et déconcerte les médiocres ? Connu pour ses compétences et son expérience à l’international, l’homme eut en effet le courage d’épingler très tôt les lenteurs dans l’exécution des Taahoudati (engagements) du président de la République ; un problème d’absorption des investissements qui mettait à nu, aux yeux de certains, l’incurie et l’incompétence de plusieurs de ses collègues du gouvernement.

Par ailleurs, des membres du sérail ne lui pardonneraient pas de ne pas s’être « converti à l’arabe », contrairement à d’autres ministres négro-mauritaniens qui, pour faire plaisir et prouver leur « loyauté » et conserver leur strapontin, ont appris cette langue sur le tas. Sa présence dans les forums internationaux pour représenter dignement son pays dérangerait certains nationalistes tapis dans l’ombre. On se rappelle de l’incident qui frisa même l’humiliation – voire l’affront – à l’Assemblée nationale lors de la précédente législature.  Un jeune député considéré comme « populiste » avait retardé, des minutes durant, la prise de parole du ministre parce que celui-ci « ne s’exprimait pas en arabe ». Et monsieur Kane n’avait curieusement pas bénéficié de la solidarité gouvernementale...

On ne lui pardonnerait en outre pas d’avoir introduit une nouvelle approche pour régler les conflits liés au foncier dans le walo du fleuve Sénégal. Une initiative audacieuse qui avait d’une certaine manière atténué les tensions liées à l’expropriation des terres dont se plaignent les populations de la Vallée.

Autre facteur qui peut avoir joué en sa défaveur : son militantisme en faveur d’une solution consensuelle au dossier dit « Passif humanitaire » qui pollue l’unité nationale. Mis au défi par le président de la République de s’y atteler, l’homme s’y était consacré et un consensus était en passe d’aboutir. Le dossier avait même atterri, rapporte des sources fiables, sur le bureau du commissaire aux droits de l’Homme et à l’action humanitaire. Monsieur Kane s’était beaucoup investi pour amener les différents représentants des organisations des veuves, orphelins, rescapés et autres à parvenir à une feuille de route. Mais, comme chacun le sait, des extrémistes continuent à nier l’existence même des faits, arguant qu’une loi d‘amnistie fut votée en 1993 pour couvrir les supposés auteurs des exactions. Et refusant en conséquence que ce dossier soit évoqué en ce qu’il met forcément en cause les forces de défense et de sécurité.

Enfin, d’autres sources rapportent qu’Ousmane Kane aurait pour la seconde fois refusé un autre poste ministériel. Son sort semblait donc scellé : en Mauritanie, on ne refuse pas un portefeuille, même si l’on est convaincu de ses incompétences à bien le gérer. Kane ne s’embarrasse pas de poste vis-à-vis desquels il estime ne quasiment rien pouvoir apporter à son pays. Or c’est ici considéré comme une action « déloyale ». L’homme aurait ainsi donné l’occasion à ses détracteurs de se débarrasser de lui. Mais c’est la Mauritanie qui perd, au final.

 

Ould Diaye réhabilité

Autre fait marquant de ce remaniement, le retour aux affaires de Moctar ould Diaye. Tout le monde s’y attendait, tant de signes précurseurs étaient-ils visibles depuis quelque temps. L’ex tout-puissant ministre de l’Économie et des finances sous Abdel Aziz est revenu par la grande porte. Certains le comparaient jadis à Karim Wade, dénommé par ses détracteurs « Ministre du ciel et de la terre » sous le magistère de son père. Ould Diaye est nommé ministre-directeur du cabinet du président de la République et assiste, contrairement à ses prédécesseurs, au conseil des ministres. Une véritable réhabilitation.

Comme beaucoup d’autres ministres, l’homme fut cité dans le rapport de la Commission d’enquête parlementaire (CEP) de 2020 sur la « décennie–gestion de l’ex-Président» mais cela ne l’a pas empêché de rentrer dans les grâces du président Ghazwani. Selon diverses sources, il devrait témoigner au procès de son ancien mentor, Ould Abdel Aziz, accusé de détournement de fonds et d’obstruction à la justice...

Depuis que le nom de l’ex-ministre a été retiré du fameux dossier, son retour était devenu imminent. Le pouvoir semblait même très pressé de réhabiliter cet homme très « utile » au système. Coopté coordinateur de campagne des trois régions de Nouakchott, il y a prouvé ses capacités de travail et de mobilisation... sans lésiner sur les immenses moyens dont il dispose. Et, contrairement à la campagne de 2018, il aura cette année réussi à faire tomber toutes les mairies de la capitale dans les escarcelles du parti au pouvoir où certains ne supportaient pourtant pas son omnipotence. Bref, il a manifestement pris une revanche sur ses adversaires.

Le retour de cet homme accusé de tous les maux dans le dispositif présidentiel suscite de nombreux commentaires. Il ne donne pas une bonne image au pouvoir, entretenant le sentiment que le président Ghazwani perpétue les pratiques de son prédécesseur suspecté d’avoir pillé la République, dix ans durant, ce qui lui vaut d’être aujourd’hui trainé devant les tribunaux. Et les faits parlent d’eux-mêmes : l’essentiel des hommes de l’actuel président sont pour l’essentiel, des « recyclés » et inconditionnels de son prédécesseur, peut-être plus ami mais en tout cas alter ego quatre décennies durant...

Dalay Lam